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02/01/2021

"Le Migrateur", de Henri Thomas, éditions Gallimard, coll. Le Chemin, 12/9/1983, 270 p., 85 FF

Un livre que le regretté Jean-Claude Pirotte emportait dans tous ses déplacements (il en eut de si nombreux !), à lire et à relire, à méditer par ces temps neigeux, qui nous feraient presque oublier les refrains infortunés de nos années vingt :

"Il est un certain champ de neige dans mon esprit, où je souffre si les autres laissent la marque de leurs pas. Si l'image est facile, elle ne correspond pas moins à une réalité qui s'exprime tyranniquement par le besoin de solitude. Chaque nuit de sommeil reconstitue le champ de neige ; chaque réveil voit l'assaut d'autrui aux limites, puis en plein dans le champ, et le soir le voit entièrement sillonné et sali. Il existe peut-être des créatures assez légères pour y passer sans laisser de marques ; d'autres, même, dont la présence le protègerait. En tout cas, mon devoir et ma joie sont de protéger cette froideur cristalline où la poésie peut seule se poser. Je ne suis pas un être familier ; j'aime le délaissement.
J'éprouve aussi du bonheur à ne pas laisser d'empreinte chez autrui, tout comme à éviter des confidences.
Ce que j'apprends de lui par la seule observation me paraît beaucoup plus précieux que ce qu'il pourrait me dire lui-même.
Tout cela s'impose à moi. Je ne l'invente pas pour le plaisir de me créer une tâche ; je suis mal à mon aise dès que les circonstances me forcent à abandonner ce chemin.

 

* * *


Le mètre poétique régulier (celui qui a le temps pour soi) marque un souci de sociabilité. Il évoque l'idée de la récitation, il est plein d'égards, offre au moins un élément d'accord. Dans la mesure où le poète l'abandonne, il va vers des domaines plus personnels et anarchiques. Baudelaire me semble plus complètement présent dans ses poèmes en prose que dans beaucoup de ses vers, et plus présent encore dans les débris de soliloques des carnets que dans les poèmes en prose, où le souci d'une sorte de rythmique très souple (il la définit dans la dédicace à Arsène Houssaye) donne à l'expression quelque chose d'une haute politesse.
Peut-être est-ce chez Rimbaud que l'échelonnement de ces domaines, leur écartement progressif par rapport au point de rencontre social est le plus net. Les premiers poèmes, adressés à Banville, révèlent un violent désir de gloire, c'est-à-dire de multiples contacts avec une société reconnue comme le seul endroit où s'épanouir. A mesure que le mètre se disloque (la strophe du Bateau ivre présente déjà des fissures graves) l'inspiration se fait plus farouche, le regard déserte le paysage immédiat pour se porter vers les confins (loin des claires meules, des caps, des beaux toits...)."


Henri Thomas

"Sommeil seigneurial" un conte de Frédérique Hébrard

   Ah, c'est vous, Monsieur ? Que je suis aise de vous voir ! Entrez, installez-vous, soyez le bienvenu !
   De la lumière ? Est-ce bien nécessaire, Monsieur ? Le feu rougeoie et la Lune - je n'ai pas tiré les rideaux à cause d'elle - donne une lueur suffisante pour que je vous distingue...
   Vous êtes charmant. Un peu pâle. Mais charmant.
   Eh bien Monsieur, allons-y ! Vous êtes venu pour dormir, n'est-ce pas, dormons. Le lit est ouvert, immense, nous ne nous gênerons pas, prenez place... je n'ai pas de côté préféré, je dors partout, vous le savez. D'ailleurs, je bâille déjà, pardonnez-moi, vous verrez, vous en redemanderez.
   Plaît-il ? ... oui, je crois que je me suis légèrement assoupie, regardez, une bûche s'est écroulée, une flamme s'élève, avez-vous vu le démon dans la cheminée ? Mais non, Monsieur, pas un vrai démon ! un démon sculpté sur la plaque du foyer... Silence ! écoutez respirer la tapisserie... ça va mieux ? Bien... Ah ! non, je regrette, je ne peux pas vous donner la main. Nous ne devons pas nous toucher, nous ne devons pas, sinon le téléphone va sonner, l'électricité inonder la chambre d'une lumière bête, la radio va se mettre en marche toute seule et je me verrai contrainte, moi, à vous mettre à la porte. Que dites-vous ? Vous avez peur ? Enfant ! Allons, écoutez-moi et tout se passera bien. Il faut regarder le feu, il faut descendre au cœur du rougeoiement, traverser le rubis incandescent, se perdre dans les braises qui deviennent blanches à force d'être ardentes...
   Mon Dieu ! il dort !...
   Ah ! que je me sens bien ! Le feu envoie une ombre de chauve-souris sur le portrait du duc d'Enghien, le démon de la plaque me sourit, levant sa fourche en signe de victoire, un chien hurle au loin, délicieux, le vent se lève, les meubles craquent... odeur... du temps... pluie douce qui tombe... ciel de lit... sommeil... bien...
   Silence.


Frédérique Hébrard

03:00 Publié dans Contes | Lien permanent | Commentaires (0)

01/01/2021

Mes voeux les meilleurs pour 2021

Nous y sommes : à peine, tout juste, "A propager de l'aile un frisson familier !" (Mallarmé). Deux mille vingt-et-un sera-t-elle une année à la hauteur de nos espérances ? C'est ce que je souhaite, de tout cœur.
Si tant est que tous, selon nos moyens, essayons de construire un monde qui ne soit pas simple illusion de la pensée, malgré les périls de l'humaine condition. Les poètes ne sont pas en reste, qui comprennent l'espace de leur être comme un trésor à sauvegarder, un feu ou "un palais de l'ombre" à entretenir, quoi qu'il en coûte.
Comme image porteuse, je reprendrai la différence qui existe entre le jeu d'échecs et le jeu de go. Aux échecs, il faut tuer pour gagner. Au go, il faut construire pour vivre. Vous avez deviné où va ma préférence... De facto, nous sommes entrés dans une ère hygiéniste, où les visées à court terme sont censées agir sur le long terme, développer nos chances de (sur)vie. Pourquoi pas, après tout ? A la seule condition - et elle est d'importance - de redonner au domaine culturel le lustre qu'il a perdu depuis le mois de mars 2020.
C'est essentiel, vital même ; bien plus qu'un symbole. Car les nourritures de l'esprit sont aussi importantes que celles du corps, l'oublierait-on trop souvent, par facilité. Sur ce plan en particulier comme sur bien d'autres, le discours politique achoppe, qui ne fait que reprendre en l'adaptant à ses fins cette pulsion de vie qui est notre lot commun. Mais à quel prix, est-on alors en droit de se demander ?
... Irréductible à la "logique" animale (à l'instinct plutôt), l'homme tâche de se bâtir une condition qui ne se résume pas à panser ses blessures, ou à numériser sa relation à l'autre, pour solde de tout compte. Et le poète lui, est/sera toujours ce fétu de paille qui surnage parmi l'abondance, navigant entre le jeu, la parabole et le miroir : "un glissement de soie / sur une lèvre enfantine" (Jacques Dupin).
A toutes et à tous, belle année 2021, en poésie d'abord ! L'avenir est devant Elle.
Amitiés partagées, Daniel Martinez

05:21 Publié dans Voeux | Lien permanent | Commentaires (0)