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20/07/2020

"Tumulus" de Jean-Loup Trassard, orné de neuf photographies de Jean-Philippe Reverdot, éd. Le Temps qu'il fait, 3/5/1996, 48 pages, 99 F

Ils chargeaient les dromadaires, serraient les cordes, se joignaient en caravanes, chaque automne ils partaient échanger vers le sud, loin, les plaques de sel cassées aux salines. Plus de cent chameaux de bât parfois, conducteurs sur leur méhari, longue file, des jours et des jours, tantôt sable, tantôt pierraille. Femmes, enfants et vieillards gardaient les chèvres autour des tentes de cuir beurré soutenues par des racines d'éthel. Les caravaniers n'avaient qu'un peu de farine, des dattes, les outres pleines pendues à leur selle. Ils cheminaient au pas feutré presque silencieux des chameaux, sable soyeux brûlure cailloux sonores, caravane attachée le soir à la pâle lueur d'un feu. Les cuirs grinçaient, bêtes maugréaient, hommes - vêtements clos, visage caché, tout contre leur souffle le grand halètement chargé de sable - les hommes se taisaient, solitaires, pourtant la caravane était un long corps étroit lié par cordes, qui de sa lenteur rayait le sable sous le tournement des étoiles.

 

Jean-Loup Trassard

23:36 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

19/07/2020

Aux éditions du Seuil, les livres de la collection Points-Poésie, par Jeanpyer Poëls

KEATS, AUDEN, PEREC, etc.

Que vous vienne cette façon de ne pouvoir vous soustraire à une curiosité blanche et vous vous courbez sur l’étal de Points Poésie et remarquez les nouveaux livres de cette collection encline à séduire maints amateurs, également ceux prêts à le devenir un jour…
Là, devant votre tentation, chaque titre paraît mouvoir une couleur de pastel doucement…

John Keats (1795-1821), exacerbant le dedans de soi où se noie la romance sienne à la fois ténébreu(se) et lumineu(se), porteuse forcément de féminité, vit en compagnie de la poésie, poésie elle-même absorbée dans une attente, au rendez-vous d’une ivresse d’aurore venue de la nature – et, telle qu’elle se tient debout, cette dernière implique une solitude dans sa beauté, dans sa sagesse tout autant, à l’écart de toute croyance… appliquée.

Lorsque me vient la peur de pouvoir cesser d’être
Avant que ma plume ait glané mon fertile cerveau,
Avant qu’en haute pile les livres, imprimés,
Enserrent, greniers pleins, la récolte bien mûre ;
Lorsque sur la face étoilée de la nuit j’aperçois
Les immenses symboles nuageux d’une grande épopée,
Et pense que peut-être je ne vivrai assez
Pour en tracer les ombres de la main magique du hasard…
("Seul dans la splendeur")

Wystan Hugh Auden (1907-1973) déploie une succession de récits sur l’amour plus ou moins dubitativement. L’amour ?

Viendra-t-il comme le temps change ?
Son accueil sera-t-il aimable ou brutal ?
Bouleversera-t-il toute mon existence ?
Ô, dis-moi la vérité sur l’amour.

Ces récits concèdent l’importance de ce sentiment, mais n’éludent pas l’idée de l’acte qui suit la pensée (et) ne tard(e) pas. La pensée ? Qu’en ferait la nature, qui pourtant est capable d’amour, bien qu’il soit différent du (s)ien ? …

À ce dis-moi la vérité répondent cinquante petites proses, plutôt manières de réflexions prenant le plus souvent une allure d’aphorisme, traductrices du propos "vieux comme le monde" : je t’aime, quelle que soit la langue qui l’exprime, mais dont l’occurrence dans laquelle il survient est la préoccupation majeure du poète, qui ne saurait fair(e) semblant en disant, en lisant, en écrivant je t’aime, mieux : je T’aime…
Être le bien-aimé (et) un amoureux ne sont pas états qu’il faut confondre, au risque de s’abuser soi-même.

