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31/03/2020

"Les marches du vide", de Lokenath Battacharya, traduit du bengali par l'auteur & Franck André Jamme, éd. Fata Morgana, 4/12/1987

L'arbre d'or

Nous sommes de voyageurs. Venus de loin, si loin. En écoutant l'appel des oiseaux de la nuit, nous avons repéré le nid de l'aube - c'était le but de notre quête. Les cors et les trompettes que nous avons transportés pour jouer à l'arrivée, ils sont tous là, prêts, brillant dans tant de mains au cœur de ce matin rose. Nous désignerons la forêt, nous donnerons des noms aux fruits, aux fleurs, aux mouvements en nous : tel était le désir.

Nous voulions construire notre chambre au bout du chemin.

Mais maintenant où vont aller nos regards ? Vers la chambre ou vers le chemin ? Tu me demandes. Ou bien je te demande. Nous étions trois, non ? il me semble. Et même davantage. Qui étaient-ils, tous ?

Je parle encore de toi et moi, habitude d'un vieil amour. Je fais également surgir le thème des cors et des trompettes. Seulement tu n'es plus un seul être, tout le monde est toi : moi-même. Or du frangipanier, petit soleil, dans quel bain tu nous a trempés !

Où sont passés nos vêtements, ce qui nous distinguait les uns des autres ? Certains aussi avaient des yeux, des nez, des visages, non ? Et toi tu étais là, j'étais là, ma nuit te tenait embrassée, non ?

Frangipanier, arbre d'or, toutes ces questions tu les as rendues absurdes. Toutes les réponses, tu les a exilées.

Un son résonne dans le silence. Celui dont c'est le son est là. Lui seul est là.


Lokenath Battacharya

07:59 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

30/03/2020

"D'un jour à l'autre", de Michel Butor, éd. Hôtel continental, octobre 1987

Michel Butor a publié par trois fois des poèmes dans Diérèse. D'un grande générosité, il prenait soin de joindre à ses envois des collages originaux.

Randonnée

pour Bertrand Dorny


Départ au petit matin. Respiration. Je peine sur la pente. Rencontre d'un lièvre. Rosée sur la menthe. Longues ombres.

La mer au loin. Souvenir d'Italie. La première voiture de la journée. Quel est donc cet air que je siffle depuis un quart d'heure ?

Quelques usines au-delà des marais. Les ponts de l'autoroute avec déjà le grondement que traverse une volée d'angélus venu d'un clocher effilé. Envol d'un geai.

Une clairière de silence. Un poulain près de sa mère derrière la barrière dans le trèfle. Frémissement de rameaux. Une fauvette sur les meubles abandonnés dans une fondrière boueuse.

Le chemin de fer entre les fermes. La course d'un renard. Un camion m'éclabousse jusqu'aux yeux. Je me nettoie dans un lavoir sous une vieille affiche électorale qui se déchire au vent léger.

Les champs labourés, les collines, les cressonnières, le Soleil dans l'abreuvoir. Je m'arrête pour ramasser un silex, quelques plumes de corbeau et un papillon écrasé. J'en compose une nature morte que j'entoure de lierre sur le remblai. Je détache une page de mon carnet pour la dédier au randonneur suivant.

L'approche d'un aéroport. L'envie de retourner en Amérique. D'autres voitures. Le créateur dans un de ses bons jours. D'un côté bleuets, tournesols de l'autre. Des romanichels se retournent sur mon passage.

J'en profite pour déposer mon sac, déballe le repas prévu : saucisson, fromage, olives, quignon, la bouteille de vin, m'asseoir sur une souche à l'ombre du chêne sur le tronc duquel s'appuie mon vélo.

Étendu sur le talus je lève les yeux du livre que je venais de recevoir d'un ami, pour regarder un planeur virer entre les nuages tandis qu'une pie s'approche pour picorer miettes et reliefs de mon festin solitaire.

Puis je m'enfile dans les rues dont presque toutes les fenêtres sont fermées. Quelques chats, pas une âme. Sur la place de la mairie, je déplie ma carte pour étudier la route et m'aperçois qu'il me faudrait accélérer un peu si je veux arriver à ma destination prévue avant la nuit.

La transpiration. Je souffle un peu. Je m'éponge en regardant une mare avec les canards, quelques poules, une chèvre derrière son grillage, et coupée par un appentis de tôle ondulée, dans le creux d'une vallée, la cheminée d'un navire sur l'horizon marin, entourée par les branches tourmentées d'un pommier.

Meules, granges, tracteurs, le sentier qui traverse le petit bois avant de s'enfoncer vers la forêt, le chien qui s'ébroue puis aboie à la rencontre d'une petite vieille effarée, à chapeau de paille vernie noire, qui marmonne récriminations et patenôtres en trottinant.

Les ombres s'allongent. Les premières feuilles de l'automne. Couleurs du soir. La fatigue. L'auberge proche avec son bar et son menu, la compagnie. Un dernier effort. La fraîcheur descend.


Michel Butor

10:52 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0)

28/03/2020

Un auteur de Diérèse : un poème de Michel Diaz

tu marches désormais vers le jour le plus simple, celui que tu peux voir sur le chemin s’avancer au-devant de toi et précéder la trace de tes pas, celui-là, tant perdu, retrouvé, que tu peux regarder en face, qui plonge son regard dans le tien et qui te laisse lire sur ses lèvres

il sait faire sa place au plus humble et au plus familier, à ce qui s’incline toujours vers le bas et se donne, sans ruse ni calcul, aussi simple qu’un souffle d’air sur ce qui va germer

il en va de ce jour, tu le sais, comme des amours brèves, une aube les reprend, une ombre les délivre, un soir de lune fraîche les veille et les prolonge, un ciel de matin pur les délace de tout tourment, leur fait le sang léger, un front de pierre lisse, change leur bouche en arbre et leurs yeux en promesses d’oiseaux

il faut croire que maintenant le passé le cimente, que le présent le porte

qu’il en va maintenant de lui comme des fondations du monde, comme de ces bûches d’un bois fraternel, qui brûlent lentement et se consument sans se plaindre dans l’âtre des persévérances

* * *

offrande, en attendant qu'une main la recueille et que l'ombre la renouvelle

offrande à tout ce blanc qui a bu aux fontaines des doutes et des amertumes, jusqu'à la lie de son silence

offrande en touffe d'immortelles et en éclosion de pavots, ou en forme d'épaule obscure mais si douce de lait nocturne

offrande à la pierre nue des margelles, à leurs lèvres torrides qui saignent sous le soc de midi, aux soifs inapaisées, à l'étincellement de la rosée, à ce qui brille d'eau lustrale aux fentes des rochers

offrande aux voiles noires du matin qu'emportent les lumières vers des horizons où s'effacent les rides de nos peurs

offrande, pour ne plus attendre demain, mais pour ouvrir son nom à un pays qu'on ne saura jamais, qu'on devine là-bas, au bout de la parole, et ce qui germera des yeux, enfoui, là-bas, comme un berceau dans la mémoire lisse de la neige

quelque part où la lumière pleut


Michel Diaz

08:22 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)