241158

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

29/08/2017

Le féminicide, une spécificité humaine

Question a été posée à Françoise Héritier, anthropologue, professeure honoraire au Collège de France - que je remercie pour ses lumières en ces temps où la bonne conscience oblige : "En quoi les comportements meurtriers de l'homme se distinguent-ils de ceux des animaux ?" :

L'homme est la seule espèce où les mâles tuent massivement les femelles de leur espèce*. Les animaux connaissent, certes, des hiérarchies et se livrent à des combats, mais rarement entre mâles et femelles, et ces derniers ne battent pas délibérément ni ne tuent les femelles de leur groupe.

C'est là, me semble-t-il, un point important : il signifie que le comportement d'agression des hommes à l'égard des femmes dans l'espèce humaine n'est pas - contrairement à ce que le sens commun croit - un effet de la nature animale et féroce de l'homme, de sa bestialité en quelque sorte. Mais au contraire une conséquence de ce qui fait sa différence, qu'on appelle conscience, intelligence ou culture.
C'est parce que l'humain érige des systèmes de pensée intelligibles et transmissibles qu'il a construit celui validant la violence jusqu'au meurtre à l'égal des femelles de son espèce, et qu'il continue à le légitimer et le transmettre. L'humain est bien doué de raison, mais c'est justement cette capacité qui le conduit à avoir un comportement déraisonnable ! Car si les femelles ne sont pas tuées par leurs congénères dans les autres espèces, c'est vraisemblablement en raison du "gaspillage" en termes d'évolution que ce comportement implique.

___________
* Selon l'ONU, une femme sur deux victime d'homicide dans le monde l'a été des suites de violences infligées par son partenaire ou un membre masculin de sa famille, contre seulement un homme sur vingt mort pour les mêmes raisons.

 

------------------------faites passer je vous prie---------------------

28/08/2017

Pierre Alechinsky, opus 3

Alechinsky fit le chemin inverse de celui de Dotremont. Son itinéraire artistique le conduisit de Cobra au surréalisme, dont il se sentait proche à bien des égards. En 1965, André Breton l’invite à participer à la Xe Exposition internationale du surréalisme. « L’Ecart absolu », avec Roberto Matta, Marcel Duchamp, Toyen, Enrico Baj, Wifredo Lam… C’est l’une des qualités d’Alechinsky de ne pas se complaire dans des positionnements « sectaires ». Il exposera donc son célèbre Central Park aux côtés des surréalistes dont Cobra s’était pourtant fortement démarqué.
Mais Alechinsky n’a pas bu qu’aux fontaines du surréalisme et de Cobra, il est également le complice de beaucoup de grands auteurs de notre temps, il participe à l’élaboration de nombreux ouvrages de bibliophilie avec notamment Yves Bonnefoy, Michel Butor, Jean Tardieu, Ionesco, Gérard Macé, Cioran, Pierre Michon ou encore Salah Stétié. Il illustre aussi des livres d’Apollinaire, Cendrars, Jarry et Balzac.
En 1967, il publie chez Losfeld Le Test du titre, 6 planches et 61 titreurs d’élite, rappelant les jeux surréalistes auxquels participaient en leur temps les membres du groupe réunis autour d’André Breton : à partir de six eaux-fortes d’Alechinsky, plusieurs artistes proposent des titres confrontant ainsi des interprétations fort différentes. Par exemple, une même image peut être nommée « Es-tu là ? » par Wifredo Lam, « L’Horreur du vide » par Philippe Soupault, « Placards pour un dragon écolier » par Alain Jouffroy et « We are Capitalists » par Walasse Ting ! Alechinsky s’est beaucoup interrogé sur les relations qu’entretiennent le tableau et son titre :

« Voir à distance, ou de près (c’est selon), offrir à une image muette un prénom, une citation, une phrase, une information, une rétention, une ironie, une tirade, un hommage, un poème ou une gifle, le titreur connaît le travail. Mais le langage dépasse la pensée, se tient en retrait, joue en dessous, s’adapte sur les côtés, tombe de haut si rarement juste sur les choses, qu’il y a peu de raisons pour qu’une image neuve se love sans avatars dans des mots qui ont déjà servi à tous. Le titre est une greffe, un nœud dans un mouchoir psychologique pour ne pas oublier de penser à… »

