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25/12/2020

Notes et contre-notes

J'avais oublié un "s" dans la dernière citation de Christian Bobin, qui faisait passer un verbe pour une conjonction de coordination (honte à moi). A ma décharge, j'écris bien trop vite, sans me relire le plus clair du temps ; là, à l'instant où je saisissais cette note, je devais prendre sous peu le train pour me rendre à Paris, y travailler oui, un jour de Noël. Diable, où es-tu ?
Et puis, je relisais dans le transilien quelques instants après, coïncidence !, Henri Thomas (in "La joie de cette vie", éd. Gallimard, 18/12/1991), pour tomber sur cette phrase, page 64 : "J'ai vu le diable qui retire sans bruit un à un tous les clous, les pointes, qui tenaient ensemble et solide la chose que l'on avait construite dans la journée - si bien qu'au lever du jour, dans un étrange bruit d'envol lourd... Tout s'écroule."

Rien ne s'écroule en fait, sauve la foi que nous aurons mis dans l'édification, dans la réalisation de l'objet de nos vœux. Si le devenir nous échappe, comme la suprême logique qui gouverne toutes choses, c'est bien parce qu'elle n'obéit pas au rationnel stricto sensu, à la ligne directrice de nos actes communs. Si notre société (comme l'environnement qui la porte) se délite de l'intérieur, c'est bien parce que le sens du social, du vivre ensemble y a été relégué au plus bas. Et là, en étant honnête, rien ne pourra inverser le mouvement en cours, tant le nombre de bévues multipliées écrase de sa masse les bonnes intentions de quelques-uns, qui ne sont pas à compter parmi les puissants de ce monde.

Alexis, qui a publié in Diérèse 79 une belle suite de poèmes, m'informe qu'il sera édité chez Gallimard en mars prochain, ce qu'il ignorait en me confiant ses textes. J'en suis heureux et le lui écris. Sans oublier pour autant qu'un ancien auteur de Diérèse prétendait qu'Antoine Gallimard ne publierait plus de poésie en 2021, après le dernier Sourdillon, fin 2020 : chacun voit midi à sa porte c'est un fait (dépit de ne pas être publié dans cette maison l'an prochain ?)
A propos, je me rappelle avoir été malmené dans les premiers temps de Diérèse (nous étions en 1998) parce que j'osais parler dans mes colonnes de la maison Gallimard. Héraclite disait : "C'est par comparaison à l'homme qu'est laid le plus beau des singes." L'idéal est de se moquer de nos détracteurs en leur renvoyant le plus respectueux silence.

Lorand Gaspar, qui fut chirurgien à Tunis, une ville que je connais bien, écrivait in "Derrière le dos de Dieu", (éd. Gallimard, 19/03/2010) en page 35 :

Des soleils petits, frileux
clignotent dans le sang qu'il perd
lentement, indubitablement...
Aussi indubitable l'étonnement,
pâleur et solitude posées dans le visage
vieux papiers jaunis et ces deux
flaques de jour tapies au fond
de la chambre de soins intensifs,
un jardin de tuyaux et d'écrans
la vision a éteint le dehors
ce qui reste d'images, de touchers
de mots inutiles pour la pensée
que captent les neurones dans l'obscurité
du tunnel qui débouche sur
l'éblouissement de l'inconnu -
parmi des coquillages et des bois morts
qu'illisibles dépose la mer -

J'y revois se dessiner la fin de mon frère Hugues, dans un hôpital de Seine Saint-Denis. Et la peine qui fut la mienne, voyant son corps sans vie ne répondre aux baisers que je lui adressais, post-mortem.


Daniel Martinez

21:18 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)

24/12/2020

Joyeuses fêtes à toutes et à tous !

A celles et ceux qui suivent mon blog, régulièrement ou pas, je souhaite de très heureuses fêtes, loin des communs soucis qui nous polluent la vie ces temps-ci. Mille bonnes choses donc, les plus douces et les mieux senties, nourries de l'espoir qu'après cette année 2020 vienne une année 2021 plus paisible, moins tributaire des aléas sanitaires. Profitez bien, la vie est un cadeau (life is a gift !), mais en ces circonstances sachez aussi prendre soin de vous. A bientôt. Amitiés partagées, Daniel M.

"L'âge d'or n'est pas derrière nous, dans l'épaisseur d'une nostalgie. L'âge d'or est devant nous, dans la transparence d'un regard." Christian Bobin

SAN LORENZO.jpg

09:41 Publié dans Eden | Lien permanent | Commentaires (0)

23/12/2020

"L'enfant de la Pythie", de Jacqueline Chénieux, éditions Coprah, 1976 : au 14 Grand'Rue (à Montpellier), 230 ex, les 30 premiers avec une litho originale de Yves Rouvre

L'adolescent gauche et l'enfant gracile que tu étais se donnent la main et sautent à cloche-pied. L'adolescent a le talon dans le plâtre et l'enfant, la tête dans les nuages. Le premier regarde son père en dessous, et ses oreilles sont rouges ; le second se vêt et se dévêt sans savoir quand il faut s'arrêter. L'enfant mince connaît par le menu ce que contient chacune des malles du grenier, il invente des jeux absurdes, et souvent laisse faire aux autres enfants les tâches qu'on lui a confiées : non rouerie, mais indifférence légère. Entre l'âge du rêve et l'âge de la révolte, entre l'enfance et l'adolescence, tu n'as pas connu la sournoiserie. Aujourd'hui, ta colère est limpide ; elle a les yeux gris de toutes les colères, de toutes les révoltes.
Tu as rêvé que tu es séparé de ta famille pour des raisons politiques ; tu es interdit de séjour en France et en Angleterre. Tu dois t'enfuir en Espagne - que tu ne connais pas, en vérité -, et te trouves entraîné par le bruit d'une fête foraine ; des grelots s'attachent à toi. Te voici en attente auprès d'une baraque dans laquelle est en train d'officier une Pythie des rues. La file est longue ; tu prends ton temps, pénétré de patience. Devant toi, on gesticule : un mauvais garçon se voit reprocher par la populace d'avoir trois chemises ; d'ailleurs l'une d'entre elles dépasse sur son pantalon. Il est aussitôt chassé de la file des candides. Pour se venger, il saisit une bouteille à portée de main : elle se fend en deux moitiés parfaites sur l'aura compacte et blanche qui cerne la tête et les épaules de la voyante. C'est ton tour, et tu parles. Sans paroles tu tiens baissée la tête sur une vasque remplie de sang. Ta pensée pénètre en bulles dans l'esprit de la voyante. En échange, elle te livre le jour - tout blanc : tu es réveillée.


La Pythie, jeune femme brune avec un enfant blond, mais c'est elle qui m'a tenu compagnie cet été. Tu ne veux pas me croire, et tu hoches la tête, tes yeux gris fixés sur moi. Nous habitions le haut plateau mort aux bruyères pétries par le vent ; quand nous descendions dans les vallées, parfois nous ressentions des nausées, et les fougères nous paraissaient plantes de terre fécondes. En remontant, les hêtres et les conifères s'agglutinaient en traînées visqueuses, et puis, c'était le basalte, ses orgues sur les tranches abruptes des terres, ses blocs erratiques entourés de cils pâles, herbus. Plus loin, là où il n'y a plus même de troupeaux, les lacs sont blancs. On voit encore des rapaces. Les uns et les autres nous disaient un avenir silencieux.


Jacqueline Chénieux


 

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