09/06/2016
Max Jacob plasticien, opus 1
Scène japonaise avec samouraïs (22 x 28,5 cm)
Dans cette scène exotique en costumes, peinte en 1917 par Max Jacob (1876-1944) à la gouache et à l’aquarelle, est ici représentée l’exécution de deux personnes – sans doute des martyrs chrétiens que la loi des shoguns condamnait à mort, dans le Japon d’Edo – par deux samouraïs armés de sabres, dans une atmosphère paradoxalement apaisante.
Max Jacob pratiqua très tôt le dessin et la peinture, et y consacra de longues heures jusqu’à sa mort, dans les conditions que l'on sait, travaillant sur le vif et d’après photographies, exécutant aussi bien des paysages naturels ou urbains que des portraits ou autoportraits.
« Quand on fait un tableau, à chaque touche, il change tout entier, il tourne comme un cylindre et c’est presque interminable. Quand il cesse de tourner, c’est qu’il est fini. » (« Le Coq et la perle », in Le Cornet à dés, 1917).
Jeune critique au Moniteur des Arts et à la Gazette des beaux-arts, il rencontra Picasso en 1901 et fut témoin privilégié de l’aventure cubiste, bien qu’il ne fît lui-même que quelques essais dans ce style. Comme il l’écrivait à René Rimbert en mars 1922 : « Ce n’était pas mon tempérament [...]. Je fais des œuvres avec le fond de mon ventre et [...] le fond de mon ventre est ‘opéra comique’. [...]. Je suis un homme de l’époque impressionniste par formation... »
Il vécut dans la pauvreté, ses livres ayant alors peu de succès, tirant principalement un revenu de la vente de sa production artistique : si, d’une part, il écrivait à Tristan Tzara (voir note blog du 15/8) : « Je fais des dessins qui ne se vendent pas. Je crie très fort que j’ai du talent pour me persuader que j’en ai mais je ne le crois pas. », il écrivait d’autre part en 1922 à Francis Poulenc : « La peinture marche aussi. Je suis en train sur le tard de devenir un vrai peintre… horrible ! Quelque chose entre Corot et Monnet – pas modeste. C’est pas de ma faute. »
Max Jacob exposa au Salon des Indépendants dès le début du siècle, puis dans des galeries d’art dans les années 1920. De grands collectionneurs ou relieurs comme Paul Bonnet lui demandèrent d’enrichir de dessins originaux leurs exemplaires.
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Max Jacob plasticien, opus 2
Cavalier, cavalières (14 x 19 cm)
Sur ce dessin au fusain, avec rehauts d'encre à la plume, que Max Jacob réalisa en 1941, inédite, on peut voir un cortège médiéval en grand équipage, comprenant un cavalier et deux cavalières montées en amazone avec de longues traînes.
L'oeuvre littéraire de l'auteur du Laboratoire central est traversée par des chevaux, toujours investis d'un sens métaphorique :
"Délivrez-moi de ce qui me prend de force. Quelquefois des images de blason me prennent comme une armée assiège la ville. Celles que j'aime sont celles que j'ai perdues. Ce matin, c'était une histoire épique à trois compartiments où tout était sombre et subtil. Le désir que j'eus de l'embrasser entière la fit s'envoler : un cheval galopait dans ce conte long et noir, avec des gestes héraldiques. Cheval épouvantable ! me voici balafré." (Les Oeuvres burlesques et mystiques de Frère Mathorel, 1912).
Ce dessin a été envoyé à son "ami Mourlet" (dédicace en bas, à droite). Jacques Mourlet était négociant en vins à Quimper, ville natale du poète. Résistant actif durant la guerre, il fut arrêté par la Gestapo mais heureusement libéré.
Au verso du dessin, on peut lire un manuscrit autographe de Max Jacob, anagramme poétique sur le nom de Ribadeau-Dumas, qui avait consacré un chapitre au poète dans son ouvrage sur le panorama littéraire français, Carrefour de visages (Paris, La Nouvelle société d'édition, 1929).
