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19/04/2018

Diérèse 73 : Jean Bensimon, avec "Ce que fut ma vie"

"Je songeais à ce que fut ma vie en marchant de long en large dans la pièce du palais où je travaille. Quand, d’une fenêtre, j’aperçus un homme à cheval qui entrait lentement dans la cour pavée. Hirsute, la barbe broussailleuse, le visage émacié, barré d’une cicatrice, couvert de boutons et de griffures, les yeux hagards, ses mains pendaient sur la bride plus qu’elles ne la tenaient. Il semblait épuisé. Et la monture ne valait guère mieux. Une certaine lourdeur caractérisait sa démarche. Des naseaux coulait une bave blanchâtre, un pansement sommaire recouvrait une plaie au flanc droit mouillé par la transpiration. Ce n’était plus un cheval mais un fantôme de cheval. Combien les six cavaliers de l’escorte semblaient en comparaison frais et alertes ! Deux d’entre eux mirent pied à terre pour aider l’homme à descendre. Ils le tenaient fermement sous les aisselles et par la taille..."


Jean Bensimon

Diérèse 73 : Muriel Carminati, avec "L'Oiseau de Sibérie"

"La nuit allait tomber. La lumière dorée semblait prête à enflammer les troncs des bouleaux, blancs et droits comme des bougies d’église. Il fallait se dépêcher. Encore deux ou trois à abattre et la norme serait à peu près respectée pour cette fois.
Le dernier arbre chancela lentement et s’effondra dans un grand soupir d’aise. Comme soulagé de n’avoir pas à endurer le prochain hiver.
On reviendrait demain pour débiter. L’homme donna quelques coups de pied dans le bois et esquissa un rictus. Pas trop friable. Tant mieux. De toute façon, on n’avait pas le choix. On devait prendre ce qu’il y avait. Il fit le tour de l’arbre fraîchement abattu comme pour se persuader qu’il était bien mort.
Il allait donner le signal du départ lorsqu’il aperçut dans le feuillage brisé comme une casquette à l’envers..."


Muriel Carminati

17/04/2018

Du Journal de Pierre Bergounioux à celui de Giacomo Leopardi

Bonjour à toutes et à tous,

La maquette de la future livraison de Diérèse est entre mes mains ces jours-ci, les choix s'opèrent car les textes sont abondants pour cette livraison, trop même... Je commencerai par le Journal de Pierre Bergounioux qui court du 1e janvier au 16 février 2018. Un extrait en avant-première, pour le plaisir :

"Sa 13.1.2018

Debout à six heures et demie. Je reprends Weber dont l’érudition me confond, chaque fois, et les jugements froids, toujours, me laissent interdit. Pas de sentiment : la « neutralité axiologique ». On traite les faits sociaux comme des choses. Il explique, magistralement, le tribunat romain, la formation du popolo à Florence, les intrigues des Médicis. Du voyage à Paris, jeudi, une fatigue m’est restée et me pèse. Je ne lis pas suffisamment bien. M’en vais à cinq heures, lorsque Cathy rentrait de chez la coiffeuse, sors je ne sais où du RER, à Châtelet-Les Halles et me trompe par deux fois de chemin parce que les travaux ont bouleversé la physionomie de l’endroit, qui avait fini par me devenir familière, depuis quarante années. Je commence par me retrouver rue de Rivoli, m’engage rue Pierre-Lescot avant d’enfiler enfin, à hauteur du « Père tranquille », la rue Rambuteau. Je vais avoir cinq minutes de retard et l’épaisseur de la foule est telle qu’il faut se plier à son rythme, lent, sirupeux, divagant, irritant. Non seulement les trottoirs mais la chaussée sont engorgés, les cafés bondés, y compris les terrasses, malgré le froid, et l’air est curieusement entretissé de paroles dont on saisit, au passage, des bribes..."

Parallèlement, j'ai grappillé dans le Journal de Giacomo Leopardi ces quelques phrases, traduites par Charles Reynaud. Hors-temps celui-ci et tout empreint de nostalgie, lisez plutôt :

"Quel bel âge que celui où tout était vivant pour l'imagination de l'homme et vivait humainement, c'est-à-dire était formé ou habité par des êtres semblables à nous ; quand, dans les bois les plus déserts, on était sûr que vivaient les hamadryades, Pan, les faunes, les sylvains, etc. Qu'en y entrant, et n'y voyant que solitude, on croyait cependant tout habité - et de même pour les sources, habitées par les Naïades, etc. Et quand on serrait un arbre contre son cœur, on le sentait presque palpiter, car on croyait que c'était un être humain, comme Cyparis - et de même pour les fleurs, etc., comme le croient justement les enfants.

Bien que la grandeur, la beauté, la vie, se soient éteintes dans le monde, notre inclination pour elles n'est pas morte en nous. S'il nous est refusé de les atteindre, il ne nous est pas défendu, il n'est pas possible de nous défendre de les désirer... "