16/06/2019
Écrire, pour Blaise Cendrars (1887-1961)
De Frédéric Sauser, Frédéric-Jacques Temple qui fut son ami parlera comme de "cette voix qui restera parmi les plus humaines, les plus singulières et les plus fortes qui aient retenti dans notre époque pour proclamer que "la sérénité ne peut être atteinte que par un esprit désespéré, et pour être désespéré, il faut avoir beaucoup aimé et aimer encore le monde". Le contraire du pessimisme, de l'absurde et de l'abandon."
Écrire
Ma machine bat en cadence
Elle sonne au bout de chaque ligne
Les engrenages grasseyent
De temps en temps je me renverse dans mon fauteuil de jonc et je lâche une grosse bouffée de fumée
Ma cigarette est toujours allumée
J'entends alors le bruit des vagues
Les gargouillements de l'eau étranglée dans la tuyauterie du lavabo
Je me lève et trempe ma main
Ou je me parfume
J'ai voilé le miroir de l'armoire à glace pour ne pas me voir écrire
Le hublot est une rondelle de soleil
Quand je pense
Il résonne comme la peau d'un tambour et parle fort
Blaise Cendrars, in Feuilles de route
avec 8 dessins de Tarsila do Amaral. Paris, Au Sans Pareil, 1924.
18:00 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)
15/06/2019
"Que représente la poésie pour vous, Jean-Pierre Colombi ?"
Chacun se voit s’éloigner de soi plus vite qu’il n’a les moyens de le dire. Voilà pourquoi je me suis proposé d’écrire des poèmes. Je voulais produire par l’effet des mots à la fois la substance d’un apaisement et le modèle d’une action. Il me semblait que nous n’étions jamais si loin que ça d’une vie moins dérisoire. Cette vie, je ne l’imaginais pas sans imperfections mais je croyais que nous pouvions ne pas lui en ajouter d’autres par notre aveuglement.
Dans un poème, les mots montrent d’une part exactement ce qu’ils disent et de l’autre tout ce qu’ils peuvent dire. Je pensais que, dans le déploiement de cette sorte de polarisation, l’esprit trouvait sa première liberté en même temps que l’image formelle des mondes viables. Je le crois toujours.
Je crois que c’est de là que l’esprit tient ce qu’il est. Par presque rien. Quelques lignes lues en silence ou apprises puis récitées. Ce qui se perpétue alors se transmet, et ce sont là des signes de re-connaissance.
Jean-Pierre Colombi
Un peu de beauté pure
entre le mur et moi
pendant que je le longe
et tout me semble clair
quand je l'ai reconnue
On dirait une odeur
où la pensée se perd
et laisse dans le vide
Peut-être si le cœur
ou ce qu'on nomme ainsi
brûlait entièrement
au moment de s'éteindre
il aurait la couleur
blanche de ce parfum
de tout sur ma mémoire
où elle s'est perdue
Jean-Pierre Colombi
Allégories de l'automne et des autres saisons,
éditions Gallimard, 15 avril 1985
06:26 Publié dans Points de vue | Lien permanent | Commentaires (0)
14/06/2019
Pascal Ulrich & Claude Louis-Combet: "la rêverie anticipe sur l'observation méthodique"
Pascal Ulrich, dessin au feutre sur Canson jaune, 1999
Avant même que les événements se produisent, avant que les formes se découpent dans la clarté, avant que l'agitation éclate, avant que les mouvements et les bruits se conjuguent et s'amplifient, avant, pour tout dire, qu'il y ait quoi que ce soit à détecter, à repérer, à plus forte raison à contempler sans obstacle et sans limite, l'explorateur saurait déjà tout ce qu'il aurait à voir. En ce genre de situation, la connaissance infuse précède l'expérience et la rêverie anticipe sur l'observation méthodique... Claude Louis-Combet, in "Proses pour saluer l'absence", éditions José Corti, octobre 1999
10:35 Publié dans Pascal Ulrich | Lien permanent | Commentaires (0)