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10/07/2015

Les "Sonnets" de Shakespeare traduits par Pierre Jean Jouve

Après vous avoir donné à lire un des fameux Sonnets de Shakespeare, traduit par Bertrand Degott (note blog du 26/6, sonnet 99) puis par Jean Rousselot (note blog du 02/7, sonnet 1), voici à présent la translation de Pierre Jean Jouve, qui prend soin d'expliquer son parti-pris.
A signaler dans le numéro 65 de Diérèse qui va vous arriver tout prochainement un édito d'Alain Fabre-Catalan qui traite, avec esprit, de la traduction : à lire avec attention.

   Pour l'heure, la question suivante était posée à l'auteur de Sueur de Sang :
   - Vous n'avez pas répugné à plier souvent votre écriture à l'exercice ingrat de la traduction. Quelle était sa part dans votre travail ?

   - P. J. Jouve : Une part très importante. J'ai pris le problème avec une sérieuse passion. J'ai une théorie sur la traduction poétique, qui doit avoir ses règles, non encore formulées. En poésie, il ne s'agit pas tant d'attirer le texte étranger en France, que de porter la langue française au poème étranger. Ne pas amener Shakespeare à être, parler parisien, mais saisir, en français de Paris, le démon shakespearien.
Il faut donc nécessairement être poète et traduire en poésie. Une traduction de Shakespeare en prose est perdue d'avance. J'ai fait, avec Roméo et Juliette, une première tentative de trouver, dans un langage poétique, le secret étranger.
Avec les Sonnets, je me suis trouvé exposé au byzantinisme des professeurs shakespeariens (aussi redoutables que les dantologues). Mes Sonnets avaient renoncé à la versification, tant il était impossible de traduire le vers anglais dur et précieux, construit généralement sur des mots monosyllabiques. J'avais inventé alors une chose particulière : une prose contenant des éléments métriques très sensibles, l'enveloppe d'un autre système de vers.
Cette traduction des Sonnets de Shakespeare, en dépit des avanies qui lui furent faites, a paru au Mercure de France, en compagnie de Roméo et Juliette. Voici :

     "Ne me pleurez pas plus longtemps, quand je serai mort, que vous n'entendrez la lente lugubre cloche, donnant avis au monde que j'ai fui, du monde vil pour habiter aux vers encor plus vils.

     Non, ne rappelez pas, si vous lisez ma ligne, la main qui l'a écrite ; tellement je vous aime, que dans vos doux pensers voudrais être oublié, si de penser sur moi vous ferait lamenter.

     Oh, je dis, si vous regardez ce poème, alors que je serai confondu à la glaise, n'allez point jusqu'à redire mon pauvre nom, mais laissez votre amour avec ma vie périr ;

     De peur que le bon monde ait regard sur vos peines, et vous raille de moi quand je serai parti."

             Shakespeare, Sonnets LXXI, translation de Pierre Jean Jouve

03/07/2015

"Proses bien déprosées", de Michel Bulteau et Matthieu Messagier

Je ne vous apprends rien, Diérèse 64 a donné la parole à Matthieu Messagier qui nous a offert 24 pages inédites de son Journal : "Les arts blancs de la varicelle (Débris d'un journal éperdu)", voici à présent un extrait d'un livre édité par Electric Press le 8 juin 2001 à 300 exemplaires, livre conçu à deux mains, que Matthieu a écrit avec Michel Bulteau, écoutez plutôt :

     " - Passy c'est tout de même moins loin que Bir Hakeim...
     D'intenses jeunes gens en pantalons de poésie tergal ne laissent d'empreintes sur l'acoustique et les fausses portes des rives et des labyrinthes de chagrin. Sur les ondes traînent d'authentiques scènes blanches. Dans l'auberge aux images, on ne célèbre plus aucune fête. Je suis même sûr qu'ils ont décroché du mur tous ces merveilleux poèmes d'Orient qui dormaient sous verre.

     Un chien empaillé compte les points. Que le match ait été un bon match, tout le monde en reste persuadé. Un noyé avec des épaulettes flotte devant des blés d'or. Déguisement d'accord, mais déguisement quand même. Escalade du pénible massif de l'appréhension. La langue du lézard ne prend pas part au procès.

     Orchidées au-dessous de la morale saisonnière ; nous entrions, de nombreuses années plus tard, aux rideaux aubifères d'une île particulière, dont le nom parfumé ne figurait plus depuis longtemps au bruyant dictionnaire des sensations et des conversions."

                                                        Michel Bulteau et Matthieu Messagier

09:41 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

01/07/2015

"Guidée par le songe", de Béatrice Beck (1914-2008), éditions Grasset

Guidée par le songe rassemble l'intégralité des nouvelles écrites par Béatrice Beck, soit Recensement (1991), Vulgaires vies (1992), Moi ou autres (1994) et Prénoms (1996). L'univers exploré par ces courts récits présente une variété d'autant plus déconcertante que le style, primesautier, jamais ne s'appesantit. Difficile donc de cataloguer un écrivain qui s'attache avec un égal intérêt à brosser la vie de bourgeois, de commerçants ou de petites gens, à faire parler les morts, les gargouilles et les nains de jardin !

Une catégorie de nouvelles, qu'on pourrait qualifier de réalistes, évoquent couples et familles rassis par le gain et l'indifférence (Triplex, Bazar Demême, Un couple imparfait). Chacun se débat seul jusqu'à la mort qui ne fait verser que larmes de crocodile. L'affection se niche là où on ne l'attend pas : Stanislas Lenclume, octogénaire amoureux d'une gargouille, la dactylographe attachée au lézard de passage dans sa maison, Marjorie entichée de sa belle-fille. Quant aux gens de peu, clochards ou presque, on se souvient d'eux comme les enluminures des vies de saints. La vie défile et personne n'a le temps de s'attarder. Béatrice Beck fait le recensement des mille et une manières d'agrémenter les jours jusqu'à l'échéance ultime.

Chacun y va de ses rêves, désillusions, expédients et philosophie de quatre sous. La réalité est souvent grinçante et c'est le style qui fait avancer la pilule. Les jeux de mots et dictons populaires façonnent un style proche de l'oral. Béatrice Beck possède une verdeur, une saveur acidulée qui fait sourire des situations sordides. L'auteur décrit l'humanité par le petit bout de la lorgnette, sans en avoir l'air, comme un passant distrait qui commente le monde sans se prendre au sérieux. Et pourtant tout est là des vies ordinaires, étriquées ou illuminées par une grâce modeste, tout y est jusqu'aux faits divers, réels ou inventés.

D'autres nouvelles relèvent du genre merveilleux. Elles bousculent les certitudes, questionnent avec légèreté le sens de l'existence. Les morts se mêlent de dire leurs quatre vérités aux vivants, l'âne et le boeuf de la crèche philosophent, Dieu et Adam devisent, un personnage perd son identité, un autre se prend pour le Créateur. Les enfants n'en finissent pas d'interroger les adultes que tant de curiosité embarrasse, eux qui ont depuis longtemps cessé de se poser des questions. Qu'il s'agisse du temps, de la mort ou du sexe, il est toujours question de l'Autre, c'est-à-dire de Dieu dont le silence ou l'absence scandalise. Le sacré se cache dans la générosité et la fantaisie des coeurs simples qui tentent de s'accommoder des finitudes humaines.

                                                                                                    Anne Thébaud

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