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09/09/2017

"Ce qui est seul", de Dominique Labarrière (1948-1991)

Il conviendrait de ne pas parler de "suicide" à propos de la disparition de Dominique Labarrière, mais d'un décès provoqué par un "coma diabétique". Le contexte pourtant (qui ne m'est pas inconnu) donnerait des éléments à... Bref.
Voici un texte de lui qui ne court pas les rues, offert aux lecteurs de ce blog, il l'a écrit en octobre 1985 :

"Ce qui est seul est ce qui est ici et maintenant. "Ici et maintenant" : en aucun cas cette forme vide, abstraite, pauvre à laquelle Hegel assignait la plus basse place dans le cheminement de l'Esprit.
Ici et maintenant qui exige pour être simplement vu une qualité bien particulière de présence au monde, à soi, à l'être.
Cette qualité porte un nom : détachement.
Détachement : non pas rejet et oubli de ce qui m'entoure comme quelque chose de méprisable, comme de l'étant chargé d'être négativement. Mais bien plutôt un refus de tirer de ce qui arrive quelque bénéfice que ce soit à des fins personnelles, pour l"accroissement ou l'enrichissement de la conscience. Si l'on tient à donner des noms, une telle épreuve de l'être, apprendre à voir ce qui arrive ici et maintenant, cet apprentissage peut être nommé poésie."

Dominique Labarrière

 

22:27 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

08/09/2017

"Stations avant l'oubli" de Dominique Labarrière. éd. Mai hors saison, mars 1996

S'il est un auteur qui mérite le détour, c'est bien Dominique Labarrière, mort prématurément dans un petit hôtel du XIe parisien. Ce poète vivait pour (et par) sa poésie. Une écriture qui échappe à toutes les catégorisations actuelles, sauf qu'elle vole haut et ne se complaît pas dans les fioritures formalistes autocentrées. Ecoutons-le encore... DM

Stations avant l'oubli, V


le chemin derrière la fenêtre
où la main saisit
puis lâche une pierre


l’œil fermé
le parcourt


montagne vide et mer
lointaine et
steppe battue par le vent
terre rouge et


vol de l'oiseau vers la forêt


qui
pour garder
ce silence


l’œil oublie
la chambre close
fleurs et lampes et


bouteille aussi


s'oublient


jours que rien
ne protège


la main lâche la pierre
la main lâche la main

 

deux enfants boivent
l'eau d'une fontaine

 

Dominique Labarrière


poème dédié à Zéno Bianu

10:55 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

05/09/2017

"Le parcours d'une vendangeuse", opus 3

... Car à force d’être belle et considérée, celle qui croquait la tête d’autres soi imaginaires en longs traits anguleux au stylo-bille, au tournant de sa vie, je ne sais lequel, histoire d’amour, de rupture, aurait bien conquis une sorte de célébrité officielle, dont elle avait le corps, et du reste, elle fit un peu de nu, – de la photo, en plein air, au milieu d’attroupements hindous admiratifs et respectueux de leur Durga, Karma Devi, Prakriti, Sarasvatî, – Lakshmi… pour les uns, européenne à scandales pour d’autres – de profil, ses longues jambes repliées sous elle ou sur le côté et un bras venant gonfler et rendre plus pathétique sa poitrine fière largement galbée. Aussi mérite t’elle plus qu’une simple "short story" : au départ, avec des moyens assez réduits juste assez pour renouveler le "Préfon" à belle étiquette, elle eut ensuite assez rapidement beaucoup plus de moyens, puis de plus en plus. Les moyens, ce sont les autres, l’amitié qu’on leur dispense, – et elle fut l’invitée ici et là, en des lieux in stratégiques de la culture en train de (se faire) avec toute une bande de semi ratés, de loosers et de types et de filles bien, – le tout composant un mélange parfait – jusqu’aux années où, nouvel amour, nouvelle et douce rupture, elle eut sa propre grande maison ouverte à tous vents à la manière de Barbara Hutton.

Là, c’est l’équilibre, et la régularité, une vie somptueuse si l’on veut, insouciante, et étoilée, incitant plus que jamais les hésitants et les tièdes à plus d’audace, plus de courage, aujourd’hui, demain même. Grande culture, grand dédain pour la culture, donnant asile à des artistes de talent, à des artistes sans talent, à tout un monde en changement constant, cette nuance l’important peu, sa connaissance et j’ose dire sa philosophie de l’existence s’élevant toujours mieux sur son passé, ses passés, tumultueux, difficultueux.
Famille communautaire, repas pleins de rires tissés de nouvelles trouvailles jusqu’à la nuit et ses bains obscurs et lumineux, sa beauté, son corps s’affinant encore, mais parvenant de temps à autre, le pick-up éteint, à un silence qui lui fait du bien, – et tout cela perdure, continue à être, malgré les volumes écornés d’Allan Watts et autres passeurs, mêlés aux bonnes ventes de "poche", pêle-mêle à des livres d’Art dont l’art s’échappe irrésistiblement, dans un désordre de moins en moins irréversible, mais tout cela perdure, ses yeux aux heures de colles devant les miens, sans mélanger leurs couleurs similaires, ses lèvres fines non loin des miennes, sans conseil particulier sortant de sa bouche à peine ouverte, sinon ce rappel permanent de moquerie en notes aiguës pour le grotesque sérieux du monde de Sherwood Anderson, si pure, véritable, qu’elle engendre l’audace et le courage ce jour même, demain.

 

Pierre Mironer

22:45 Publié dans Contes | Lien permanent | Commentaires (0)