Quant à la "poésie amoureuse de l’Andalousie à la Mer Rouge", hébraïque, elle commence avec le "Cantique des cantiques", livre sacré qui était chanté…

(Lui) Tu me donnes des battements de cœur,
Ma sœur, ma fiancée,
Tu me donnes des battements de cœur
Par un seul de tes regards,
Par un seul collier de tes sautoirs ! (…)
(Elle) Lève-toi, vent du nord, viens, vent du sud,
haletez sur mon jardin,
que coulent ses résines !
Vienne mon bien-aimé en son jardin,
qu’il goûte à ses fruits de délice ! (…)

Puis, elle se déplace et des poèmes paraissent telle la ponctuation de ce déplacement et des lieux qui en ressortent, une résurgence avec ses variations d’un idiome à l’autre : la Mésopotamie (Sa lèvre a goût de vin et la biche gracieuse / Laisse échapper des mots qui sont huile soyeuse.), l’Espagne (La gracieuse biche est clarté de la lune, / sa nuée de cheveux sur sa joue de lumière…), la Provence, l’Italie, la Rhénanie, l’Égypte (Elle lève un rameau parfumé et tournoie, / De sa voix qui fredonne un exquis nectar coule…), l’Afrique du Nord, le Yémen (L’amour du myrte en moi prend racine en mon cœur, / Mais je suis en exil et mon pas est si lourd…), la Palestine (Il y a sur ta langue un rayon onctueux, / Blanche lune, une gaufre de miel moelleux…).
Elle se déplace ainsi et paraissent halte après halte une certaine imprégnation et une extériorisation de la sensualité, celle-ci au cœur de vivants amoureux qui ne restreignent pas leur désir…

Le dragon, lui, vous incite à entrer dans "le mystère de la voix" (Gary Snyder, in "Le retour des tribus") de poètes de Chine, inépuisable comme tout mystère, et, en même temps, à vous approche(r) de "l’utile de l’inutile" (cf. Présentation – "Poésie chinoise").
Chaque poème est accompagné d’une calligraphie, jusqu’à vous troubler, à lui devoir des… égards. Métaphoriquement, lié à ce qu’a ressenti et ressent encore qui l’écrit, il est ensuite source de pensée(s) et d’extase pour qui s’en empare calmement…

Le corps est l’arbre d’éveil
Le cœur dressé tel un clair miroir
Appliquez-vous à bien l’essuyer constamment
Il ne faut pas faire en sorte que la poussière y adhère (Shen Hsiu)

Il n’y a pas d’arbre à la racine de l’Éveil
ni de support au miroir du Cœur
Dès l’origine il n’y a rien du tout
Où la poussière adhèrerait-elle ? (Hui Neng)

Entre Amérique du Nord et Amérique du Sud, le monde des poètes mexicains est une multiplicité de voix, lesquelles renvoient non seulement les images de la mort,… d’une poursuivante ?, mais aussi les liserés d’une expression baroque, et, le "drôle de jeu" du noir et du blanc, de l’obscur et du clair, d’une civilisation… moderne et d’une civilisation … dont la senteur du passé n’est pas passée, celle du feu encore…
"Un siècle de poésie mexicaine" se fonde sur un choix au gré du cœur (Ouvre de ton cœur / le cœur le plus intime, Sor Juana Inès de la Cruz), que l’épopée et le romantisme nourrissent, que tient au bout du compte et sans le vouloir Octavio Paz, mais dont le chant à présent de gorges nouvelles sort teinté d’encre autant que d’énigmes qui commencent d’occuper cette histoire.

