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Rechercher : Henri Thomas

Un poème d'Edward Thomas

Poète et essayiste, à peu près inconnu en France (!), Edward Thomas est né à Londres en 1878, de parents gallois, et mort à la bataille d'Arras en 1917. Ses méditations et les rencontres qu'il fit au cours de ses longues promenades dans le terroir et la littérature anglaises lui ont inspiré ses meilleurs ouvrages (The Heart of England, 1906 ; The South Country, 1909 ; A litterary Pilgrim in England,1917). Son style et sa langue ne sont pas sans influencer quelques-uns des poètes anglais d'aujourd'hui, comme John Silkin (traduit par Pierre Mironer in Diérèse 79).
Ses Poèmes, réunis en 1922 par Walter de la Mare, témoignent d'un tempérament impressionniste et mélancolique mûri par une relation prolongée avec la nature. Un seul livre de lui a été traduit en français en 1983, où figurent des extraits de son Journal, écrit peu de temps avant sa mort.
Le poème qui suit, inédit en français, est composé d'un jeu subtil de sonorités dans la langue mère, à lire à haute voix par les anglicistes, pour sa musique, incomparable, voici :

[Dehors dans la nuit]

Sur la neige dehors dans la nuit
Avec la daine
Les faons se déplacent invisibles ;
Et les vents soufflent
Aussi vifs que les étoiles sont lentes.


Comme un fantôme furtivement l'obscurité se referme,
Et lorsqu'une lampe s'éteint,
Sans un bruit, d'un bond plus rapide,
Que le plus rapide des chiens,
La voici - et tout le reste est noyé ;


Et moi, l'étoile, et le vent, et la biche,
Nous sommes ensemble dans la nuit,
- proches, mais éloignés pourtant -
Et la peur tambourine dans mes oreilles
Dans cette calme et triste compagnie.


Comme la lumière est petite et faible
Tout l'univers du visible
L'amour et le bonheur,
Face à la grandeur,
Aimée ou détestée, de la nuit.

traduit par Alain de Gourcuff


[Out in the dark]


Out in the dark over the snow
The fallow fawns invisible go
With the fallow doe ;
And the winds blow
Fast as the stars are slow.


Stealthily the dark haunts round
And, when a lamp goes, without sound
At a swifter bound
Than the swiftest bound,
Arrives, and all else is drowned ;


And I and star and wind and deer
Are in the dark together, - near,
Yet far, - and fear
Drums on my ear
In that sage company drear.


How weak and little is the light,
All the universe of sight,
Love and delight,
Before the might,
If you love it not, of night.


Edward Thomas

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16/01/2021 | Lien permanent

Henri Rousseau, dit le Douanier (1844-1910)

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Henri Rousseau, Le Rêve, huile sur toile, 1910

En 1891, au septième Salon des Indépendants, Rousseau, dit le Douanier, expose sa première jungle, à la végétation convulsive et aux merveilleuses couleurs : "Du rouge au vert tout le jaune se meurt". Deux éclairs blancs comme un fil de coton rayent un ciel finement tissé de pluie lavande. Un tigre arc-bouté, tous crocs dehors, s'apprête à bondir. "Surpris !" tel est le titre du tableau, mais le spectateur ne parvient pas à savoir si c'est le félin qui est surpris ou sa proie, qui est hors du tableau. Ce qui est sûr, en revanche, c'est que les critiques l'auront été, surpris, par cette peinture féroce et flamboyante, puisque, excepté Valloton, qui l'admire – "c'est un terrible voisin, il écrase tout. Son tigre surprenant à voir, c'est l'alpha et l'oméga de la peinture", écrit-il –, ils ne trouveront, pour s'en défendre, qu'à s'en moquer. Le destin, toujours ironique, pour compenser cet accueil malveillant, lui accorde une Médaille d'Argent de la Ville de Paris, qui en réalité, était destinée à récompenser un autre Rousseau. N'avoir pas de nom propre a parfois d'heureux résultats. Ironique mais aussi obstiné, quelque treize ans plus tard, le destin fera obtenir au peintre des forêts tropicales aux végétations fantaisistes, grâce à une nouvelle erreur de nom, les Palmes académiques. Il portera dès lors à la boutonnière la discrète rosette violette et fera figurer la couronne officielle sur ces cartes de visite.

