17/11/2015
Jules Mougin, le poète facteur (1912-2010)
Ce qu'il écrivait dans Diérèse opus 12 (hiver 2000), à entendre bien entendu en mode inversé, ou au mieux en mode dégradé, comme la dure condition humaine :
Son portrait, par Pacôme Yerma :
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"Usines, Récits de jeunesse", de Jules Mougin, éd. Plein Chant, 1975
Un auteur de Diérèse, qui nous parle ici de sa jeunesse :
Paris et la cour du Dragon
Une soeur à ma mère habitant la cour du Dragon nous avait trouvé là une pièce, de proportions moyennes, au troisième étage, n'ayant qu'une fenêtre. Les yeux plongeaient dans la cour qui connaissait alors une grande animation à cause du nombre des locataires, ensuite parce que cette cour communiquait à la fois avec la rue de Rennes et avec la rue du Dragon. On pouvait aller de l'une à l'autre sans passer par le boulevard Saint-Germain. Elle était, alors, en pleine prospérité... Ce qui frappait - d'abord - c'était le boucan, le bruit d'orage qui, du matin au soir - sauf le dimanche - emplissait cette cour (le bruit d'enfer vous suivait jusqu'aux cabinets), cette ancienne caserne, disait-on, visitée souvent par des étrangers...
Il y avait là le loueur de voitures à bras, le fumiste, le chaudronnier, le marchand de vélos et de motos. Toutes les remises étaient occupées. Elles servaient de garages, de dépotoirs. Dans l'une d'elles, un magasin d'alimentation déversait ses caisses vides, ses boîtes de conserve, ses culs de bouteilles et la paille de ses emballages.
Nous étions les hôtes d'une cour sale, puante, tintamaresque, juste à deux pas du boulevard Saint-Germain. Toute la fine fleur du fameux faubourg ignorait cette cour et ceux qu'elle abritait.
Sous l'immense porche donnant sur la rue de Rennes, trônaient dès la venue du soir, six à huit poubelles majestueuses. On pouvait les voir le lendemain à l'aube remplies jusqu'au bord et, aussitôt qu'elles étaient vidées, charrettes et marteaux, chaudrons de cuivre et tuyaux de poêle, tout ça se mettait en branle. On rivait, on martelait. Les roues des voitures sautaient sur le pavé de la cour et le motoriste essayait ses machines.
On déménageait souvent, on réaménageait pareil. Des figures nouvelles, un va-et-vient continuel. Des fois, le pavé servait de lieu de rencontre à de petits pugilats sans importance. L'art y venait aussi. Il y trouvait un côté pittoresque loin d'être dédaigné par les peintres. Le touriste photographiait les deux tours. Tout le sixième arrondissement y venait perdre ses chats...
Jules Mougin
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05/11/2015
Les poètes et la Résistance : Robert Desnos (1900-1945)
Mort en déportation le 8 juin 1945, le dernier de ses livres que le poète ait pu voir publié est un récit sur la drogue « Le vin est tiré » (1943). "Il me reste d'être ombre parmi les ombres", écrit-il dans son dernier poème adressé à sa femme, texte recueilli par un infirmier tchèque, à Térézin, alors qu'il était mourant.
Robert Desnos, qui était entré dans la Résistance en 1942, donne à lire dans son livre paru en 1943, « État de veille » – publié par Robert J. Godet – certains de ses poèmes à la lumière des luttes pour la liberté engagées dans les années 1930 et atteignant leur point critique sous l’Occupation. C’est particulièrement le cas pour l’« Histoire d’une ours », une pièce de 48 vers en 16 tercets, dont vous voyez reproduite la première page, dans son état manuscrit.
On remarquera qu’initialement, il s’agissait d’un ours, mais il y eut plus tard désir chez le poète de rapprocher, par choix polysémique, le plantigrade de la fameuse constellation.
Dans sa préface à « État de veille », Robert Desnos écrit : « Ce n’est pas la poésie, qui doit être libre, c’est le poète ». Son recueil réunissait deux séries de pièces : quelques « couplets » destinés à être mis en musique avaient été écrits en 1942 dans une facture relativement classique inspirée de Nerval et Góngora, tandis que des « poèmes forcés », selon son expression, avaient été composés en deux temps, d’abord lors de séances journalières auxquelles le poète s’astreignit en 1936, puis en 1942 par un travail de réécriture à tête reposée. Quelques-uns de ces poèmes ne sont pas datés, dont « Histoire d’une ours ». DM
Voici la version définitive de la première strophe :
Une ourse fit son entrée dans la ville.
Elle marchait pesamment
Et des gouttes d’eau brillaient dans son pelage
Comme des diamants.
Et celle de la troisième :
La foule passait,
Nul ne la regardait
Et même on la bousculait
Il y aura cependant peu de variantes dans l’édition définitive, où l’on peut lire :
Que l’on te pare d’étoiles
Et que, du fond de leur geôle,
Les prisonniers te voient passer devant le soupirail
…
J’entends des pas lourds dans la nuit,
J’entends des chants, j’entends des cris,
Les cris, les chants de mes amis.
Leurs pas sont lourds
Mais quand naîtra le jour
Naîtront la liberté et l’amour
…
Grande Ourse au ciel tu resplendis
Tandis que j’écoute dans la nuit
Les cris, les chants de mes amis.
Robert Desnos
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