02/06/2019
Pasolini à vif : Diérèse 48-49
Diérèse 48-49 : numéro double (printemps-été 2010), de 256 pages, 12 €, en grande partie consacré à Pier Paolo Pasolini :
Alors qu'en France Pasolini est surtout connu (célébré ?) comme cinéaste et parfois comme romancier, il est sans doute, en Italie, avant tout considéré comme un poète. Ce numéro de la "revue poétique et littéraire" Diérèse nous offre l'occasion de découvrir les poèmes d'une période cruciale de son existence. Alors qu'il enseigne à Casarsa, au cœur de son Frioul natal (lieu maternel, idyllique et comme encore intact), il est accusé de corruption de mineurs sur certains des élèves dont il a la charge - et doit alors, avec sa mère, se réfugier à Rome (notons qu'il est également exclu du Part communiste italien).
Les poèmes traduits ici, qui datent des années 1948-1953, témoignent donc des obsessions et tourments de la crise qu'il doit alors subir. La chair, il doit se l'avouer, est bien pour lui "sexe esclave" et le désir "blasphème", mais il s'interroge : a-t-il véritablement mérité le "lynchage" qu'il pressent - pour cet "amour contenu, étonné d'être une faute" ?
La solitude lui est à la fois une malédiction et un don - mais parfois le suicide menace, quand au-dessus de lui se dresse un "crucifix de honte". L'exil l'éloigne de la "jeunesse donnée et volée", des fêtes et bals campagnards, des "calculs de lumière" sur les rives du Tagliamento - mais la découverte de Rome donne naissance à des sortes de poèmes-paysages (tableaux à la fois vivants et figés par les métaphores), où le fantasme se mêle au réel dans "la fête du flâner et regarder". Écrire (c'est pour lui une pratique quotidienne, ces poèmes constituent un véritable Journal - ce sera leur titre) permet alors de cerner un peu mieux "la vie indicible" et de répondre à ce précepte intime : "Il faut brûler pour arriver / consumé au dernier feu".
Thierry Cecille
07:24 Publié dans Diérèse, Poésie italienne | Lien permanent | Commentaires (0)
30/05/2019
Jean-Gilles Badaire (qui a illustré "Diérèse" 52/53) **
La Beauté ne subsiste que dans le regard
Combien floues ces traces d'eau
sur les paupières fuselées des verrières
J'y sens lumière et nuit alterner
comme cerfs à l'aube entr'aperçus
dans l'échancrure des bois
là où les feuilles se font lit...
Daniel Martinez
Diérèse 31
11:00 Publié dans Arts, Diérèse | Lien permanent | Commentaires (0)
Vision de la poésie, par Armand Olivennes
Armand Olivennes, qui fut l'un des auteurs de Diérèse, et son approche du sujet :
Tout est poétique dans l'univers, souligne Platon dans Le Banquet, mais les poètes sont ceux qui se sont plus électivement voués à l'expression verbale de cette poésie universelle, notamment grâce à la prosodie. La poésie n'est donc jamais formelle. Des sensibilités au mythe cosmique, très différentes les unes des autres, s'y affirment et s'y affrontent avec plus ou moins de réalité personnelle, de talent et de plausibilité.
Se séparer des autres, et les rejoindre cependant, leur faire admettre une communauté, une sorte d'ensemble idéal, où tout ce qui ne tombe pas sous le sens, tout ce qui est obscurément hermétique, serait uni par la cryptologie de l'esprit, et par les mots, cette ambition a sa traduction dans les formes, la recherche formelle et dans le contenu thématique.
Cette assignation était encore claire quand une forme commune définie, une prosodie, sous-entendait, à la fois, l'égocentricité et le sentiment de communauté. Mesures, rythmes et rimes attestaient l'individu, la personne, par rapport au discours social, mais aussi l'appartenance de cet individu à une culture commune, à un mode de civilité.
Au XIXème siècle, ce principe de communication n'est plus devenu qu'une épreuve ; l'extériorité du Moi a subi trop de tortures, de trop violentes dénégations, pour s'y résigner et l'ensemble social a connu, malgré tous ses discours, plus de rupture que de communauté.
Deux courants de l'art poétique, souvent opposés, se sont alors constitués. Dans le premier cas, le Moi restait à deviner, à se définir, à se replier sur lui ou à se dilater à l'infini : poésie presque ou tout à fait autistique, avec ou sans des étais prosodiques, et les accents les plus irréfutables de la sincérité, de la détresse et du cri.
Le deuxième courant a maintenu sa (relative) cohérence, dans l'appartenance à une pluralité, en privilégiant ce qui fonde le lien communautaire, la foi, la lutte pour le progrès humain, la jouissance immédiate des biens terrestres, etc.
Armand Olivennes
07:09 Publié dans Diérèse | Lien permanent | Commentaires (0)