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02/07/2015

Le premier des 154 "Sonnets" de Shakespeare, traduit par Jean Rousselot

From fairest creatures we desire increase,
That thereby beauty's rose might never die,
But as the riper should by time decease,
His tender heir might bear his memory ;
But thou, contracted to thine own bright eyes,
Feed'st thy light's flame with self-substantial fuel,
Making a famine where abundance lies,
Thyself thy foe, to thy sweet self too cruel.
Thou that art now the world's fresh ornament
And only herald to the gaudy spring,
Within thine own bud buriest thy content
And, tender churl, mak'st waste in niggarding.
   Pity the world, or else this glutton be,
   To eat the world's due, by the grave and thee.

                                         William Shakespeare

Traduction de Jean Rousselot

Des plus beaux êtres nous voulons progéniture,
Que la rose, ainsi, ne meure la beauté,
Mais que, lorsqu'à son terme expire la plus mûre,
Puisse un frêle héritier sa mémoire attester.

Mais toi, qui à tes seuls yeux brillants te fiances,
De ta propre substance tu nourris ta flamme,
Créant une famine où régnait l'abondance,
De toi-même ennemi, trop cruel pour tes charmes.

Toi qui es aujourd'hui l'ornement frais du monde,
Et ne fais qu'annoncer encor le gai printemps,
De ton bourgeon tu fais à ta sève une tombe
Et tu te ruines, jeune avare, en lésinant.

Aie donc pitié du monde ou bien mange, goulu,
Ce qui par toi et par la tombe lui est dû.

24/06/2015

John Keats adapté par Jean Rousselot opus III : "le choeur des nymphes de la mer"

                         Ecrit un soir d'été

Les cloches égrenant leurs sons mélancoliques
Ont appelé les gens à se plonger encore
Dans la prière, la tristesse, le remords
Et de quelque sermon l'affreuse rhétorique

Il est sûr que l'esprit de l'homme est garrotté
Par quelque obscure incantation : on voit chacun
S'arracher au foyer, aux doux airs lydiens
Aux entretiens avec les maîtres consacrés

Cloches toujours, cloches encore ! Il m'en viendrait
Un frisson sépulcral si je n'étais certain
Qu'elles vont mourir comme une lampe s'éteint

Que c'est leur dernier souffle et leur ultime plainte
Avant qu'on les oublie et qu'à présent vont croître
Beaucoup de fraîches fleurs et d'immortelles gloires.


* * *


                         Sur la mer

Elle entretient autour des rives désolées
Un murmure éternel et sa houle musclée
Forge deux fois dix mille grottes, que le charme
D'Hécate rend ensuite à leur sombre rumeur

Et souvent on la voit de si tranquille humeur
Qu'à peine en plusieurs jours la plus infime écaille
S'écartera du lieu où voulurent qu'elle aille
Les derniers vents qui par ici furent lâchés.

Ô vous dont les yeux sont abîmés et lassés
Donnez-leur en festin l'immensité des mers !
Ô vous par les grossiers tumultes assourdis,

Ecoeurés par l'excès des fades mélodies,
Méditez à l'orée d'une antique caverne :
Vous entendrez le choeur des nymphes de la mer.

                             John Keats, trad. Jean Rousselot

23/06/2015

John Keats adapté par Jean Rousselot pour "Diérèse" opus II

Qui me dira pourquoi j'ai ri la nuit dernière ?
Ni Dieu ni le démon aux répliques sévères
Du Ciel ou de l'Enfer ne daigne me répondre.
Alors vers mon coeur d'homme aussitôt je me tourne :

Coeur, tu es comme moi triste et seul en ce monde.
Dis, pourquoi ai-je ri ? Ô mortelle douleur !
Ô ténèbres, ténèbres ! Devrai-je toujours
Interroger en vain Ciel, Enfer et mon coeur ?

Pourquoi donc ai-je ri ? Je sais le bail de l'être

Et prolonger par fantaisie ses joies suprêmes,
Et pourtant je voudrais mourir sur l'heure, et voir

Les pompeux pavillons terrestres en charpie.
Plus superbe est la mort que Beauté, Force et Gloire.
Elle est la récompense hautaine de la vie.


* * *

                  Ce que dit la grive


Ô toi qui as connu l'hivernal aquilon,
Vu les nuées de neige à la brume accrochées
Et le front noir de l'orme aux étoiles glacées,
Le printemps te sera le temps de la moisson.

Ô toi dont le seul livre a été la lumière
Des ténèbres suprêmes dont tu t'es nourri,
Déserté par Phébus, au long de longues nuits,
Triple matin te sera l'aube printanière.

Ne te tourmente point en quête du Savoir.
Je n'en ai pas, mais s'il fait beau jaillit mon chant.
Ne te tourmente point en quête du Savoir.

Je n'en ai pas, mais chaque soir m'est attentif.
Qui craint l'oisiveté ne peut être un oisif
Et tel veille qui croit être endormi pourtant.

                         John Keats, trad. Jean Rousselot