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18/07/2020

"Carnet du soleil", de Christian Bobin, éditions Lettres Vives, 64 pages, février 2011, 13 €

Quand la photographie n'existait pas, il y avait pour se souvenir des disparus leurs portraits peints - et plus précise encore, la visionnaire douceur de vivre. Une congrégation de violettes dans un sous-bois, le télégramme ensoleillé d'un coucou, la jetée de la pluie contre les vitres : la vie élémentaire éclaire en gloire la vie profonde. Les lointains et les proches, les disparus et ceux qu'on retrouve à table sont si peu séparés qu'ils se frôlent tout le jour dans la chambre de l'invisible. Au sol un carreau manque. Il suffit de le savoir, de faire attention. C'est le carreau de la mort.


Ce poème était si beau qu'arrivé à la fin de ma lecture j'ai eu envie de remercier son auteur. Mais comment remercier un mort ? L'essentiel, personne ne nous l'apprend. Je me suis contenté de lever la tête de la page et de regarder en souriant la fenêtre brûlante de nuit.

 

Christian Bobin

ABEL 2.JPG

Collage de Daniel Abel

17:03 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

16/07/2020

"Hiver", de Jean Grosjean, éditions Gallimard, 9 novembre1964, 32 pages

De ses yeux à la merci d'un soleil précaire, le poète interroge dame Nature, les bouffées lentes des nuages comme "le silence énorme au-dessus". Nul désir pourtant de poétiser chez Jean Grosjean, mais celui d'approcher à pas menus la fine demeure de la langue conçue comme une confidente :

 

Tu te cachais au fond de tes yeux sans regard,
tu te vêtais de verglas et de songeries,
tu fus atteinte à coup sûr aux portes du cœur :
ta hanche de buis s'est défaite des frimas,
tes sillons secouent leur pénombre ruisselante.


L'archer te contemple à présent de son œil glauque.
Écoute comme tremble encor sa corde d'arc
et les heurts mouillés des débâcles au ruisseau.
Qu'au moins le zéphyr te console d'être nue.


Et vous dernières blancheurs, si du bout des doigts
le soleil vous frôle aux naissances des collines,
retirez-vous en pétales parmi les haies
sous la mésange qui laisse égoutter ses notes.

 

Jean Grosjean

03:32 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

15/07/2020

Une lettre de Jean-Marc Thévenin à Diérèse, 1er octobre 2008

thevenin.jpg

Troyes, le 1 octobre 08.

 

     Cher Daniel,

en contrepoint à ce courrier d'avril j'aimerais préciser, au moins pour moi-même cette question que je me pose du rapport poète et vie. Je relis "Les lettres à un jeune poète" de Rilke qui insiste sur la solitude du poète et l'indispensable écoute de soi.

Alors oui je ne vais pas la renier cette solitude où un vers parfois, parfois un seul mot surgi de nulle part éclaire mes matinées d'écriture, mais la vie est là, à la porte en un conciliabule que je ne peux/ ne veux qu'atteindre.

J'interroge les poètes qui ont mêlé la vie et la poésie. Maïakovski bien sûr, Cendrars et puis de l'autre côté les puristes, inscrits dans le silence et le blanc.

Mais certainement n'y a-t-il là rien à rationaliser, puisque c'est la vie elle-même qui dicte, ou bien les silences ou bien les rumeurs de la ville.

J'ai longtemps pensé que l'écriture elle-même contient la vérité de la vie, quelle prétention. Cependant je persiste en cette dépendance ontologique dès lors que peut-être jouant sur deux tableaux, je cherche, esprit scindé là où la neige est vierge, la seule réalité de l'écriture.

Amitié.

Jean-Marc Thévenin

 A publié "Une robe d'abeilles" aux éditions Les Deux-Siciles, collection Le décret acoustique, juin 2004.