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21/12/2014

"Meidosems", éd. du Point du Jour, 1948

Livre fondamental, pour ne pas dire à mon sens le plus abouti dans l'oeuvre d'Henri Michaux, c'est effectivement Georges Raillard qui en a trouvé l'origine du titre, soigneusement choisi par l'auteur, le sème meido. J'y reviendrai naturellement. L'humour, l'ironie plus encore, pour donner moins de poids au Réel ; en ouvrant les portes d'un imaginaire actif.

La naissance de ce livre composé presque entièrement de textes inédits remonte à août 1945, le n°33 de la revue L'Arche, précisément (page 39 à 41). Des 6 textes de cette livraison, un seul sera repris dans Meidosems, avec 12 lithographies originales du poète, imprimées à même la pierre, en complicité avec l'atelier Desjobert à Montrouge. Le livre est tiré en octobre 48 à 271 exemplaires, ceux de tête ornés desdites lithos réimposées en couleur, de toute beauté. J'ai eu la chance d'en voir une à la vitrine d'une petite galerie en bord de Seine, dessin qui a disparu quelques jours après son exposition, acheté par un collectionneur chanceux. Cette litho avait, comme vous l'avez compris, été soustraite à un exemplaire de tête du livre, bien malheureusement.

Dans Dessiner l'écoulement du temps, repris in Passages (Le Point du Jour, 1963), Henri Michaux écrit, cernant de plus près cette morphocréation, où puise aussi son écriture d'alors :
"Les animaux et moi avions affaire ensemble. Mes mouvements, je les échangeais, en esprit, contre les leurs, avec lesquels, libéré de la limitation du bipède, je me répandais au-dehors... Je m'en grisais, surtout des plus sauvages, des plus subits, des plus saccadés. J'en inventais d'impossibles, j'y mêlais l'homme, non avec ses quatre membres tout juste bons pour le sport, muni de prolongements extraordinaires, suscités spontanément par ses humeurs, ses désirs, en une incessante morphocréation..."   

                                                                                  Daniel Martinez

04/12/2014

"En pensant au phénomène de la peinture", de Henri Michaux

Ce texte est intialement la préface du livre de Henri Michaux : Peintures et dessins (1946). Il sera repris dans Passages, éd. Gallimard, 1950, p. 93 et suivantes :

Dessinez sans intention particulière, griffonnez machinalement, il apparaît presque toujours sur le papier des visages.
Menant une excessive vie faciale, on est aussi dans une perpétuelle fièvre de visages.
Dès que je prends un crayon, un pinceau, il m'en vient sur le papier l'un après l'autre dix, quinze, vingt. Et sauvages pour la plupart.
Est-ce moi, tous ces visages ? Sont-ce d'autres ? De quels fonds venus ?
Ne seraient-ils pas simplement la conscience de ma propre tête réfléchissante ? (Grimaces d'un visage second, de même que l'homme adulte qui souffre a cessé par pudeur de pleurer dans le malheur pour être plus souffrant dans le fond, de même il aurait cessé de grimacer pour devenir intérieurement plus grimaçant.) Derrière le visage aux traits immobiles, déserté, devenu simple masque, un autre visage supérieurement mobile bouillonne, se contracte, mijote dans un insupportable paroxysme. Derrière les traits figés, cherchant désespérément une issue, les expressions comme une bande de chiens hurleurs...
Du pinceau et tant bien que mal, en taches noires, voilà qu'ils s'écoulent : ils se libèrent.
On est surpris les premières fois.
Face de perdus, de criminels parfois, ni connues ni absolument étrangères non plus (étrange, lointaine correspondance !)... Visages des personnalités sacrifiées, des "moi" que la vie, la volonté, l'ambition, le goût de la rectitude et de la cohérence étouffa, tua. Visages qui reparaîtront jusqu'à la fin (c'est si dur d'étouffer, de noyer définitivement).
Visages de l'enfance, des peurs de l'enfance dont on a perdu plus la trame et l'objet que le souvenir, visages qui ne croient pas que tout a été réglé par le passage à l'âge adulte, qui craignent encore l'affreux retour.
Visages de la volonté peut-être qui toujours nous devance et tend à préformer autre chose : visages de la recherche et du désir.
Ou sorte d'épiphénomène de la pensée (un des nombreux que l'effort pensant ne peut s'interdire de provoquer, quoique parfaitement inutile à l'intellection, mais dont on ne peut pas plus s'empêcher que de faire de vains gestes au téléphone)... comme si l'on formait constamment en soi un visage fluide, idéalement plastique et malléable, qui se formerait et déformerait correspondément aux idées et aux impressions qu'elles modèlent par automatisme en une instantanée synthèse à longueur de journée et en quelque sorte cinématographiquement.
Foule infinie : notre clan.
Ce n'est pas dans la glace qu'il faut se considérer.
Hommes, regardez-vous dans le papier.

                                                             Henri Michaux