Cette « greffe », ce « nœud dans un mouchoir » n’exclut ni l’humour, ni le jeu de mots, on pense par exemple aux œuvres intitulées Le Complexe du sphinx (1967), Mon mari sans gain (1980), On est prié de garder les siens en liesse (1999)…
Lorsqu’on observe les toiles peintes au cours des années 1980, telles que De toutes parts (1982), Bourrasque (1983) ou La Mer Noire (1988-1990), on est frappé de voir combien l’encre et l’acrylique forment à la fois un contraste saisissant et une unité forte. Au centre du tableau, la nuit de l’encre, immobile, ténébreuse, aspire dangereusement le regard tandis que tout autour circulent les couleurs, créant un flux ininterrompu de lumière. La clarté, extirpée d’un chaos d’encre et de nuit, apparaît comme une aube apaisante, salvatrice, nous libérant aussitôt des gouffres dans lesquels nous sommes toujours si prompts à tomber. Ces œuvres inquiètent et apaisent tout à la fois, en un incessant mouvement de retour.
Alechinsky travaille également à partir de supports pour le moins insolites. En 1981, il expose à Paris, Galerie Maeght, des encres « sur cartes de navigation », puis en 1984 à l’abbaye de Sénanque, des encres « sur cartes de navigation aérienne ». C’est dire si les vieilles cartes s’avèrent propices à la « rêverie de l’encrier et du pinceau » :
« Observé à l’altitude de mes yeux, aucun rectangle de vélin vierge ne m’inclinera davantage à débusquer l’image – l’oniromancie ? – comme une carte déployée sur ma table basse. Leurs bordures, l’inconnu issu des lèvres d’une montagne, le mystère des taches que sont les grandes agglomérations sur la peau des pays s’y tiennent à découvert. A pied d’œuvre. »
Enfin, Pierre Alechinsky fut l’un des premiers à s’intéresser aux logogrammes de Christian Dotremont, tracés à l’encre de Chine, dont il donne une excellente définition : « Manuscrit de premier jet où contenu et contenant – imagination verbale, mais imagination graphique aussi – s’entr’inventent, allant à une aventure littéraire et plastique quasi indissociable. » Il organise en 1972 la première exposition des logogrammes de Christian Dotremont à la Galerie de France, puis l’exposition « Dotremont, peintre de l’écriture » au centre Wallonie-Bruxelles dix ans plus tard. Alechinsky aime « lire un tableau comme un graphologue regarde une écriture », d’où son engouement pour le travail de Christian Dotremont, qui se propose d’ « écrire les mots comme ils bougent ». Christian Dotremont et Pierre Alechinsky échangeront près de 500 lettres jusqu’à la disparition de Dotremont en 1979. On doit à Pierre Alechinsky d’avoir perpétué la mémoire de son ami en publiant chez Galilée des brouillons inédits de textes laissés en suspens intitulés Dotremont et Cobra-forêt, qui retracent les grandes lignes de l’aventure de Cobra.

 

Jean-Christophe Ribeyre

DANIEL 6 BLOG.jpg

Yellow the sun shine, Daniel Martinez

 

 

 

 

 

27/08/2017

Pierre Alechinsky, opus 2

En 1954, un tournant s’opère dans son travail. La découverte des peintures à l’encre de Walasse Ting est une véritable révolution. Sa façon d’aborder la peinture va prendre un tour nouveau. Walasse Ting lui révèle la manière chinoise de peindre : le papier est posé au sol, le mouvement du bras est différent, ce qui induit un autre rythme, la main tenant le pinceau se trouve comme équilibrée, contrebalancée par la main tenant le pot d’encre. C’est tout le corps qui peint, qui participe à l’élaboration du tableau.
« En octobre 1954, j’observe à Paris Walasse Ting, dans sa piaule du quartier chinois, passage Raguinot : il est accroupi devant son papier. Je suis les mouvements du pinceau, la vitesse. Très important les variations de la vitesse d’un trait, accélération, freinage. Immobilisation. La tache inamovible légère, la tache inamovible lourde. Les blancs, tous les gris, le noir. Lenteur et fulgurance. Ting hésite, puis tout à trac la solution, la chute du chat sur ses pattes. Dernière figure gracieuse au-delà du papier. »

En 1955, Alechinsky séjourne plusieurs mois au Japon où il s’initie aux techniques de la calligraphie. Il y tourne un film, intitulé Calligraphie japonaise, avec l’aide du cameraman Francis Haar. Ce film obtiendra un vrai succès, la musique est composée par André Souris, ancien membre du groupe surréaliste bruxellois, et le commentaire lu par Roger Blin est rédigé par Christian Dotremont. C’est à cette époque qu’Alechinsky va progressivement abandonner l’huile pour travailler à l’encre et à l’acrylique, comme l’explique Michel Draguet dans un très beau livre intitulé Alechinsky de A à Y, publié chez Gallimard :

« L’acrylique se révèle plus souple que la peinture. Sans s’interdire les matités d’une pâte, elle réagit à l’instar de l’aquarelle et magnifie davantage le timbre du pinceau. Par son séchage rapide et par sa fluidité, elle offre une solution de continuité entre dessin et peinture. »

En faisant dialoguer l’encre et la peinture acrylique, Pierre Alechinsky est passé maître dans l’art de ce qu’il nomme les « remarques marginales », c’est-à-dire l’art de dessiner à l’encre les bordures d’un tableau. Dans Central Park (1965), l’une de ses œuvres majeures, le cadre noir et blanc (encre) se transforme même en une sorte de récit se déroulant à la périphérie du tableau coloré (acrylique). Ces « remarques marginales » évoquent d’une certaine manière la bande dessinée dans la mesure où les prémices d’une histoire semblent s’écrire sous nos yeux. La bordure du tableau propose un contraste entre d’une part le noir et blanc et la couleur, et d’autre part la mobilité du « récit » et la fixité du centre. « L’enchâssement des « remarques marginales » et de prédelles induit un processus temporel au terme duquel le tableau vibrera de rythmes multiples. Par cette tentation de faire de la peinture, après une bande dessinée, un cinéma de papier. A la réalité traditionnelle de l’art du dessin en répond une nouvelle, centrée sur le découpage narratif et sur le montage suggestif » écrit Michel Draguet. Quelques années plus tard, Alechinsky inversera le procédé, il encadrera ses encres par des bordures colorées, comme dans La Mer Noire (1988-1990), œuvre magnifique dédiée à la mémoire de son père.


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Jean-Christophe Ribeyre