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16/06/2016

Un portrait-lettre inédit de Jean Cocteau

Du Piquey, en Gironde, Jean Cocteau écrivit ce portrait-lettre, en date du 27 juillet 1923, à Paul Morand. Lettre importante puisqu’elle évoque les peintres Marie-Laurencin, Jean Hugo, Valentine Hugo, l’écrivain Raymond Radiguet, le compositeur Georges Auric…
Paul Morand conservera toujours de l’admiration pour « l’électricité » de Jean Cocteau, et entra dans la modernité sur ses traces, sans pour autant pénétrer aussi loin dans l’avant-garde. Au début des années 1920, il fréquentait parfois le groupe réuni régulièrement autour de Cocteau, qu’il appelait « la société d’admiration mutuelle », comprenant les compositeurs Georges Auric, Arthur Honegger, Francis Poulenc, Erik Satie, les artistes Marie-Laurencin ou les époux Hugo, l’écrivain Raymond Radiguet…

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Transcription :

« Donne de tes nouvelles. Les Hugo débarqués hier. Auric joue du piano sur une machine à écrire. Radiguet lui dicte son roman [Le Diable au corps]. Où en est le tien ? Article de Vanity Fair arrive comme la lumière des étoiles. Étrange prose de Marie [Marie Laurencin collaborait à plusieurs revues américaines dont Vanity Fair].
Je corrige Thomas [son roman Thomas l’imposteur]. J’ai suivi ton conseil. Tu avais raison.

Je voudrais lire ton courrier du Dial [Paul Morand avait repris en juillet 1923 la chronique d’Ezra Pound Letter from Paris publiée à New York par The Dial Magazine]. Dis à S. de me l’envoyer [probablement Gertrude Stein].
Je viens de recevoir Les Mariés en tchèque [traduction du texte de son ballet d’avant-garde Les Mariés de la Tour Eiffel]. C’est même le seul tchèque qu’ils me rapportent. Voici la première réplique : Nini ! Egy strucc ! Atmegy a sginen… »

                                                              Jean

15:33 Publié dans Arts, Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

14/06/2016

Balthus (1908-2001) opus 1

Balthus est, certainement, l'un des douze très grands peintres du XXe siècle. Distant, réservé, il construit des tableaux, relativement peu nombreux (1) : des compositions à la fois ordonnées et inquiétantes, harmonieuses et étranges, impassibles et fiévreuses, évidentes et insolites, savantes et, par moments, volontairement gauches, toujours subtiles et exacerbées.

Balthus révèle la difficulté secrète du métier de peindre, l'alchimie de la couleur, le trouble de la chair, les perspectives modifiées, le clacissisme chaviré, la raison déréglée. A partir des fresques de Piero della Francesca, à partir de Courbet et de Cézanne (pourtant différents), à partir des paysages chinois, à partir des Hauts de Hurlevent (1847), d'Emily  Brontë et d'Alice au pays des merveilles (1865) de Lewis Carroll, il propose ses énigmes géométriques et sensuelles.

Souvent, il privilégie les paysages. Il intitule un de ses tableaux Passage du Commerce Saint-André (1952-1954). Il met en évidence, dans d'autres oeuvres, le passage de l'enfance à l'adolescence, celui du sommeil au réveil, celui de l'innocence au plaisir. Dans la peinture de Balthus, les gestes sont immobilisés éternellement. Le temps est arrêté. L'instant sublime demeure : un moment miraculeux, une chance, un risque.

Dans La Rue (1933), le garçon sensuel palpe la fillette aux yeux baissés ; un enfant un peu obèse joue avec sa raquette ; vue de dos, la femme arbore des rubans rouges en un étrange chapeau, géométrique ; un ouvrier en blanc (un menuisier ou un charpentier) porte sur son épaule une planche qui dissimule son visage barré... Dans Les beaux jours (1944-1946), une adolescente tient un miroir, rêveuse et, de dos, un homme agenouillé attise le feu et le désir, près de la cheminée... La Leçon de guitare (1934) serait une initiation cruelle aux jeux d'Eros... Les joueurs de cartes (1966-1973) : le garçon et la fillette, aux crânes aplatis, trichent peut-être ; ils sont méchants, butés, haineux ; le jeu est un défi, un duel féroce ; et la peinture serait aussi la lutte du peintre et de son oeuvre...

