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06/03/2020

Thomas Mann écrit à Maurice Delamain

Mario et le magicien est une pièce tragi-comique écrite et publiée par Thomas Mann en 1930. C'est l'histoire d'une famille en vacances dans une station balnéaire de l'Italie fasciste et qui est au cœur d'un drame noué lors du spectacle d'un hypnotiseur, le chevalier Cipolla. Cette nouvelle fera l'objet d'une traduction française par André Gaillard parue à Paris chez Stock en 1932. La lettre qui suit a été adressée à Maurice Delamain, des éditions Stock.

Pour vous aujourd'hui, la traduction de cette missive inédite du romancier :


"Les quatre exemplaires annoncés de Mario sont arrivés entre temps, et les petits volumes ornés me font bien plaisir. La traduction, que j'ai déjà découverte par sa publication dans la Revue franco-allemande, me semble bien réussie, et je vous prie de transmettre mes remerciements au traducteur.
Une édition italienne de la nouvelle s'exclut pour des raisons certaines. En Italie, on l'a maintenant d'abord découverte dans son édition française, et la presse fasciste ne s'en est pas peu irritée. Elle déclare comme complètement impossibles les événements qui y sont décrits humoristiquement ; et en même temps, ils se sont produits exactement ainsi dans la réalité.
D'ailleurs, il est loin d'être à mon goût de voir cette nouvelle comprise comme un manifeste politique direct. L'identification du chevalier Cipolla avec Mussolini a naturellement et certainement une légitimité intérieure secrète, mais, exprimée de manière directe, va pour moi bien trop loin.
En fin de compte, il s'agit dans ce récit d'un problème plus moral que politique. Mais bien entendu tout cela se mêle sans frontière de nos jours.
Je souhaite au petit livre le meilleur succès en France..."



Thomas Mann

21/02/2020

Une lettre de Lucie, ce 21 février

Lumière, oui : j'y pense plus intensément, à présent. Serait-ce grâce à vous qui l'avez réveillée ? Ce que vous dites du temps, j'ai envie de le dire aussi de l'ombre et de la lumière : je vois un rayon de soleil fin, fin, qui se faufile dans les branches d'un arbre et vient buter sur une feuille. Il la fait scintiller, car bien sûr dans mon rêve elle est jeune et brillante - c'est le printemps ! - mais elle, à cause de cette lumière sur elle, projette une petite ombre sur mon pied, une ombre qui a la forme de sa forme à elle. Il faut que la lumière existe pour que l'ombre s'imprime sur moi. Regardez encore, une fois encore : les cognassiers du Japon fleurissent déjà, dans le jardin où nous avons passé, sous les volets bleus flambants de la villa, un sifflement s'échappe par instants, celui d'un caïque à tête noire : tout ce que les mouvements du monde perdent d'importance ici, nos pensées liées à la nature reviviscente, tout ce qui creuse la profondeur rayonnante de la vie.
Le temps, je crois que je ne veux pas y penser. De plus en plus, il me paraît infini. Vieillir n'est qu'un mot. Le temps qui s'écoule là, maintenant, je ne le sens pas passer sur moi, je commence seulement à lui accorder le droit de passer. Je ne me bats plus avec lui. Je sais qu'il me faudra un temps infini pour atteindre ce que je cherche - j'ai envie d'employer le mot un peu désuet de pureté - et que ce temps infini, eh bien, j'en dispose. On m'a souvent dit que j'étais folle, je vous en prie, pas vous, ou si vous le pensez un tant soit peu, soyez bon, taisez-le.


Lucie

27/12/2019

"L'émotion poétique", pour Bernard Noël

Les fidèles de Diérèse se souviennent des interventions régulières de Bernard Noël dans la revue. J'ai choisi pour vous aujourd'hui une lettre de l'auteur de La Face de silence adressée au regretté Jeanpyer Poëls, sur un papier à en-tête de l'université de Sousse, en Tunisie, à l'occasion d'un colloque ayant pour thème "L'émotion poétique" (ce, dans la ville même de mes études secondaires, où j'avais mes habitudes : cette avenue descendue maintes et maintes fois, le long des fortifications, qui menait au port, à la vie maritime, au miel de la saison blonde et musquée, au grand air, à la vastitude). Voici:

BERNARD Lettre Univ.jpg

25 mai 2011


Relu ta Fauvette dans sa forme imprimée, cher Jeanpyer, et toujours à la recherche du mot qui saisirait la qualité que je ressens. Il y a toujours des dents serrées dans tes vers, ou derrière, mais qui mâchonnent le rythme pour bientôt le développer, l'affirmer. J'aime cette contradiction entre des syllabes libres, libres et une précision qui les contraint, les précipite, souvent les choque. Résultat : un élan qui, retenu dans le texte, fuse dans le regard du lecteur et l'oblige à scander l'effort d'articuler, de comprendre. La langue n'a jamais été plus réelle, plus matérielle, toute secouée de brusques ruptures et d'allitérations. Ce vers : "ensorcelant le dessous du silence" m'a servi un moment de clé d'écoute des "mots de la conjugaison", mais ce choix a été contesté tout de suite par "sous les toits" avec son rythme bref dénonçant "les appeaux". Bref, je commence et recommence mais suis, à la fin, chassé des explications vers l'ouverture que, sans cesse, tu déchires en moi pour et par l'abandon au mouvement inventif.

Merci, je t'embrasse

Bernard