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03/09/2021

Poésie cubaine : Elmys García Rodriguez (traductions inédites de Pacôme Yerma)

Un instant qui pourra imprimer sa marque au silence

J'ai commencé
à marcher sur mes pas
à l'extrême limite de tout,
portée par ce paysage même
qui peu à peu s'est substitué
à mes paroles.
M'arrêtant devant le mur
d'une ville invraisemblable
qui rendait visibles
mes fantasmes,
mon espace lunaire
a clos peu à peu le cercle
de l'hiver humide,
lointain paysage
qui grandit dans les vitraux
d'une autre époque,
cycle de lumière déployé sur ma tête,
comme la saison tardive
sans cesse m'arrête là
dans la quiétude de mes pas.
Si tu pouvais toi y arriver
là où naissent mes racines
et derrière les miroirs
éclipser mes tristesses,
si le temps pouvait se fragmenter
laissant paraître
mes questions essentielles !
Si tu pouvais être le silence
que je recherche
dans la pleine lumière du temps
là où d'ordinaire s'accordent
la raison et l'espérance.

* * *

C'est là même que s'ouvrent tous les chemins

Par la porte est descendue la lune
qui s'est laissée choir devant mon lit,
une petite lampe m'assure
que cette nuit les ombres
empliront ma maison
pendant que j'attends l'homme
qui m'écrira sur les épaules
et aura disparu
en me laissant ses poignards
près de la porte,
les mains marquées
par l'empreinte du temps.
Les ombres accusent les formes de mon corps
le poisson qui surgit de ma bouche
glisse entre mes jambes,
c'est de lui que le chemin s'échappe
entre les mains d'un visage nouveau venu,
la nuit tombe sur moi
et j'allume ma lampe,
mes bras s'ouvrent pour t'accueillir
tes seules absences tiennent dans mon poing.
Ma solitude va grandissant
dès l'instant où tu t'éveilles à l'aube,
j'ai souvenir de mon oreiller vide,
de mon amertume la matinée durant,
le corps glacé
par tant d'attente,
je me demande si
ce qui tressaille ici au-dedans
ne serait pas le galop de tel animal.
C'est là même que s'ouvrent
tous les chemins,
tous les centaures
finissent dans cette étendue léthéenne
d'eau et de cendres,
j'ai cessé alors de regarder tes mains
et tous deux sommes restés là, les bras croisés
face à l'infini.

Elmys García Rodriguez
Holguín, 2002
traduite par Pacôme Yerma

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19/08/2021

"Dans l'œuvre du monde" : Mario Luzi, trad. de Philippe Renard & Bernard Simeone, éditions La Différence, coll. Orphée n°79, 3/12/1994, 125 pages

En mer


Au point le plus haut
où la science est oubli de tout savoir
et certitude, me dit-on,
certitude irréfutable venue à notre rencontre

où dans le temps suspendu au fil
d'un regain d'enfance,

entre sommeil et veille, entre innocence et faute,

là où se trouve et ne se trouve pas notre œuvre voulue et choisie.

"La santé de l'esprit
est là", dit une voix
que j'affronte depuis des années,
une voix aujourd'hui de sirène.

Nous naviguons entre Sardaigne et Corse.
La mer est agitée
et le bateau piquant du nez dérive.
L'équipage dort. Mais deux hommes
veillent dans la demi-lumière de la passerelle.
Août a pris fin. Nous sommes à la rupture des temps.
C'est une nuit vivante.
Vivante plus que cette nuit,
vivante à me serrer la gorge
est la muette confiance
de ceux-là qui dorment
assurés dans la main des autres
et de ceux-ci qui n'abandonnent ni la manœuvre ni le calcul

alors que d'un point obscur de la côte elles prient
pour leurs hommes en mer, alors que des abords
du Rhône arrivent quelques rafales.


Mario Luzi

trad. : Philippe Renard et Bernard Simeone

17/08/2021

"Fame e altri testi"/ "Faim et autres textes" : Filippo de Pisis, traduit par André Pieyre de Mandiargues

Il lamento della dormiente


I lamenti notturni nella "città patetica" assumono una tristezza lacerante. Passando per la strada dove le case (forse in questa sembra proprio d'essere a Bruges) rigide, tetre si stringono l'un l'altra, da una bassa finestra con una tenda bianca che si agita appena misteriosamente, tu senti l'anelito di una dormente che ti trafigge l'animo come l'urlo della tua coscienza offesa. Poi tregua, e la notte sembra ammantarsi di gravità e di mistero. E di nuovo alterne voci di galli o capponi centenari bianchi e catarrosi come senatori antichi nei pollai, vanto delle Signore Caterine e Mariucce.

* * *

Le gémissement de la dormeuse


Les gémissements nocturnes, dans la "cité pathétique", sont chargés d'une tristesse déchirante. En passant dans une rue (celle-là peut-être où l'impression d'être à Bruges est plus forte) que bordent en rangs pressés des maisons sévères et sinistres, d'une fenêtre basse dont remue un peu étrangement le rideau blanc, tu entends haleter un souffle de dormeuse par lequel ton âme est navrée comme par la voix de ta conscience en courroux. Trêve ensuite, et la nuit semble se draper de gravité et de mystère. Et puis voilà des cris alternés de coqs et de chapons centenaires, catarrheux et blancs comme d'antiques sénateurs de poulaillers, orgueil de dames Caterina et Mariuccia.

Filippo de Pisis
traduit par André Pieyre de Mandiargues

Luigi Filippo Tibertelli de Pisis, né à Ferrare en 1896, est mort à Milan en 1956. A la fois poète et peintre à la mélancolie crépusculaire, il rencontre De Chirico, Savinio et Carrà en 1916. En 1923, à Assise, il approfondit l’œuvre de Giotto. Dandy et bohème, c'est en 1925 que De Pisis s'installe à Paris pour y demeurer jusqu'en 1939. Son œuvre picturale, reconnue en Italie, n'a pas été exposée en France depuis les années cinquante.
D'une œuvre écrite foisonnante, peu ou prou introuvable, on extraira son
roman à caractère autobiographique, publié post mortem : Le memorie del marchesino pittore, inscrit précisément dans les limites chronologiques du séjour parisien. Cet ouvrage est inachevé, à l'image de bien d'autres textes esquissés par l'écrivain, nés au fil de l'eau (dont "Faim", ici exhumé), par un auteur qui pensait que sa poésie le rendrait célèbre alors qu'il le fut en son pays comme peintre.
Des milliers de pages (poésies ou proses, journaux intimes, innombrables lettres) demeurent inédites et seuls quelques spécialistes (comme ses deux biographes, Nico Naldini et Sandro Zanotto) y ont accès.

Sa bibliographie en français :
. La petite bassaride, éditions de L'Herne, 17/5/1972, traduit par André Pieyre de Mandiargues
. Onze plus un poèmes, éditions Fata Morgana, janvier 1983, traduit par André Pieyre de Mandiargues
. Luigi B., éditions du Rocher, février 1995, traduit par Sibylle Tibertelli (un roman de jeunesse)
. Choix de poèmes, éditions Conférence, 12/7/2010, traduit par Franck Merger