Il a goût de la décoration, ce qui est la moindre des choses pour un peintre. On a tout dit sur son autoportrait en gloire, intitulé tout bonnement "Moi-même", qu'il accompagne de la mention du genre qu'il invente, le "portrait-paysage" : qu'il s'était représenté en pied comme il était d'usage de le faire pour les grands de ce monde ; qu'en regard des badauds se divertissant au spectacle du voilier amarré au quai et qui ne lui arrivent pas à la cheville, il fait figure de géant ; qu'il a le premier peint la Tour Eiffel qui vient tout juste d'être achevée ; que, sur sa palette, il a écrit le nom de ses deux épouses, Clémence et Joséphine ; que les vingt-six drapeaux du bateau semblent autant de toiles et ses tableaux, par conséquent, autant de pavillons de l'art moderne. Mais qu'a-t-on dit de ce modeste insigne, un macaron bleu circonscrivant une sorte de palme ou de fougère blanche, qu'il arbore à sa boutonnière, et qui met une note de fraîcheur dans son sévère costume noir. Décoration réelle ou inventée ? Je préfère la croire inventée. L'artiste conscient de sa valeur, mais moqué par la critique, s'est attribué lui-même, d'autorité, cette distinction, anticipant ainsi sur une reconnaissance dont il était convaincu que l'avenir la lui ferait obtenir.      

                                                                                            Gérard Farasse

Extrait de Collection particulière, Bazas, éditions Le Temps qu'il fait, 2010 (p. 27-28).

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10/03/2017 | Lien permanent

La poésie pour Henri Michaux : un ”soudain élargissement du monde”

Je ne sais pas faire de poème, ne me considère pas comme un poète, ne trouve pas particulièrement de la poésie dans mes poèmes et ne suis pas le premier à le dire. La poésie, qu'elle soit transport, invention ou musique, est toujours un impondérable qui peut se trouver dans n'importe quel genre, soudain élargissement du monde... La seule ambition de faire un poème suffit à le tuer... J'écris avec transport et pour moi, tantôt pour me libérer d'une intolérable tension ou d'un abandon non moins douloureux tantôt pour un compagnon que j'imagine, pour une sorte d'alter ego que je voudrais honnêtement tenir au courant d'un extraordinaire passage en moi, ou du monde, qu'ordinairement oublieux, soudain je crois redécouvrir, comme en sa virginité...

Henri Michaux, cité par Raymond Bellour in Henri Michaux ou une mesure de l'être (éd. Gallimard, 1er janvier 1965).

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05/11/2018 | Lien permanent

Le Scorpion, vu par Pacôme Yerma et Jean-Henri Fabre

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dessin de Pacôme Yerma

 

"La pariade, au printemps, leur impose des voyages. Jusqu'ici farouches solitaires, ils abandonnent maintenant leurs cellules, ils accomplissent le pèlerinage des amours : insoucieux du manger, ils vont en quête de leurs pareils. Parmi les pierres de leur territoire, il doit y avoir des lieux d'élection où se font les rencontres, où se tiennent les assemblées. Si je ne craignais point de me casser les jambes, de nuit, parmi les encombrements rocheux de leurs collines, j'aimerais assister à leurs fêtes matrimoniales, dans les délices de la liberté. Que font-ils là-haut, sur leurs pentes pelées ?

Le choix fait d'une épousée, ils la promènent longtemps à travers les touffes de lavande et les mains dans les mains. S'ils n'y jouissent pas des attraits de mon lumignon, ils ont pour eux la lune, l'incomparable lanterne.

Voir les débuts de l'invitation à la promenade n'est pas un événement sur lequel on puisse compter chaque soir. De dessous leurs pierres, divers sortent déjà liés par les couples. En pareil assemblage de doigts saisis, ils y ont passé la journée entière, immobiles, l'un devant l'autre et méditant. La nuit venue, sans se séparer un instant, ils reprennent la promenade commencée la veille, peut-être même avant. On ne sait ni quand ni comment s'est effectuée la jonction. D'autres à l'improviste se rencontrent en des passages reculés, d'inspection difficultueuse. Lorsque je les aperçois, il est trop tard, l'équipage chemine.

