06/04/2018
Diérèse 70 sous le regard de Marie-Christine Masset
Diérèse 70, Poésie & Littérature, printemps-été 2017
Ce numéro s’ouvre sur une citation de Pierre Dhainaut Les poèmes sont des avancées, ils n’ont de valeur que s’ils nous incitent, auteurs et lecteurs, à poursuivre. Ainsi pourrait-on également dire de cette revue (et des revues de poésie en général).
Après l’éditorial d’Olivier Massé à l’allure de Manifeste : oui, il y a quelque chose à dire parce que le monde ne le dit pas, ou pas assez, ou pas comme il faut, Poésie du Monde nous entraîne au cœur de la poésie de l’Amazonie Péruvienne. Par son article et le choix des poèmes, Philippe Monneveux dresse le panorama de cette poésie qui peut se définir comme une synthèse originale des mythes et de la magie de l’univers amazonien, de l’histoire de la région (…) et d’une sensibilité écologique exacerbée. On peut citer, entre autres, Perez Vílchez Vela Pourquoi personne n’a construit ici un lieu/tranquille où il vaudrait la peine venir/se gratter comme une poule ? / et Ana Varela Tofur C’est le héron qui guide le clan humain et annonce les pluies/.
S’ensuit Cahier 1, six poètes sont présents dont Maurice Couquiaud Il faudrait baguer le cœur de tout poète et Daniel Martinez Mots-chansons d’un bonheur à prendre/où qu’il soit. Cahier 2 donne à lire neuf poètes. Dans Cahier 3, se lit avec beaucoup d’intérêt un échange entre Daniel Abel et Bruno Sourdin. Le poète évoque sa relation toute d’amitié avec Elisa et André Breton. La valeur littéraire de l’entretien est manifeste tant les informations sont riches et le propos approfondi Breton c’est le parti de la vie. Daumal celui de l’esprit.
La partie Récits accueille cinq auteurs. C’est avec un grand plaisir qu’on retrouve dans Libres Propos, la rubrique d’ Etienne Ruhaud Le Tombeau des Poètes. C’est à la division 49 (Alain Jouffroy) et 64 (Georges Melliès) qu’il se consacre. Les détails du parcours des artistes sont donnés avec précision, sans oublier cette pointe de truculence propre à Ruhaud.
Bonnes Feuilles offre de multiples et denses recensions. À ajouter que six artistes se partagent l’iconographie de ce numéro, les encres de Jean-Claude Pirotte ponctuent la qualité de l’ensemble.
Marie-Christine Masset (revue Phoenix n°28)
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04/04/2018
René Char et Nicolas de Staël
Le Poème pulvérisé paraît aux éditions "Fontaine" en mai 1947. Les 65 exemplaires de tête comportaient une gravure originale de Henri Matisse.
Pour une œuvre d'entraide, René Char, quelques mois plus tard, écrivait sur un exemplaire, en regard de chaque poème, sa rapide relation. Plus tard, l'éditeur Jean Hugues et le poète eurent l'idée de publier ensemble les deux versions de chaque texte. Ce recueil aura finalement pour titre : "Arrière-histoire du poème pulvérisé". Chaque texte inédit, inséparable du poème qu'il accompagne, est imprimé à sa suite, en caractères italiques, ainsi que nous le signale Jean Hugues.
Soulignons que lesdits poèmes "explicatifs" sont bien plus qu'un accompagnement, ils aident à comprendre mieux la genèse de chaque poème, son socle primordial. Voici ce qu'en dit René Char, en mai 1953 : "Je crois que les lignes supplétives que l'on va lire ne visaient qu'à réintroduire après coup dans l'édifice toujours frissonnant du poème un peu du monde gauche ou intenable qui avait servi à sa confection".
Une lithographie exceptionnellement signée et justifiée ici "épreuve" par Nicolas de Staël - un portrait de René Char -, insérée dans les exemplaires sur Hollande, paraît donc en mai 1953. L'histoire proprement dite de cette édition a été contée dans le n°6 de la NRF (juin 1953) par Jean Hugues et le poète (repris dans La Pléiade).
