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12/08/2017

"Jacques Prévert en vérité" opus 2

Prévert, alors homme de main plutôt qu'homme de plume, est à l'origine du jeu du "cadavre exquis". Il gifle ses adversaires avec autant d'allégresse que les autres membres du groupe, mais impossible de le convaincre de s'inscrire au Parti : crainte d'être "mis dans une cellule". Il s'insurge contre l'hégémonie du "pape" (André Breton), rompt avec la "caserne" du groupe surréaliste, signe un texte de solidarité avec les dissidents : "Le Déroulède du rêve n'est plus, n'en parlons plus." Un temps hébergé chez Giacometti, il est encouragé par Duhamel et par son frère Pierre Prévert à explorer un monde qui l'obsède depuis l'âge de quinze ans : lorsqu'il a découvert Les Mystères de New York, ciné-roman avec Pearl White, premières noces entre la littérature et le cinéma.

Les années 30, qu'il traverse "entre lac et lune" avec force whiskies, sont celles de ses rencontres avec J.B. Brunius, cofondateur de La Revue du cinéma, le jeune comédien Pierre Batcheff (l'interprète principal du Chien andalou) pour lequel il écrit des scénarios ; et des chahuts du groupe des Lacoudem, joyeux baroufs. Celles, aussi, du groupe Octobre, pour lequel il compose des textes engagés, subversifs, annonciateurs du Front populaire. Le cinéma l'aide à mettre du beurre sur les épinards. Parmi ses succès, Le Crime de M. Lange de Jean Renoir, parmi ses bides, Drôle de drame (titre trouvé par Violette Leduc, assistante à la production), dont la réplique culte ("Bizarre... bizarre") est empruntée à un récit de la Goulue ; celle-ci avait entendu un jour Toulouse-Lautrec apostropher le maître d'hôtel du Moulin Rouge qui s'appelait Bizard : "Vous avez dit Bizard ? Comme c'est bizarre."

Si, pendant l'Occupation (qui censure plusieurs de ses films), Jacques Prévert refuse de s'engager dans la Résistance, il intervient pour faire libérer Max Ernst du camp des Mille, aide Alexandre Trauner et Joseph Kosma à fuir les Allemands et à travailler malgré les lois antisémites, refuse les offres d'Alfred Greven, patron de la Continental, sert de boîte aux lettres à des amis résistants, critique ouvertement Vichy (brocardant les pétainistes à bérets basques, attaquant les nazis, Doriot, Pétain, Laval...). Prévert fut complice du grand chambardement en mai 68 (il écrira un texte pour L'Enragé), en 1970 il apportera son soutien à Angela Davis.

Mais entre-temps, il y aura eu la belle époque du Saint-Germain-des-Prés d'après-guerre, les chansons immortalisées par Juliette Gréco ou les Frères Jacques, le phénoménal succès de Paroles en 1946 (5000 exemplaires vendus en une semaine), et ces scénarios et dialogues pour Carné, Renoir, Autant-Lara, Grémillon, son frère Pierre. "Écrivain de cinéma", avec l'aide d'Arletty et d'autres bergères auxquelles il donna le beau rôle, il montra avant Godard qu'"une femme est une femme", libre de se livrer aux "furtives étreintes de l'éternité".

 Jean-Luc Douin

17:12 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

06/08/2017

"Poèmes à voir", de Jean Tardieu, éd. Gallimard

Pour Jean Tardieu, la poésie est un "tourbillon de virtualités" : ainsi la présence des acteurs donne à ses Poèmes à jouer une dimension plus riche, plus charnelle. Voulant aussi qu'on écoute ses textes comme de la musique, il leur a donné "tantôt la diversité des timbres d'un orchestre, tantôt l'austérité fondamentale de la grammaire".

Parfois, "cherchant à rivaliser" avec les peintures, il a voulu que se poèmes puissent être perçus d'un coup d’œil, dans un espace immédiatement visible et non dans le déroulement de la lecture.
Déjà à la fin de Margeries figuraient deux calligrammes. Les Poèmes à voir (une élégante plaquette tirée à 1 500 exemplaires numérotés) nous proposent douze textes : face à face, le fac-similé des calligrammes composés à la main par Jean Tardieu et leur transcription typographique. Pour plusieurs de ces textes, la comparaison avec leur version précédente (par exemple dans Comme ceci comme cela) montre comment le poème, recomposé après avoir été morcelé en fragments épars, tire de sa forme différente une nouvelle saveur, "tactile et ductile".

L'idée de cette poésie qui "sort de ses gonds" vient en partie des Calligrammes d'Apollinaire. "J'achetais alors, chez le libraire Simon Kra, rappelle Tardieu, la revue SIC, organe du mouvement cubiste. Sa leçon fracassante, semée dans la cervelle du lycéen de treize ans que j'étais alors (vers 1916), a germé beaucoup plus tard quand je me suis mis à composer des poèmes à voir plutôt qu'à lire".

Mais les douze Poèmes à voir, qui évoquent surtout des paysages, et notamment la lumière et les ombres de la Provence et de la Toscane, répondent aussi à une autre tentation : "J'envie les caractères idéographiques de la Chine et du Japon, qui peuvent allier la beauté plastique du coup de pinceau au sens et au son qui s'en dégagent. Ainsi un coup de gong répand ses ondes, qui vont au loin s'élargissant."


Monique Pétillon

17:53 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

03/08/2017

Pierre Colin (1939-2014)

Les ordonnances du deuil ne certifient rien d’une vie. Pierre Colin n’est plus soumis à notre quotidien depuis le cinq mai 2014. Breton passionné ayant pris forte langue dans les Pyrénées, auteur d’une trentaine de recueils de poésie parus chez divers éditeurs, prix national de poésie jeunesse en 1996, prix Max-Pol Fouchet en 2006, combattant des ateliers d’écriture : faut-il aligner dates et titres pour tenter d’évoquer un homme qui savait le prix minéral de l’amitié et la force vitale de la colère ?

Celui qui disait vouloir pratiquer « une écriture violente, qui parle du réel, du sens et du non-sens, de la beauté et de l’horreur », celui qui connaissait l’abandon des pudeurs dévoyées et l’insuffisance avaricieuse des techniciens de la parole n’aurait pu se contenter chez l’autre d’une quelconque indifférence, même parée de la plus artificielle bienveillance.

« Nous chercherons longtemps cette profération sans origine, d’un désir l’autre, d’un siècle l’autre, dans la géométrie des rêves et de la mort».

Pierre Colin, lutteur inlassable, savait retrouver la vérité des géographies et des siècles cachés dans l’insurrection du présent.

« Dernier soir où j’ai mis ton nom dans ma bouche. Et il avait ce goût de peuple ancien, tout ce qu’un feu de lèvres fait du temps… »


Eric Barbier

22:29 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)