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06/06/2018

Revue "La Bête noire", n° 2, 1e mai 1935, p. 2

Michel Leiris écrit au sujet de La Nuit remue de Henri Michaux :

     Henri Michaux est un poète, c'est-à-dire quelqu'un qui a son monde à lui et qui l'exprime, avec un certain souci de formuler, mais sans se préoccuper spécialement d'écrire des "poésies". Afin de s'y retrouver un peu dans le monde extérieur et de mettre un peu d'ordre dans cette affreuse pagaille (quitte à ce que cet ordre, qui lui est personnel, passe aux yeux des autres pour un bouleversement), il fait l'inventaire de ce que lui a laissé le grand naufrage. Pas de préciosités ni de finasseries, nulle tendance à l'étalagisme. Patiemment, avec un air obstiné de prospecteur, Michaux met au jour des cailloux, tirés du sol de son esprit.
     Il y en a d'émouvants, de burlesques, de rageurs, de biscornus, de scintillants ; différents, selon la chance des fouilles et suivant que Michaux aime, n'aime pas, prend le bateau, se sent tout seul, souffre d'un mal physique, dort, désespère, etc... Pas de larmes ni de sourire : imperturbable, il dépouille ses trouvailles de leur gangue terreuse et les range dans un coin, tel Robinson stockant ses trouvailles d'armes et d'outils. Le poème terminé, on a seulement l'impression d'un homme, somme toute content d'être sorti quasiment indemne d'un terrible accident. Et c'est en cela, à mon sens, qu'Henri Michaux est peut-être le plus poète : cette espèce d'étonnement avec lequel il dénombre son monde, comme quelqu'un qui n'en revient pas de pouvoir, un jour encore, compter ses abattis."

Michel Leiris

05/06/2018

Henri Michaux critique

Henri Michaux fut aussi critique, il me semble bien que La Pléiade n'a pas reproduit cet article dans le premier des trois tomes consacrés au poète, note pourtant parue dans la NRF d'avril 1935, n°259, p. 637. Est-ce que les rédacteurs actuels de notre presse dite "libre" laisseraient passer cette recension, malgré la grande verve moralisatrice qui nous vient d'outre-Atlantique ? Poser la question, c'est déjà y répondre... Amitiés partagées, DM

Moeurs et coutumes des basses classes de l'Inde, par le général Georges Mac Munn (éd. Payot) :

Un général, commandant aux Indes, est exposé à recevoir une lettre une lettre comme celle-ci :

"Monseigneur,

Pendant quinze ans, j'ai été femme pour soldats britanniques et personne ne s'est jamais plaint de moi. Maintenant, B..., ce sergent de bazar, m'accuse d'"impureté".
"Si votre seigneurie veut arrêter cette injustice, je prierai toujours pour sa prospérité.
Toujours de votre Seigneurie la prostituée fidèle

Habida

     J'imagine qu'une lettre pareille est capable de faire réfléchir un officier britannique à certaines choses, qui, pour lui, en Angleterre, fussent toujours restées dans l'ombre.
     Le général Munn donne même l'impression d'être mieux informé des mœurs réprouvées et des classes méprisées des Indes que de celles de Grande-Bretagne. Mais il manquait sans doute de relations personnelles dans ces milieux, car son livre, involontairement "de haut en bas", malgré un ton loyal et simple, ne contient guère d'informations de première main.

Henri Michaux

01/06/2018

La perception du moi dans l'espace, par Henri Michaux

On est peu de chose. Notre idée de l'espace, notre impression d'une nouveauté en art, une artériole bouchée, peuvent en être la cause. Michaux l'a éprouvé un jour au cinéma (Une foule sortie de l'ombre). Le film l'avait étonné par ses déformations d'images. Cet "infini s'abouchant avec le fini et s'y écoulant", n'était-ce pas l'explosion cubiste en peinture ? Or Michaux souffrait simplement d'un trouble circulatoire de l’œil. Il en fut quitte pour l'éblouissement. La révolution du septième art, ce serait pour une autre fois !

Un état d'âme, une saute d'humeur peuvent aussi modifier nos perceptions. Dans un hôtel moderne, par grosse chaleur, le poète éprouve comme un remords, une légère hostilité ; et voilà que la réalité se mine, la ville se désagrège. Une autre fois, ce sera l'inverse : un petit instrument de musique africain, dont Michaux n'avait perçu jusque-là qu'un : "cra-cra dévastateur de corbeau", sans note concertante, des "torchons sonores", lui est devenu supportable, presque suave, grâce au découragement rageur, batailleur, où il l'a plongé. Une lame plus crissante que d'autres, évoquait et provoquait chez lui le refus de s'attendrir (si fréquent en musique), à vaincre une incrédulité première, pour entrer dans le réceptif...

L'âme du poète est plus insatiable que le corps, mais elle hérite de sa maladresse. Par horreur de la routine pétrifiante, elle se laisse envahir, traverser, dissoudre, métamorphoser, martyriser. Le moi devient ingérable. Même le je qui tient la plume doute de sa réalité, de son pouvoir.

Les malheurs de Plume (à prendre dans tous les sens du terme : ce qui est léger d'apparence mais aussi ce qu'anime la main du scripteur) mettent en comédie toute intériorité dans ce qu'elle a d'inassemblable, nostalgique, et inquiète d'une plénitude possible. L'Autre n'est pas plus rassurant, avec son visage sans cesse braqué, tonnant. Comme pour ce qu'il en est des voyages dans leur effet délocalisateur, nos semblables ont surtout le mérite de nous donner le sentiment d'être étranger à nous-même. DM

 

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Henri Michaux, gouache inédite, 24 x 32 cm, 1951


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Double portrait, photo de Claude Cahun