Aujourd'hui, la chance me sourit. Sous mes yeux, en pleine clarté de la lanterne, se fait la liaison. Un mâle, tout guilleret, tout pétulant, dans sa course précipitée à travers la foule, se trouve soudain face à face avec une passante qui lui convient. Celle-ci ne dit pas non, et les choses vont vite.

Les fronts se touchent, les pinces besognent ; en larges mouvements, les queues se balancent, elles se dressent verticales, s'accrochent par le bout et doucement se caressent en lentes frictions. Les deux bêtes font l'arbre droit. Bientôt le système s'affaisse ; leurs doigts se trouvent saisis, et sans plus le couple se met en marche. La pose en pyramide est donc bien le prélude de l'attelage. Cette pose n'est pas rare, il est vrai, entre individus de même sexe se rencontrant, mais elle est moins correcte et surtout moins cérémonieuse. Ce sont alors des gestes d'impatience, et non des agaceries amicales, les queues se choquent au lieu de se caresser.

Suivons un peu le mâle, qui se hâte à reculons et s'en va tout fier de sa conquête. D'autres femelles sont rencontrées, qui font galerie et regardent curieuses, jalouses peut-être. L'une d'elles se jette sur l'entraînée, l'enlace des pattes et fait effort pour arrêter l'équipage. Contre pareille résistance, le mâle s'exténue ; en vain il secoue, en vain il tire, ça ne marche plus. Non désolé de l'accident, il abandonne la partie. Une voisine est là, tout près. Brusque en pourparlers et sans autre déclaration cette fois, il lui prend les mains et la convie à la promenade. Et que lui faut-il, en somme ? La première venue..."

Jean-Henri Fabre
(1823-1915)

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13/07/2020 | Lien permanent

Deux articles de Henri Michaux non repris dans La Pléiade

Malgré le volume, si je puis dire, des trois tomes de La Pléiade consacrés post-mortem à Henri Michaux, sous la direction de Raymond Bellour, Ysé Tran et Mireille Cardot & le travail des plus sérieux qui a présidé à cette impressionnante recollection des textes du poète dispersés aux quatre vents : en plaquettes, en revues, en programmes de théâtre, en catalogue d'expositions, en dactylogrammes, en livres - deux articles, n'ont pas été repris dans la prestigieuse collection. Ces deux articles ont paru dans la revue Les Nouvelles littéraires n°2882, 14-20 avril 1983, en page 45 : ce sont deux livres de jeunesse commentés par leur propre auteur :

"Pour Ecuador, 1929

ECUADOR : un départ pour la république de l'Equateur, un séjour de huit mois, un retour en pirogue sur le Napo, et en bateau par l'Amazone.

La plupart des voyageurs béent d'admiration quand ils croient qu'il convient de béer. Et les plus froids se fouettent pour écrire quelques mots sur les spectacles "importants".

L'auteur de ce livre n'a pas fait cela.

Il ne dit pas un mot du canal de Panama, et il lui arrive de parler d'une mouche. Il ne s'est jamais préoccupé d'être juste et impartial envers les choses, il s'est seulement préoccupé de l'être envers ses impressions.

Et s'il y a des poèmes dans ce livre, ils veulent être aussi sincères. Ils ne se croient pas supérieurs."

Henri Michaux

* * *

Pour Un barbare en Asie, 1933

L'auteur de ce livre, étant enfant, allait dans le jardin observer les fourmis. Il les mettait sur une table, ou lui-même s'allongeait par terre, se mettant à leur niveau.

Ce voyage dura des années pendant lesquelles il ne fut guère intéressé par autre chose.

Cette fois l'auteur a été en Chine et aux Indes, et aussi, quoique moins longtemps à Ceylan, au Japon, en Corée, à Java, à Bali, etc.

Il n'a pas observé les fourmis, qui cependant abondent, mais les races humaines.

Comme il est naturel, il s'est tenu à l'écart des Européens, et a tenté de disparaître dans la foule étrangère. Il a attrapé des poux dans tous les théâtres d'Asie. Il connaît, pour y avoir été quantité de fois, le théâtre chinois, japonais, hindoustani, bengali, coréen, malais, javanais, etc... il a vu les films japonais, chinois, bengalis, hindoustanis. Il a entendu la musique, les danses indigènes.

Il a assisté aux prières, il s'est approché des temples, des lieux saints, des prêtres de toutes les religions.

Il a lu ou bien relu les ouvrages des philosophes, des saints et des poètes, il a étudié ou parcouru la grammaire de chaque langue et son écriture.

