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13/08/2017

La millième note du blog !

Bonjour à toutes et à tous. Un grand jour pour votre serviteur, qui fête avec ce conte de Marc Corigliano - qui nous conduit ici, pedibus cum jambis, jusques au port de Marseille - la millième note du blog. Merci pour votre fidélité, qui m'est chère. Mes amitiés partagées, et... champagne ! ******* Daniel Martinez *******

Fontaine Martine

Il n'y a pas de tables dans ce café. Seulement un comptoir où j'ai posé les coudes comme tout un chacun. Hier, à la même heure, j'étais assis à la même place. C'est bien de moi. Dès que je découvre un lieu propice, j'y jette l'ancre comme un pêcheur à l'endroit où la pêche fut bonne.
J'ai pris tout mon temps avant de sortir. Par deux fois j'ai penché la tête par la petite fenêtre de la salle de bain pour plonger mon regard dans la cage d'escalier bien éclairée à cette heure par la verrière du toit et d'où montait une telle paix, un tel silence : j'ai ouvert la bouche, les yeux et tendu les oreilles comme un animal qui vient de naître.
C'est l'été. Quand je rentre maintenant du boulot sur les coups de six heures, il fait déjà jour. J'ai beau tendre un rideau noir devant la lucarne de la chambre, il y a toujours un peu de lumière qui passe et je dois chercher le sommeil avec dans le miroir près du lit le reflet de mon visage incertain. C'est comme si nous étions deux à vivre ici. Et je sombre sans avoir obtenu de ce double d'autre message que celui de ses yeux qui se referment sur moi.

Avant de sortir, j'ai aussi arrosé le petit figuier ramené de Corse. En l'espace de quelques jours il a fait trois nouvelles feuilles. Pas de comparaison possible. Mais j'ai dû acheter de l'huile blanche : des cochenilles avaient tissé un filet très fin, presque invisible, sur les deux plus grandes feuilles qui les étouffait. Hier soir, quand le soleil s'est couché, un rayon de lumière dans sa chute a éclairé d'une manière extraordinaire le réseau des nervures où circule la sève. J'ai fait une photo. Mais cela n'a pas suffi. J'aurais voulu aller plus loin. La même sève en moi. Me déplier...
Oui, accoudé à ce comptoir, retenu par lui je repense à tout cela... Soulevé, arraché de terre, posé sur une grosse branche d'où partent une multitude d'autres branches qui sont autant d'élans, de poussées d'où jaillissent à foison d'autres branches plus petites et puis des feuilles... les feuilles où j'écris... celles du figuier aussi... Tout se confond, se rejoint... Je reviens...

Je découvre à la croisée de deux chemins, un tantinet résurgente, une fontaine.
C'est trop. Trop peu. Pas assez.
Je lève l'ancre. Je retrouve la rue. Marche jusqu'au port. Vise un café qui se trouve tout au bout. Cette fois je reste dehors. Avec la brise, le parasol au-dessus de ma tête tourne d'un côté puis de l'autre sans jamais faire un tour complet. Un quart à gauche, un quart à droite. C'est tout.
Je regarde autour de moi. Une femme, au premier étage d'un hôtel, lave des vitres, le serveur reste planté à l'entrée du café, le regard dans le vide, puis se ressaisit, marche jusqu'à la ligne d'ombre qui coupe la terrasse en deux et là reprend la même attitude.
Je perçois le chant d'une cigale au milieu du bruit de la circulation, je le perds, le retrouve...
Je vois le soleil avancer, grignoter peu à peu l'ombre dont je suis entouré jusqu'à toucher ma main. Débouté.


Marc Corigliano

07:47 Publié dans Contes | Lien permanent | Commentaires (0)

12/08/2017

La seconde peau

La journée terminée, en revenant sur ses pas on entendait les clochettes des grillons : un persistant tintement, accompagnant la fraîcheur relative qui peu à peu envahissait les terres. Les broussailles froissées, traversées à grandes enjambées, chuchotaient à l’oreille. Ainsi de l’enfance, ainsi du désir qui jamais ne s’éloigne du déjà vécu, de l’invisible membrane sous laquelle se voile le corps, seconde peau.

Le poème est un appel aux reflets dansants qui nous modèlent l’âme et tracent dans l’obscur des sensations des lignes de lumière. Flux et reflux silencieux, grotte où plonge l’esprit. Au cœur de ce qui se consume de l’intérieur pour mieux renaître à mesure.

Il me souvient : tout jeune encore, de Cybrélis, l’aïeul attentionné, qui sous l’aiguille du gramophone me faisait écouter les tangos de son temps, de vieilles rengaines nasillardes. Certains vers entendus d’une oreille rien moins que distraite me sont restés en gorge. Violettes gravées sur sa sépulture. Écrire, toujours, malgré et contre ce qui nous réduit à notre seule dimension d’homme.

Et qu’est-ce, le monde si ce n’est, par-delà nos vies, nos questionnements et nos paris sur l’avenir cette sensation de l’infiniment petit livré à ses constantes anamorphoses ?


