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06/01/2021

En poème, un fait divers, signé par Alain Duault

Au courrier d'hier, m'est arrivé ce poème d'Alain Duault, touchant à plus d'un titre, que je vous donne à lire sans tarder. Rappelons que le poète a offert à Diérèse "La rivière des neuf dragons" (p. 68 à 79) dans son dernier numéro paru, le 79. Amitiés partagées, Daniel Martinez

 ₰

L’amour du cygne

 

Le 23 décembre 2020, un cygne a interrompu le trafic

Entre Cassel et Göttingen. 23 trains sont restés arrêtés.

Le bel oiseau était en deuil de sa compagne foudroyée

En traversant les voies et, blotti contre elle, il a refusé

De l’abandonner. Figé dans sa douleur, l’a tant veillée,

La caressant tendrement pendant toute une heure avec

Un tel amour, que les pompiers ont dû intervenir pour

Emporter le cygne mort et le cygne désespéré jusqu’à

La rivière Fulda. J’aurais aimé les entendre murmurer.

 

                                                  Alain Duault

CYGNE BLOG.jpg

Dessin de Pacôme Yerma

05/01/2021

A propos de "Diérèse" opus 63

Cher Matthieu Baumier,

Pour commencer, merci pour votre recension de Diérèse opus 63. D’accord, nous le sommes, entièrement : sur le fait que la beauté est d’abord une surprise. Simplement, parce que la beauté n’est pas si facile à voir, à remarquer en tant que telle ; et quand bien même elle serait à portée de nos yeux, nous pourrions passer à côté sans même la remarquer (un comble). Il y a en effet une éducation du regard, nécessaire, préalable. Sur le thème porteur du regard, ma lecture du jour est celle de Paul Celan, in Strette : « Tournoyant / sous les comètes / du sourcil / le regard – masse sur / laquelle, éclipsé, minuscule, / le cœur-acolyte tire / avec son / étincelle alentour traquée. »

L’institutionnel ne saurait intervenir que pour canaliser – au pire, brider – la création, lisez par exemple ce que dit du CNL l’éditeur Bruno Msika des éditions Cardère : « Lorsqu’un recueil est subventionné, le CNL apporte une aide à hauteur d’environ 40 %, mais impose un tirage minimal de 300 exemplaires (le triple d’un tirage normal de lancement) ; la publication d’un recueil subventionné par le CNL revient ainsi toujours plus chère que pour le même non subventionné... » : sur le site de Pierre Kobel, http://pierresel.typepad.fr

(Le tirage moyen de Diérèse est de 150 exemplaires et mon chiffre d’affaires est à mille lieues de celui de Bruno M. Qu’à cela ne tienne ! la passion n'a pas de prix).

Qu’est-ce à dire ? Que la légitimité de la parole poétique sort du cadre restreint de ceux qui peu ou prou la tuteurent. Elle se lit dans la mesure du regard, honnête, qui s’y pose : pour une revue, ce sont en tout premier lieu les lecteurs, qui la suivent pas à pas et la font vivre. Pour un livre, garder aussi à l’esprit que l’auteur crée son lectorat. Que ce qui s’édite aujourd’hui puisse, dans le meilleur des cas, laisser une trace dans l’histoire littéraire, pourquoi pas ? Mais nous ne pouvons en juger dans l’instant, l’auteur étant toujours dépassé par sa propre création.

Au fil du temps, que remarquons-nous ? Pour aller vite, il y a d’abord ceux qui y croient plus que les autres ; puis ceux qui attendent des subventions pour fonctionner et mettent la clé sous la porte quand elles viennent à manquer, c’est le cas de bon nombre de revues. Il convient d’ajouter ici : ce sont les individus qui font le collectif (sa raison d’être) et pas l’inverse. Ceci n’est pas une parenthèse.

A mes yeux, sauf à se moquer, un livre n’a rien d’archéologique, au contraire : il est tout ce qu’il y a de plus vivant, dans les possibles connexions que génère l’auteur. Permettez-moi, vous m’avez lu un peu trop vite. J’ai commencé mon édito par : « On peut déjà imaginer un monde où il y aura des masses de livres, mais plus personne pour les lire… ». J’ai bien écrit : imaginer, tout mon développement est commandé par cette première phrase, les situations envisagées en page 7 de Diérèse 63 sont donc à prendre au second degré. Comme un risque encouru, pour le moment une fiction.

Les puissants, qui ne jurent que par le productif, pourraient voir dans la création poétique un dérivé tolérable, à fêter dans l’Hexagone une fois l’an avec le Printemps des poètes, histoire de se donner bonne conscience. A la vérité, c’est devenu un lieu commun que d’évoquer l’inculture symptomatique de nos dirigeants… Ou de déplorer le peu de recueils de poésie commentés dans « Le Monde des livres » par exemple. Le chiffre d’affaires du rayon poésie n’est certes pas celui du roman.

Par ailleurs, je ne m’oppose pas au numérique, ayant créé un blog : http://diereseetlesdeux-siciles.hautefort.com, parallèlement à la revue. Mais, entre le papier et le numérique, que l’un n’éclipse pas l’autre, car ils peuvent être, en fait, complémentaires. C’est à cela qu’il convient de veiller : qu’ils le soient bien, complémentaires. Notre société étant celle de l’hyper connexion, le monde de la poésie subit un effet d’entraînement. Le substrat poétique s’inscrit dans ce monde-ci, y prend sa source, sans se laisser phagocyter pour autant. En définitive, ce qui fait la force de la poésie, c’est qu’elle n’est pas directement utile. Libre, elle pourrait devenir, pour le meilleur, sa propre référence.

Mille mercis de m’avoir laissé préciser mes pensées.

Bien amicalement,

Daniel Martinez

     Diérèse

Les Deux-Siciles

04/01/2021

"Amandiers" de Lorand Gaspar, éd. Pierre-Alain Pingoud, 21 juin 1996, 48 pages, 80 F

Toi soleil coureur essoufflé
couché bouche à bouche sur les eaux


sur la mer ouverte à tous vents
la barque de nos mains dérive


or fumé, brûlé des visages
dans la pénombre des années
gardant au-dedans ses lueurs -


musique
nos doigts raclent
des cordes invisibles
dans la lumière dissoute
chaude étoffe arrachée
à l'hiver -

* * *

toujours cet écho
sa source illisible
où erre avant l'aube
pieds nus le jasmin


tu nages encore et c'est nuit
tu nages dans la nuit qui a toujours été


et ton corps a percé l'eau glauque
qui sent l'empois et la levure.
Et la chair rame dans la chair
les mains torturent et les mains tuent
elles griffent à clair les ténèbres
et retournent à l'obscur.


Lorand Gaspar

16:02 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)