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30/07/2021

"Poteaux d'angle", de Henri Michaux, éditions Gallimard, 8 janvier 1981, 94 pages, 13,90 €

Un livre majeur de Henri Michaux, qui s'est écrit en l'espace de 10 ans, chez 3 éditeurs successifs (éditions de l'Herne, 29 janvier 1971, 38 pages ; Fata Morgana, 6 octobre 1978, 76 pages ; Gallimard, 8 janvier 1981, 94 pages). L'un de mes livres de référence, j'y puise les ressources nécessaires quand ce que charrie à l'envi ce siècle vingt-et-unième m'exaspère "un peu" trop. A ses côtés, j'ai logé Coups d'arrêt, paru au Collet de buffle le 31 octobre 1975, une plaquette de 16 pages agrafées, à la couverture rouille clair ; l'électricité statique qui s'en dégage est si vive que je le range toujours (après de multiples lectures) à la même place, non sans quelque soulagement.
... Ce qu'a écrit à Michaux Robert Valençay le 23 juin 1971, après la première publication de Poteaux d'angle, mérite ici d'être cité, car ce n'est pas de pure forme, comme chez certains gens-de-lettres :
"Les poteaux sont bien là, certes. Mais les lignes d'angle, à l'intersection desquels ils sont fichés n'en sont pas moins perceptibles, aussi bien dans le domaine auditif que visuel. Et elles évoquent soudain pour moi cette sorte de bataille de traits que jadis se livrèrent Apelle et Protogène.

Vous avez su tracer ici, sur le ou les traits que nous proposent tant de philosophies douteuses, une ligne, plus déliée encore, une ligne qui fulgure à froid pour ne garder que l'essentielle pureté.
Vue sous un fort grossissement, cette ligne est une veine à nu de vif-argent qui remonte impassiblement, au milieu du fleuve, le courant vain des scories qui l'entourent.
Mais ne serait-ce pas là le mercure philosophal ?" (Henri Michaux, Œuvres complètes, La Pléiade, tome 3, p.1729).

Voici :

Communiquer ? Toi aussi tu voudrais communiquer ?
Communiquer quoi ? tes remblais ? - la même erreur toujours. Vos remblais les uns les autres ?
Tu n'es pas encore assez intime avec toi, malheureux, pour avoir à communiquer.

Nouvelles de la planète des agités : avec un fil à la patte, ils filent vers la lune, avec mille fils plutôt, ils y sont, ils alunissent et déjà songent à plus loin, plus loin, à des milliers des milliers de fois plus loin, attirés par le désir nouveau qui n'aura plus de fin, dans un ciel de plus en plus élargi. Cependant sans s'arrêter, des masses immenses dans les espaces tournent à toute vitesse, s'écartent, se fuient, s'attirent, s'équilibrent, orbitent, muent, géants de matière au paroxysme, jusqu'à explosion, jusqu'à implosion, luttant, enragés d'existence, l'existence pour l'existence, pour pendant des milliards d'années continuer à exister, étoiles de toute sorte et galaxies, elles aussi entraînées à exister.
Mais pourquoi donc ? Pourquoi ?

Suicide en satellite.
Celui qui repassera sur cette orbite entendra d'étranges sons : sur des millions de kilomètres d'espace sans personne, un cosmonaute fantôme, sa préoccupation inapaisée, frappe perpétuellement un dernier message qu'on ne s'explique pas.


Henri Michaux

16/05/2021

12 février 2008 : La vente de la bibliothèque de Gwenn-Aël Bolloré, avec Henri Michaux en vedette !