Enfin et surtout il a regardé "l'homme dans la rue", comment on rie, comment on se fâche, comment on marche, comment on fait signe, comment on commande, et comment on obéit, les intonations, la voix, les attitudes, les réflexes (tout ce qui ne ment pas).

Il s'est ainsi enfoncé dans la peau des autres. Toutefois, dans la peau d'un Chinois, il reste lui-même et souffre et regimbe, il souffre dans la peau de l'hindou, il souffre dans la peau d'être homme et de ne pas trouver la Voie. Et tout en souffrant il montre de l'humour, comme on fait, comme tant d'autres ont fait..."

Henri Michaux

PS : Je me garderai de prêter le premier de ces livres, que je possède en édition originale, pour une raison à garder secrète (une "particularité" qui n'est pas mentionnée dans La Pléiade).

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03/10/2020 | Lien permanent

Henri Michaux et le ”Secret de la situation politique”

A l'origine du livre de Henri Michaux "Tranches de savoir suivi du Secret de la Situation politique", opuscule publié en 1950 à L'Age d'Or, illustré par Max Ernst,  une lettre, inédite, qu'il envoya au critique Maurice Saillet (1914-1990). Maurice Saillet lui avait suggéré de donner un texte à l'hebdomadaire "Terre des hommes", qui compta 23 numéros [N° 1 (29 sept. 1945) - n° 23 (2 mars 1946)]. Voici :

"Je suis un peu gêné. Il me semble que je vais vous paraître inamical en refusant de donner un texte à votre "Terre des Hommes". Mais je ne puis écrire pour les journaux. Toutefois, je viens de faire un gros effort pour éclairer mes compatriotes d'Europe (si j'ose dire), pour éclairer des amis qui souvent me questionnent à ce sujet, et enfin pour m'éclairer moi-même SUR LA SITUATION POLITIQUE. Si vous ne jugez pas le sujet au-dessous de l'esprit de vos lecteurs, imprimez-le, mais de grâce, que la plus grande attention soit apportée aux épreuves (au besoin, qu'il y en ait, exceptionnellement, des 2e) car il y a quelques mots peu usités encore, je le crains."

A cette lettre, Michaux avait joint un texte dactylographié portant des corrections manuscrites intitulé "La Situation politique". "Terre des Hommes" ayant cessé de paraître, ce texte fut communiqué à Pascal Pia pour "Combat" qui le publia malgré l'avis défavorable d'Albert Camus. Un tour de force donc, comme il en est plus d'un, dans l'histoire littéraire. DM

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04/02/2021 | Lien permanent

Henri Michaux, La Pléiade et le Livre de Poche

Un extrait de la lettre envoyée à Claude Gallimard qui proposait à Henri Michaux, fin 1983, l'édition de ses œuvres complètes dans La Pléiade :

"L'année dernière déjà (...), je vous répondis que cela n'était pas pour moi (...). La raison majeure est qu'il s'agit dans les volumes de cette prestigieuse collection d'un
véritable dossier où l'on se trouve enfermé, une des impressions les plus odieuses que je puisse avoir et contre laquelle j'ai lutté ma vie durant."

Seuls Les Cahiers de L'Herne n°8, entés d'un large appareil critique, trouveront grâce aux yeux du poète, une copieuse livraison de 528 pages, dirigée par Raymond Bellour. Il y eut deux éditions desdits Cahiers, du vivant de Henri Michaux. La première, en 1966 ; la seconde, en 1983, soit un an avant son décès - avec pour celle-ci une bibliographie remise à jour, ainsi que l'auteur de Plume l'avait demandé à François d'Argent, qui en avait la charge.

