23/06/2015
John Keats adapté par Jean Rousselot pour "Diérèse" opus II
Qui me dira pourquoi j'ai ri la nuit dernière ?
Ni Dieu ni le démon aux répliques sévères
Du Ciel ou de l'Enfer ne daigne me répondre.
Alors vers mon coeur d'homme aussitôt je me tourne :
Coeur, tu es comme moi triste et seul en ce monde.
Dis, pourquoi ai-je ri ? Ô mortelle douleur !
Ô ténèbres, ténèbres ! Devrai-je toujours
Interroger en vain Ciel, Enfer et mon coeur ?
Pourquoi donc ai-je ri ? Je sais le bail de l'être
Et prolonger par fantaisie ses joies suprêmes,
Et pourtant je voudrais mourir sur l'heure, et voir
Les pompeux pavillons terrestres en charpie.
Plus superbe est la mort que Beauté, Force et Gloire.
Elle est la récompense hautaine de la vie.
* * *
Ce que dit la grive
Ô toi qui as connu l'hivernal aquilon,
Vu les nuées de neige à la brume accrochées
Et le front noir de l'orme aux étoiles glacées,
Le printemps te sera le temps de la moisson.
Ô toi dont le seul livre a été la lumière
Des ténèbres suprêmes dont tu t'es nourri,
Déserté par Phébus, au long de longues nuits,
Triple matin te sera l'aube printanière.
Ne te tourmente point en quête du Savoir.
Je n'en ai pas, mais s'il fait beau jaillit mon chant.
Ne te tourmente point en quête du Savoir.
Je n'en ai pas, mais chaque soir m'est attentif.
Qui craint l'oisiveté ne peut être un oisif
Et tel veille qui croit être endormi pourtant.
John Keats, trad. Jean Rousselot
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08/06/2015
Pierre Leyris (1907-2001)
Le traducteur et angliciste Pierre Leyris est mort le 4 janvier 2001 à Paris. Avec lui a disparu l'un des plus importants passeurs de la littérature anglo-américaine de la seconde moitié du vingtième siècle. L'ampleur et la diversité du travail qu'il a accompli dans ce domaine, même s'il est resté discret par nature, inspire le plus profond respect. En 1985, il avait reçu le Grand Prix national de la traduction.
Né à Ermont (Seine-et-Oise) en juillet 1907, il fut élève à Jeanson-de-Sailly. Il se lia d'amitié avec Pierre Klossowski, qui fréquenta le même lycée, et avec le frère cadet de celui-ci, le peintre Balthus, qui fit son portrait.
Dans les années 30, il fait la connaissance des membres du Grand Jeu, et aussi de Pierre Jean Jouve, André Gide, Klaus Mann, Henri Michaux...
A cette même époque, Pierre Leyris, renonçant à la poésie, décide de se consacrer entièrement à la traduction, un choix qui n'était pas celui de la facilité. Jean Paulhan l'encourage, mais, dans le milieu de la NRF, c'est la rencontre avec Brice Parain qui sera déterminante, spirituellement et intellectuellement. Catholique, il sera, après-guerre, secrétaire de rédaction de la revue Dieu vivant, fondée par Louis Massignon et Marcel Moré en 1945. Dans ces mêmes années, Henri Thomas se dira sensible à la probité de cet "esprit subtil et fourbu".
Sa première traduction - avec l'aide de sa femme, anglaise - sera celle du roman de Melville, Pierre ou les ambiguïtés (Gallimard, 1939). Il eut également l'occasion de travailler à Londres auprès de T.S. Eliot pour la traduction de ses poèmes (Seuil, 1947).
Parmi les auteurs traduits par Pierre Leyris, il faut citer : William Blake (4 volumes d’Œuvres, chez Flammarion, 1974-1983), Emily Brontë (les Poèmes, Gallimard, 1963, et Wuthering Heighs, Pauvert, 1972) ; Charles Dickens (nombreux titres) ; Gerard Manley Hopkins (Reliquae, Seuil, 1957 et Le Naufrage du Deutschland, id., 1964) ; Shakespeare (il dirigea l'édition des Œuvres complètes, au Club français du livre, de 1954 à 1962) ; et puis aussi Yeats, Hawthorne, Stevenson, Wharton...
En 1995, il fait paraître chez Gallimard son importante Esquisse d'une anthologie de la poésie américaine du XIXe siècle. Pierre Leyris avait également été le fondateur, en 1964, de la prestigieuse collection "Domaine anglais" au Mercure de France, qui permettra de découvrir des auteurs comme John Clare, Stephen Crane, Edmund Gosse ou John McGahern.
Dans un entretien accordé au Monde en 1974, Leyris affirmait, dans son travail de traducteur, vouloir surtout rester fidèle "aux concepts et aux images, la fidélité rythmique allant de soi. Être fidèle, c'est, après une longue imprégnation du texte et de ses valeurs dûment reconnues, se laisser traverser par lui, comme involontairement, dans le passage d'une langue à l'autre. Le naturel, en traduction, s'obtient tout à coup, comme une grâce, au terme de patients efforts. Vous ne pouvez pas savoir à quel point on pénètre un texte en luttant longuement avec lui. On croit même saisir le secret de sa genèse."
Apprenant la mort de Pierre Leyris, Yves Bonnefoy nous a déclaré : "Je perds beaucoup avec lui. Un modèle autant qu'un ami. Il m'avait fait la confiance, dans les années 50, de m'inviter de participer à sa monumentale édition des Œuvres complètes de Shakespeare, et je puis témoigner qu'il fut pour beaucoup, en cette occasion comme en bien d'autres, l'exemple même du scrupule, de la rigueur, du savoir. relisant avec minutie les versions qu'on lui apportait, les discutant mot par mot avec la patience qui naît du cœur marié à l'intelligence. Pierre Leyris restera comme un des artisans de l'alliance toujours renouvelée des langues française et anglaise. C'est là un vrai titre de gloire."
Patrick Kéchichian
21:11 Publié dans Traducteurs | Lien permanent | Commentaires (0)