Ce fut le rare moment de brouhaha dans une salle pleine et attentive, plus de trois heures et demie durant, chez Sotheby's, mardi 12 février 2008, de la bibliothèque de Gwenn-Aël Bolloré, pour un montant total de 1,43 million d'euros : l'enchère de 120 000 € (plus les frais) atteinte par les quinze pages d'écriture tracées par Henri Michaux sous l'empire de la mescaline pour être insérées dans Misérable miracle - record absolu pour une œuvre, graphique ou littéraire, de l'auteur de Connaissance par les gouffres. La photographie de Michaux prise par le papetier breton sur le perron de la demeure familiale, près de Quimper, qui lui avait valu les reproches du Barbare en Asie ("Vous m'avez volé mon âme"), n'a obtenu que 1 600 € (estimée à 2000-2500 €).
En revanche, les prix de la plupart des œuvres de Michaux, soit plus de 50 numéros sur une vente qui en comptait 243, se sont envolés : 32 000 € pour les dessins destinés à illustrer Entre centre et absence, 26 500 € pour une édition accompagnée d'un pastel des Meidosems, tandis que Nous deux encore, un texte écrit par le poète après la mort tragique de sa femme et qu'il ne voulut jamais rééditer, obtenait 6 500 €, très au-delà de ce qui était annoncé.
Le début de la soirée avait vu les Chants de Maldoror, illustrés par Salvador Dali, adjugés 340 000 €, tandis que l'intrigant carnet noir contenant des poèmes de jeunesse d'André Breton et ayant appartenu à Eluard, partait à 25 000 €, en dessous de l'estimation basse. Souvent, le dire des experts a été contrarié : vers le haut pour un des six cents premiers exemplaires d'Histoire d'O (de Pauline Réage, alias Dominique Aury) sous une reliure rose et or, qui enflamma les amateurs à 17 000 € (plus de 10 fois l'estimation haute) ; vers le bas, pour le dernier manuscrit de Céline encore en circulation, celui de Nord (1959), mis sous cuir avec une inscription en forme d'exorcisme par le collectionneur-résistant qu'était Bolloré, et qui fut adjugé, au téléphone, à 360 000 € (au lieu des 400 000 à 600 000 annoncés). Si des bibliothèques municipales bretonnes (Saint-Brieuc ou Quimper) ont préempté des ouvrages de Louis Guilloux ou de Max Jacob, aucun représentant de l'Etat n'a fait de même.

La dispersion d'une bibliothèque n'est pas une vente comme une autre. On y feuillette une dernière fois les pièces réunies au long d'une vie de courage (l'engagement à 17 ans du jeune Gwenn-Aël qui rejoint l'Angleterre sur un voilier et revient dans le premier groupe de Français qui débarquent le 6 juin 1944) et de passion. Celle qui mène le papetier à prendre la tête, dans les années 1950, des éditions de la Table ronde, qui publieront notamment Boris Vian (L'Arrache-Coeur, 1953, parti à 6 200 €), puis les "hussards", Blondin, Nimier, Laurent et Déon.
Ce sera la partie moderne de la vente, annoncée par des œuvres de Bernard Franck, auteur de la formule "hussards" dans un article des Temps modernes paru en 1952. Son manuscrit intitulé Israël, d'une écriture ronde et serrée, sera emporté pour 19 000 € (estimation haute à 1 200 €), et l'édition reliée des Rats (1953) atteindra 1 100 € (estimée 300-600 €). Un important lot de manuscrits et tapuscrits de Roger Nimier (1925-1962), était très attendu. Si ce bel ensemble n'a pas suscité des records d'enchères (14 000 € au téléphone pour Amour et Néant, estimés entre 18 000 et 24 000), la présence palpable du travail d'un écrivain et de l'amitié qui le liait à son éditeur était renforcée par la silhouette discrète au fond de la salle de son héritière spirituelle, l'écrivain Marie Nimier.


Michèle Champenois

27/02/2021

Le dernier livre du vivant d'Henri Michaux : "Avec l'obstacle", éditions L'Ire des vents, 17 août 1984, 50 exemplaires à grandes marges, sur Vélin d'Arches

Curieusement, ce livre n'apparaît pas dans La Pléiade (tome 3). Et pourtant il a bien existé ! Mais au juste, quelle en est l'origine ?
Henri Michaux s'est intéressé jusqu'au bout au monde des revues, qui constituaient pour lui un terrain d'essai avant la publication en livre. C'est dans les toutes dernières semaines de sa vie qu'il se tourne vers la revue "Nulle part", une publication dirigée par Jean-Louis Clavé, Bernard Noël, Serge Sautreau et André Velter (1983-1986, 7 numéros parus).
En octobre 1984, dans son numéro 4, "Nulle part" publie un ensemble de poèmes de Michaux intitulé "Postures privilégiées" (signalons que l'illustration de couverture de cette revue, du n° 3 au dernier, était de l'auteur de Plume).

Ces textes ont ensuite été repris sans modification dans Avec l'obstacle, recueil édité par l'Ire des vents : en voici un, saisi plus bas. Post-mortem, les éditions Gallimard publieront ces textes regroupés sous le titre "Postures", en fin de volume, dans Déplacements, dégagements (23 janvier 1985) - ouvrage présenté parfois comme son dernier livre (sic). Pour rappel, le poète s'est éteint le 19 octobre 1984.

En ce jour, une pensée particulière pour Bernard Noël, un auteur de "Diérèse", entre la vie et la mort.

*

Fumée

La fumée qui sort de la maison étroite
comme elle s'étire, comme elle s'élève
en bourrasques, en tourbillons
et puis toute droite


irrattrapable


Libérée du poids de la Terre
des remontrances de la Terre,
des réseaux


Là où les têtes commandantes n'ont plus accès


Maison d'en bas, comme si elle n'était pas
Fumée oublie
Les proches, Qui est proche ?


Henri Michaux