Loué soit le premier jardin,
la splendeur perdue, que contemple
un cyclope de massacres et de bombes.
Louange à l’ange noir :
ultime véhicule invoqué par le siècle
pour revenir comme fous au jardin initial.
Ce sera l’arbre du vice et de l’abus.
Nous ne serons pas si nombreux,
il n’y en aura qu’un qui prêtera sa côte
pour créer, à partir du dernier jardin d’asphalte
le nouveau jardin des aînés. (Myriam Moscona)

Georges Perec (1936-1982) est joueur, les mots deviennent osselets à mettre en paix avec eux-mêmes, et il débarrasse le faiseur de poésie de la nécessité d’une croyance en quelque écriture.

Jusqu’à ce que ça éclate, que ça casse, que ça saute,
jusqu’à ce que cesse cette quête cauteleuse,
jusqu’à ce que le squale esseulé avale ce vécu calqué,
que la lave têtue scelle ces éclats laqués, jusqu’à l’escale et l’écluse,
jusqu’à la vallée suave,
jusqu’à la vue.

Il joue aux osselets et prend goût à les lancer, à les reprendre, puis à les poser sans les contraindre à quelque logique qui irait de soi, mais à se contraindre à les obliger à l’amuser et à amuser le lecteur.
Aimer / rire aéré, aire / mirée emmi mer rimée / âme même amie / mer amarrée à ma rame / mima, rima Miramar
Si jamais contentement de votre curiosité, demeurée saine, vous porte à aller voir le bout de l’un de ces livres, vous aurez loisir de connaître tous les titres qui s’insèrent dans cette collection Points Poésie, et de constater de nouveau le mouvement de leur couleur de pastel, teinté vraiment.

Jeanpyer Poëls
in Diérèse 46
automne 2009

20:04 Publié dans Critiques | Lien permanent | Commentaires (0)

Au bal masqué !

S'il est vrai que je ne suis pas médecin ni aide-soignant, au milieu du feuillage remuant des êtres et des choses (ou des êtres que chosifie la cause médicale) je dois avouer avoir bien du mal à retrouver mon chemin ! J'en vois ici ou là conduire masqués vitres fermées, des touristes dans le métro buvant un petit coup en ayant relevé leur protection salivaire sur le nez, des badauds déambuler en pleine rue le masque ne couvrant que la bouche, d'autres le portant en mentonnière, d'autres à l'oreille gauche ou droite selon ; et puis les plus inventifs, aux tissus colorés, avec une truffe ébène à la place du nez, des Mickeys, des Schtroumpfs, des Spiderwomen, des Spidermen new generation, des jungles miniatures, etc, en devanture. Pas encore de masques vénitiens, c'est dommage, vraiment. En les adaptant un peu, ils devraient pouvoir faire l'affaire.

Ce lundi, il me faudra travailler masqué, sans climatisation (morituri te salutant !) ; certes je serai loin d'être le seul concerné par la chose, maigre consolation... Tiens, on reparle du paludisme en Afrique. 8 115 personnes tuées par le Covid-19 sur ce continent contre 380 000 Africains victimes en 2018 du paludisme ; boutade, va-t-on leur interdire la chloroquine ?... Du coup, plus personne ne parle plus du professeur Raoult, lui faisant mention du taux de létalité dans la population contaminée ; les gouvernants eux, du taux de mortalité général, beaucoup plus avantageux pour la sphère statisticienne. C'est de bonne guerre.

Tout se mêle, s'interpénètre. Frontière devenue poreuse entre animaux domestiques et sauvages, ceux-ci peu à peu chassés de leurs aires de vie, braconnés, etc, par le plus grand des prédateurs, l'homme. Le serpent se mord la queue. La science pour le moment montre son impuissance. Prévenir au lieu de guérir, on n'y coupe pas. On m'objectera donc que le masque est la meilleure des préventions, exact, une fois que le mal est fait et sachant que le ridicule ne tue pas. C'est déjà ça ! Tout près de moi, une guêpe piégée contre la vitre croit toucher le dehors, baigné d'ombres bleues. De même nous croyons ces temps-ci toucher le dehors ; ce ne sont que des taches étoilées sur le sol, reflets de la nuit passée.

 

Daniel Martinez

10:39 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)