Une anecdote encore, rapportée cette fois par Allen Ginsberg :

"De toute façon, je voulais chanter pour Michaux, comme finalement tout poète devrait faire.
Ce chant fait partie de la pratique du Bhakti Yoga, le yoga religieux, où il est entendu que, dans cette époque Kali Yuga de destruction, la méditation, l'esprit, l'intelligence et les œuvres sont impuissants à sortir l'âme de sa boue matérialiste - seule la joie la plus pure peut nous sauver, seul le plaisir le plus pur ! Ainsi donc nous nous sommes assis, en fin d'après-midi, lui peut-être étonné de mes intentions bizarres, de se trouver dans une pièce non moins bizarre, la Seine coulant derrière la grille de la fenêtre, c'était le milieu de l'été. Son visage n'avait pas vieilli depuis notre dernière rencontre, mais semblait plus hésitant, plus doux, bienveillant - moi désorienté ! Comme j'étais désorienté ! Heureusement il ne me restait plus qu'à chanter "Hari Krishna Krihsna Krishna Hari Hari Hari Rama Hari Rama Rama Rama Hari Hari", le japa hindou maha mantra, et "Om A Ra Ba Tsa Na De De De De De De", un mantra syllabique tibétain sans signification fait pour occuper l'esprit quand on se promène dans un temple ou qu'on berce un enfant dans ses bras.
     Salut à Lui, merveilleux professeur." Allen Ginsberg


Sans oublier ce qu'Alain Bosquet disait de l'auteur de Paix dans les brisements :

"L'homme, d'une intelligence souvent féroce, était tendu et furtif : il ne se permettait aucune légèreté, et exigeait des autres une attention extrême. On n'était jamais à l'aise en sa présence ; mais la fascination jouait assez vite, dès qu'on s'habituait à cette voix un peu rauque, avec un reste d'accent wallon. Il fallait à la fois le regarder avec franchise et ne pas s'exposer à la moindre familiarité. Il ne s'aimait pas. Et s'il donnait l'impression de raser les murs, c'est qu'Henri Michaux se voulait asocial. De tous nos écrivains célèbres, il est le seul à avoir refusé de paraître en livre de poche. Il disait, avec rage : "J'ai deux mille lecteurs. C'est trop. Pourquoi en aurais-je vingt mille ?". Il disait aussi, et la boutade s'adressait à lui-même, : "Belge comme ses pieds."
On a un peu oublié qu'il fit ses débuts en pleine vague dadaïste, par une plaquette, Les rêves et la jambe, en 1923, chez un petit éditeur anversois. Ces quelques pages, qu'il reniait, donnent déjà l'atmosphère générale de toute son œuvre. C'est un bréviaire de la révolte contre soi : non pas une protestation contre la société ou la conscience, mais contre la constitution physiologique de l'homme. Pour le Michaux d'alors, la jambe est intelligente si elle oppose à son propriétaire une logique de jambe et non une logique humaine. Il invente, sans trop le savoir, un absurde physique, à une époque où les derniers expressionnistes allemands appellent la destruction de l'humanité. Homme du nord, Henri Michaux ne se confondra jamais avec les idées en cours à Paris.
Dans les premiers livres, le soupçon se généralise et prend quelquefois des allures cosmogoniques. Pour Michaux, il y a lieu de se méfier de tous les phénomènes visibles comme de tous les règnes de la nature, sans pourtant moraliser. Il ne s'agit pas de remplacer une vérité - esthétique ou éthique - par une autre. Tout au plus, pendant le reste des années 20, le poète accepte-t-il de faire une part à l'imaginaire, à condition que cet imaginaire-là ne ressemble en rien au merveilleux surréaliste. Le rêve, chez Michaux - en cela il s'insurge contre les conceptions d'André Breton - n'est nullement libérateur : il est épouvantable et destructeur." Alain Bosquet

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Henri Michaux, peinture 1977

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06/02/2021 | Lien permanent

Henri Michaux et sa correspondance avec Franz Hellens (II)