"ri ba do du mas
ri ma
ba dodu
damu
ri do ma do du domu
ri mi
ri da
ri di do da do ma
ri bi ba da ma do ba do bi domu
ri ma du do ba
ba ri ma du do
do ba ri du mo
du ri ba do ma ri
ma du do ba ri bi ba do du ma"
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22/05/2016
Les Grands de la poésie du XXe siècle : Entretien avec Pierre Jean Jouve (première partie)
Le Mercure de France a mis quatre années pour éditer l'ensemble de votre poésie, sous sa forme revue et définitive. Quelle est l'importance pour vous d'une telle publication ?
Pierre Jean Jouve : La réponse va de soi. C'est la chose la plus importante que j'aie eue à faire. Après avoir été d'abord publié par Gallimard, et, lors d'un bref passage, aux éditions de Minuit (je laisse de côté les publications à l'étranger pendant la guerre), je suis entré au Mercure de France, sous l'administration de M. Samuel de Sacy ; j'ai d'abord publié au Mercure En miroir, journal sans date, et Langue, en 1954.
L'édition définitive dont vous parlez a suivi celle de mes romans, commencée au Mercure en 1959 ; l'édition de Poésie, à partir de 1964, conduite par Madame Simone Gallimard, est bien entendu une chose importante - la chose pour moi capitale. La poésie en une grande étendue doit vaincre l'inertie plus grande du lecteur. Elle démontre aussi à l'auteur son ouvrage. Importance du point de vue technique : la présentation de l'édition, sa mise en page aérée et très intelligente de M. Gilbert Minazzoli. Importance enfin du point de vue d'une révision formelle.
Les réductions apportées aux textes sont de proportion diverse. J'ai retiré quelques éléments qui me semblaient affaiblis avec le temps, d'autres qui n'étaient plus nécessaires. Si, dans le tome I, les retouches sont minimes (de courtes parties dans les Noces), par contre dans le tome II j'ai dû considérer plusieurs grands resserrements. La plupart des oeuvres qui s'y trouvent ont été créées pendant la guerre. Dans de telles périodes de tension, on donne à une certaine série de sentiments, un certain mouvement, une certaine espèce de passion. J'ai supprimé des réminiscences et des correspondances de textes, en particulier dans la Vierge de Paris. Mais l'ouvrage est ce qu'il doit être et toutes les choses importantes du temps de ma Résistance y sont. Dans les deux derniers tomes, on peut noter seulement quelques rares retouches dont la problématique appartient à la poésie.
Comment vous apparaît cette somme d'une vie tout entière consacrée à l'écriture ?
Pierre Jean Jouve : J'ai passé ma vie à écrire dans une certaine force de création, et tout a été conduit, organisé à l'intérieur de cette force. J'ai le sentiment d'avoir rempli au plus fort, au plus haut, la destinée qui m'était faite. Toutes mes situations de vie ont été orientées vers un certain mouvement du travail qui représentait à la fois mon essence et mon existence. Je ne crois pas être sorti complètement des voies d'un homme comme Baudelaire, mais sa vie étant infiniment moins longue que la mienne, son oeuvre est plus retreinte ; et tout autre son économie. Je reconnais que mon économie est lourde et grave, mais c'est ainsi. Mon oeuvre est de continuité, rupture et ambiguïté.
Nous voici à Baudelaire. Vous avez écrit "dans sa souche", et sur lui un Tombeau...
Pierre Jean Jouve : Il est le plus grand poète du temps moderne. A n'en pas douter, Les Fleurs du Mal est un/son chef-d'oeuvre. Je suis né sous le signe de Mallarmé ;
"Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête
En qui vont les péchés d'un peuple, ni creuser
Dans tes cheveux impurs une triste tempête
Sous l'incurable ennui que verse mon baiser..."
puis, par Rimbaud,
"Tes haines, tes torpeurs fixes, tes défaillances,
Et les brutalités souffertes autrefois,
Tu nous rend tout, ô Nuit pourtant sans malveillances,
Comme un excès de sang épanché tous les mois...",
je suis remonté jusqu'à Baudelaire :
"O toison moutonnant jusque sur l'encolure !
O boucles ! O parfum chargé de nonchaloir !
Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir !..."
J'ai écrit, pendant la guerre, un texte qui proposait une structure de Baudelaire : le masque est au centre de son oeuvre...
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