Dans cette note blog, prenons le temps de relire aujourd'hui "la marge confidente" du poème "Donnerbach Mühle". Enfin, qu'il me soit permis de m'étonner ici que ces fameux textes d'accompagnement ne suivent pas ceux du recueil initial de mai 1947 dans les Œuvres complètes de La Pléiade, mais aient été relégués en fin de volume dans la rubrique "Œuvres adjointes". Voici :
Durant l'hiver miné de 1939, alors qu'artilleur dans le Bas-Rhin, je me morfondais derrière des canons mal utilisés, chacun de mes loisirs, de préférence la nuit, me conduisait au lac de Donnerbach Mühle, à 3 km de Struth, à la maison forestière, où en compagnie d'un camarade nous prenions un frugal mais combien délicieux repas, servi par un couple de forestiers francophiles. Le retour parmi le gel de l'air, la neige voluptueuse sur le sol, des hardes fugitives de cerfs et de sangliers, était une fête royale pour la sensibilité. J'ai aimé, j'aime cette partie des Vosges qui, échappant au caricatural pseudo-progrès, voulait bien se livrer tout entière au baiser de mon cœur ébloui.
René Char
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René Char et le surréalisme
Suite à des demandes d'éclaircissements sur la position de René Char dans le mouvement surréaliste, la parole est donnée à Gérard de Cortanze in "Le surréalisme", M.A. éditions, 1985 :
Le passage de René Char par le Surréalisme est de courte durée. De 1929 à 1934, il collabore au premier numéro de La Révolution surréaliste avec un court texte "Profession de foi du sujet" et au Surréalisme au service de la révolution – qui comptera 6 numéros (n°1 en juillet 1930, n°6 en décembre 1931) – le poète collabore au n° 1, 2, 3, 4, 6 & signera plusieurs déclarations collectives dont les tracts Paillasse ! et L'Age d'Or, et participe à deux enquêtes. Sa réponse à celle concernant l'amour est aussi concise qu'énigmatique : "Non, pas sur cette grande personne laborieuse que j'ai dépassée sans la reconnaître". Ses premiers livres*, "Arsenal" (1929), "Artine" (1930), "L'action de la justice est éteinte" (1931) sont publiés aux Éditions Surréalistes.
Poème manuscrit extrait de Seuls demeurent, Gallimard, 1945
Il s'éloigne du groupe en 1934 et publie la "Lettre à Benjamin Péret". On le retrouve à la villa Air-Bel avec Breton, Daumal, Arthur Adamov, au-delà de toute brouille. Réunis sous le titre "Le Marteau sans maître" (Corti, Paris, 1934), les poèmes de cette période montrent un Char proche d’Éluard et de Lautréamont. Et si le Surréalisme ne représenta qu'un moment de sa trajectoire poétique, on ne peut dire de cet écrivain de la solitude charnelle et de l'amour fulgurant qu'il est "devenu à la fois poète agricole et imitateur d'Héraclite, défenseur des garrigues menacées par le grand projet nucléaire de la cinquième République" (P. Audouin). Frère de Camus dans la Résistance, il reste indéfectiblement attaché à l'irréductible de l'automatisme, comme le prouvent "Fureur et mystère" (Gallimard, 1948) et "Recherche de la base et du Sommet" (Gallimard, 1955), mais ne retient du Surréalisme que ce qui peut servir au destin de sa propre poésie. "Le poème est l'amour réalisé du désir demeuré désir", écrit-il. Hautaine, étrangère à toute démagogie – "Je n'écrirai pas de poème d'acquiescement" – sa fureur poétique en fait un poète engagé vers la "réalité rugueuse" de la connaissance, de l'essentiel. "Enfonce-toi dans l'inconnu qui creuse. Oblige-toi à tournoyer."
Gérard de Cortanze
* en fait, le premier livre de René Char s'intitule : "Les Cloches sur le coeur", accompagné de dessins de Louis Serrières-Renous. Paris, éditions Le Rouge et le Noir, 1928. Signalons que l'édition a été en presque totalité détruite par l'auteur.
Est-il besoin de souligner ici que dans le volume de La Pléiade consacré à René Char manquent malheureusement "quelques" titres ? Pour mémoire, je citerai "Le visage nuptial", Paris, 1938, sans mention d'éditeur, plaquette in-8, tirée à 115 exemplaires. Ou encore "Quatre loquets à soulever", 1948 : "piquetures" sur mouchoir de Fanny Viollet, présenté sous carton entoilé. Hors commerce, ce joyau a été tiré à douze exemplaires numérotés et signés par l'artiste. En cela, René Char demeura fidèle à l'esprit surréaliste pour qui la quête du Beau, hors normes, se moque des "lois" du marché.
Par parenthèse, Diérèse a publié au fil de ses livraisons deux poèmes inédits de René Char...DM
10:34 Publié dans Auteurs, René Char | Lien permanent | Commentaires (0)