Suite et fin       ... Henri Michaux vient de temps en temps à Paris, 6 heures de train, puis finit par y résider. Sans le sou (il fait appel à Hellens), crevant de faim, parlant de mettre son pardessus au Mont-de-Piété si le Mont-de-Piété en veut, on est en janvier 1924, il ne doit pas faire très chaud.
Il ne fait pas qu'écrire. Il cherche au Disque Vert de nouveaux lecteurs, des abonnés. Il approche dadaïstes (Tzara) et surréalistes (Breton, Aragon, Desnos), il fait la connaissance de Jean Paulhan, de Jouhandeau (il sera surveillant dans le collège où Jouhandeau enseigne), de Philippe Soupault. Un emploi précaire dans l'édition lui autorise des "rires sarcastiques" à propos des épreuves dont il assure la correction. Il lit Freud, "Poisson soluble" qui vient de paraître. Il propose au directeur du Disque Vert de faire comme La Révolution Surréaliste une "enquête sur le suicide". Breton et Aragon n'y voient pas d'inconvénient. Peut-être croient-ils voir en lui un disciple belge. Le jeune Michaux, prudent : "Il ne faut pas avoir l'air d'avoir besoin d'eux, ou de faire partie d'eux". Mais, d'autre part, "gaffe" à un article de Pia dont "l'inimitié pour Breton et Aragon" est "bien connue et sotte". L'essentiel : "nous sommes avec la bonne et vraie avant-garde". Pour le quotidien : crampes d'estomac, causées par la faim, et maux de dents. Qu'importe ! "... je me trompe fort OU TOUT CE QUE J'AI FAIT CONCOURT A UN VASTE SYSTEME PHILOSOPHIQUE."
Il faut tout de même penser qu'il finit par en avoir assez de cette vie de bâton de chaise. Le 27 décembre 1927 il quitte Paris pour Amsterdam, s'embarque le 6 janvier 1928 pour l'Equateur. Il s'enfonce dans la forêt amazonienne. Il envoie une photo. "Je n'ai jamais connu un isolement comme celui-ci, même quand j'étais avec des matelots". Il revient, débarque au Havre le 15 janvier 1929. "Ne me croyez pas guéri des voyages. Je compte bien l'année prochaine (vers la fin) être en Extrême-Orient... Toujours entrer par une lucarne ! On a beau en être fatigué, il faut continuer pour éviter le pire".
Encore quelques lettres, de plus en plus espacées. Du genre foutez-moi (gentiment) la paix. Il est devenu Henri (i) Michaux, poète reconnu, auteur d'Un certain Plume, d'Ecuador, de recueils qui ont suscité l'admiration de quelques centaines d'amateurs, il peint, il a perdu sa femme dans des circonstances tragiques. En 1948, à quel propos ?, Franz Hellens m'envoie un texte sur Michaux que je publie dans Combat. Michaux s'énerve. "On ne parle que trop de moi."
Des extraits de certaines de ces lettres ont paru. D'autres, toujours du jeune Michaux, sont annoncées. "Vite, frottez une allumette". On aurait eu tort.
Michaux écrit à Hellens le 13 septembre 1952 : "L'étude sur M. (Mélusine), non terminée je crois, a dû se perdre". Un P.S. qui a dû faire sourire le bon, le brave Franz Hellens.

                                                                                              Maurice Nadeau

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07/06/2018 | Lien permanent

Henri Michaux et sa correspondance avec Franz Hellens (I)

 A propos de : "Sitôt lus, lettres à Franz Hellens, 1922-1952"

Une des dernières lettres "en recommandé", de Michaux à Franz Hellens : "Vite, frottez une allumette. En tout cas, NE LES PUBLIEZ PAS". Franz Hellens ne publie pas, mais, en 1963, "confie" ces lettres à un bibliophile, Robert Moureau, qui prend toutes les dispositions pour une publication. Un "projet de mise en lumière de ces documents" écrit joliment M. Leonardo Clerici, "resté inachevé par les interdits du destin" (Robert Moureau meurt). Une cascade de noms ici cités laisse supposer que ces lettres, "qui ne devaient pas être publiées" sont passées par pas mal de mains avant d'heureusement nous parvenir pour 1) compléter les oeuvres dites complètes de Michaux, 2) une meilleure connaissance des débuts du poète.
Dans ces années 22-24, l'écrivain Franz Hellens, alors auteur d'une Mélusine, avait fondé et dirigeait à Bruxelles Le Disque Vert, revue d'excellent aloi et donc de vie difficile, se transformant en Ecrits du Nord, redevenant Le Disque Vert, s'interrompant, selon l'état des fonds. Elle avait un correspondant à Paris, le jeune Pascal Pia, et se vendait dans une unique librairie du Boulevard du Montparnasse quand, de Bruxelles, on avait pensé à en envoyer quelques exemplaires.
Le jeune Henry (y) Michaux était à l'époque surveillant au "pensionnat de l'Athénée de Chimay". Il s'y ennuyait ferme. Il était possédé du désir forcené d'écrire. Quel meilleur moyen que de proposer à Franz Hellens une critique de Mélusine ? Tout en lui faisant part de ses projets : une étude scientifico-philosophique sur "un cas de folie circulaire". Une autre à partir du Rêve.