Dans La Chambre (1952-1954), un gnome obstiné lève un rideau et illumine le corps nu d'une adolescente ; est-ce le soleil, ou un voyeur invisible, qui contemple la nudité ? Ou bien, le peintre lève, lui aussi, un rideau (Le Peintre et son modèle (1980-1981)... Et aussi, les paysages de Balthus, en partie brumeux, exhibent la peau de la Terre, immense et changeante. Comme le disait Shi Tao (voir note blog du15/8) vers 1710 : "Le Paysage exprime la forme et l'élan de l'Univers (...) Verticales et horizontales, creux et reliefs constituent le rythme (...) Le contraste des replis et des ressauts constitue l'alternance de l'action et de la retraite".

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                                                                                                 Gilbert Lascault

(1) Virginie Monnier/Jean Clair, Balthus, Catalogue raisonné de l'oeuvre complet, Gallimard, 1999.

16:41 Publié dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0)

Balthus opus 2

... Altier, souverain, parfois serein, toujours indépendant, il se nomme, à certains moments, le "Roi des Chats". Balthus serait "le chat qui s'en va tout seul ; et tous les chemins se valent pour lui".

Le 18 février 2001, le Roi des Chats meurt et, immédiatement, cinq livres constituent des hommages à Balthus et apprortent un grand nombre d'informations biographiques et de phrases personnelles de l'artiste.
. Dirigé par Jean Clair, le superbe catalogue officiel de l'exposition Balthus à Venise réunit de nombreuses illustrations, des documents souvent inédits et des textes passionnants : entre autres, les analyses subtiles de Jean Clair, les commentaires des oeuvres de Virginie Monnier, l'étude de James Lord, celle du sculpteur Raymond Mason, celle de Sylvia Colle Lorant, de Giorgio Soavi... Michela Terreri, une des modèles de Balthus (Michelina), est un témoin perspicace qui se souvient de longues journées de "pose" : un témoignage précieux, rare.

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Frédérique Tison et Balthus à Chassy en 1957

 
. François Rouan, grand peintre, jadis pensionnaire à la Villa Médicis, ami de 30 ans de Balthus et de sa famille, intime, publie un livre étonnant, précis, sagace et fervent : Balthus (Ou son ombre). François Rouan est simultanément un témoin ébloui et un observateur attentif. Successivement, il décrit divers ateliers de Balthus, leurs changements, le vide solennel de bâtiments immenses, l'encombrement et le désordre (voulu ou accepté) de certaines zones de l'atelier, la "chasse au modèle" de l'artiste. François Rouan compare tel tableau de Balthus au "chef-d'oeuvre inconnu" de Balzac et met en évidence les corps déplacés : "Une tête a disparu au-dessus de l'orbe grise de ce qui fut l'encolure d'un tee-shirt" ; "l'humanité est encore présente par fragments, par facettes, en un mouvement de reconstruction". La recherche de Balthus serait la "force qui s'affirme dans une poétique de trébuchements". Ou bien, devant son tableau, Balthus parle à François Rouan : "Il faut que ça tourne. Tu sais comme ce mouvement rotatoire des couleurs sur les tranches des moulins colorés, tournicotent quand on les pousse rapidement et qui enlacent si bien le rouge, le jaune, le bleu et le vert... Tu sais bien... ces jouets qu'aiment tellement les enfants..."
. Vous lirez, peut-être, aussi les Mémoires de Balthus (recueillis par Alain Vircondelet) et Balthus à contre-courant (entretiens avec Constanzo Costantini).
. Mais surtout, oui surtout, ouvrez donc pour commencer la Correspondance amoureuse de Balthus et d'Antoinette de Watteville (1928-1937). Cette correspondance, sincère et théâtrale, est un roman épistolaire, une merveilleuse éducation sentimentale, l'apprentissage d'un grand peintre. Depuis l'enfance, Balthus et Antoinette se connaissent, se fascinent, dans leur paradis. Tous deux se séduisent, en particulier par l'écriture. Tous deux sont passionnés, tendres et cruels, insolents. Antoinette est le modèle de La Toilette de Cathy (1933). Elle est la Cathy des dessins des Hauts de Hurlevent... Balthus et Antoinette se marient en 1937 ; ils auront deux fils (qui viennent d'éditer cette Correspondance), puis ils divorceront plus tard.

                                                                                                Gilbert Lascault  

Balthus, de Jean Clair et coll. Catalogue officiel de l'exposition au Palazzo Grassi à Venise, (9 septembre 2001- 20 janvier 2002), Flammarion éd, 400 illustrations.
Balthus, Correspondance amoureuse de Balthus et d'Antoinette de Watteville (1928-1937), Buchet-Chastel éd., 23 €
Balthus (Ou son ombre), de François Rouan, Galilée éd., 20 €
Mémoires de Balthus, recueillis par Alain Vircondelet, Rocher éd., 19 €
Balthus à contre-courant, entretiens avec Constanzo Costantini, Noir sur blanc éd., 21 €

16:41 Publié dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0)