Daniel Martinez

17:22 Publié dans Moirures | Lien permanent | Commentaires (0)

"Jacques Prévert en vérité" opus 1

Voici à présent la meilleure biographie qui existe sur Jacques Prévert, intitulée "Jacques Prévert en vérité", écrite par Yves Courrière, éd. Gallimard, "NRF Biographies", 25,15€

* *

Les attaques sont venues de gauche comme de droite. Jean Paulhan trouve ses textes "répugnants", et refuse de le publier à la NRF malgré l'enthousiasme de Saint-John Perse et d'Henri Michaux qui, furieux, réplique : "Répugnant ? Grâce à ce bel argument, on refuse Baudelaire, Rimbaud et Voyage au bout de la nuit...". Louis Aragon ne lui pardonne pas d'avoir fait la sourde oreille à sa demande, en 1936, d'écrire pour la revue Commune animée par Paul Vaillant-Couturier, et, lors de la sortie de Paroles, souffle à un certain Jacques Gaucheron un article hargneux pour La Nouvelle Critique : il y traite Prévert de "clown lyrique", stigmatise "les faux bons sentiments d'un anarchisme désolé", son "faux décor prolétarien", ce populisme "attendrissant à en pleurer, tellement c'est cliché, chiqué et recopié sur les plus bêtes des feuilletons les plus roses." Mais ils n'y sont pour rien.
Pas plus qu'Albert Camus, Roger Nimier, Claude Mauriac, Bernard de Fallois, ou Antoine Blondin. Ils eurent beau le traiter de "Béranger du métro", de "guignol du pavé qui se prend pour Goya", de "premier Beurre-Oeufs-Fromages de la littérature contemporaine", aucun n'aura eu la peau du poète. Ce sont les gauloises bleues qui ont tué Jacques Prévert.

La monumentale biographie qu'Yves Courrière consacre au poète supplante toutes les autres. Et tord le cou d'une légende : celle selon laquelle le poète qui donna son nom à tant d'écoles communales aurait été rejeté par les "gendelettres". Ce "pâle voyou" fascine Michel Leiris, venu en ethnologue dans le phalanstère de la rue du Château où Robert Desnos et Benjamin Peret s'égayent auprès de lui et de sa bande, et qui écrit : "Je l'appréciais parce qu'il était un peu à mes antipodes. J'étais menacé d'hermétisme et de préciosité. Prévert incarnait tout le contraire." Séduit par le style de cet insurgé contre les "critiques-dard", Georges Bataille lui demande un texte pour le n°3 de la revue Documents, hommage à Picasso (pied de nez aux "plisseurs de lampions, les grands buveurs d'eau sale, les trieurs de lentilles,  les poussiéreux qui pontifient, qui cataloguent, comptent les poils de pinceaux et tiennent la palette du peintre quand il dort."). Georges Ribemont-Dessaignes s'érige en parrain de celui qui brocardait si joliement les "garde-chiourmes". Saint-John Perse le publie dans la revue Commerce, Maurice Nadeau s'extasie, Sartre et Beauvoir aiment son "anarchisme rêveur et un peu biscornu", Michaux le pousse à écrire, René Char l'admire...

Et que dire des éditeurs, parmi lesquels René Bertelé, qui s'escriment à lui faire signer des contrats : poète de la parole, Prévert ne se prend pas au sérieux. Ses textes traînent un peu partout, transmis oralement ou recopiés, ronéotés, griffonnés sur un bout de papier, distribués aux copains, iconoclastes jeux de mots brassés comme des cartes à jouer, messages de fraternité et d'insoumission.
Au fil de ces 700 pages, c'est en effet le siècle anticonformiste qui défile. Une enfance buissonnière, dans la main d'un père militant pour la Ligue de la patrie française, avec haltes à la fête à Neu-Neu et répulsions éternelles pour tout ce qui porte uniforme, soutane ou clame des mots d'ordre politiques. En sortant de l'école (souvent désertée), ce poulbot à l'âme de Gavroche est licencié du Bon Marché où il était employé, repéré comme rebelle "aux règles du plus grand nombre". Il cheminera un temps dans l'univers des tendres canailles, et, délinquant avant la lettre, pourra confier que "la virginité de [son] casier judiciaire reste un mystère." Après avoir tenté en vain de se faire passer pour fou, il fait son service militaire, mais y rencontre deux de ses futurs complices : Yves Tanguy, qui se prend pour un vampire, et Marcel Duhamel, qui devient dès cet instant son génie protecteur. Longtemps, Prévert vivra aux crochets de ce prince de Galles qui partageait ses délires. Et c'est dans sa bicoque du XIVe arrondissement qu'il copine avec les surréalistes venus y tenir quelques réunions. Malgré leur goût des frasques et des scandales, les surréalistes sont des gens de "bonne compagnie". Ils adoptent néanmoins ce pierrot lunaire qui incarne à leurs yeux le "surréalisme de la rue".

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Jean-Luc Douin

17:13 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)