Un autre désir forcené : quitter Chimay pour Paris où, selon lui, existe une vraie vie littéraire, "dussé-je être chauffeur d'autos, un des rares métiers que je connaisse bien".
Il s'intéresse à "Cendrars Blaise", à "Marcel Proost" (sic). Il n'a pas d'argent pour les acheter. "Sitôt lus, je vous les renverrai".
La revue publie sa "Chronique de l'aiguilleur". Elle n'est jamais assez féroce à son goût. Il demande à
Hellens de lui envoyer "un bouc émissaire, un littérateur, sous-talent ou des individus touchant de loin ou de près à la littéraire (sic) sur qui je pourrais faire une critique archisalée de ma façon..." C'est que, pour parler de Mélusine comme il convient, il lui faut du temps. Et, pour lui-même, ce qui deviendra "Le Rêve et la Jambe" lui donne pas mal de tintouin. "Je ne sais rien faire à demi. Je ne sais pas accepter les idées des autres sur quoi que ce soit. Je suis, de force inventeur..." Il étudie des "ouvrages scientifiques sur le Rêve" et "il pense littéraire nouveau style".
Si l'on écrit, c'est en vue d'être publié. Il semble que pour l'auteur ce soit la mode, du moins pour les publications du Disque Vert, de payer l'impression. Le jeune surveillant distrait de son maigre salaire ce qui lui permettra de se voir imprimé.

Ses essais "philosophico-scientifiques" semblent avoir eu peu d'écho. Alors il va écrire à toute vitesse de "la prose Marcel Proust". 500 pages, "rien ne m'empêche d'aller jusqu'à des milliers". Titre projeté : "18 semaines à la maison... Ce sera lu, ce sera scandaleux mais aura 10 éditions, tandis que le Rêve il lui faudra 5 ans ou même plus avant d'être connu".

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Maurice Nadeau

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07/06/2018 | Lien permanent

La perception du moi dans l'espace, par Henri Michaux

On est peu de chose. Notre idée de l'espace, notre impression d'une nouveauté en art, une artériole bouchée, peuvent en être la cause. Michaux l'a éprouvé un jour au cinéma (Une foule sortie de l'ombre). Le film l'avait étonné par ses déformations d'images. Cet "infini s'abouchant avec le fini et s'y écoulant", n'était-ce pas l'explosion cubiste en peinture ? Or Michaux souffrait simplement d'un trouble circulatoire de l’œil. Il en fut quitte pour l'éblouissement. La révolution du septième art, ce serait pour une autre fois !

Un état d'âme, une saute d'humeur peuvent aussi modifier nos perceptions. Dans un hôtel moderne, par grosse chaleur, le poète éprouve comme un remords, une légère hostilité ; et voilà que la réalité se mine, la ville se désagrège. Une autre fois, ce sera l'inverse : un petit instrument de musique africain, dont Michaux n'avait perçu jusque-là qu'un : "cra-cra dévastateur de corbeau", sans note concertante, des "torchons sonores", lui est devenu supportable, presque suave, grâce au découragement rageur, batailleur, où il l'a plongé. Une lame plus crissante que d'autres, évoquait et provoquait chez lui le refus de s'attendrir (si fréquent en musique), à vaincre une incrédulité première, pour entrer dans le réceptif...

L'âme du poète est plus insatiable que le corps, mais elle hérite de sa maladresse. Par horreur de la routine pétrifiante, elle se laisse envahir, traverser, dissoudre, métamorphoser, martyriser. Le moi devient ingérable. Même le je qui tient la plume doute de sa réalité, de son pouvoir.

Les malheurs de Plume (à prendre dans tous les sens du terme : ce qui est léger d'apparence mais aussi ce qu'anime la main du scripteur) mettent en comédie toute intériorité dans ce qu'elle a d'inassemblable, nostalgique, et inquiète d'une plénitude possible. L'Autre n'est pas plus rassurant, avec son visage sans cesse braqué, tonnant. Comme pour ce qu'il en est des voyages dans leur effet délocalisateur, nos semblables ont surtout le mérite de nous donner le sentiment d'être étranger à nous-même. DM

 

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Henri Michaux, gouache inédite, 24 x 32 cm, 1951


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Double portrait, photo de Claude Cahun

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01/06/2018 | Lien permanent

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