06/05/2020
"Le pilleur d'étoiles", de Claude de Burine, éditions Gallimard, mars 1997
Claude de Burine, une poète authentique (1931-2005) qui a publié dans Diérèse. Corps et regard de la plus extrême acuité, où le monde se contemple ébloui de sa propre lumière. D'un geste un seul, elle trace un cercle d'air où respirent paroles et silence mêlés : prélude à la naissance du poème, que les mots ne figent pas, on les sent toujours à l’œuvre, toujours en quête, entre voix et voie. DM
* * *
Lettre d'automne
Le givre qui déjà fait ses pointes, les derniers soleils, leur tête penchée, flétrie comme ceux qui reviennent des vêpres, je voudrais te le dire, te dire aussi que la lune devient une orange lorsque le froid s'annonce, mais cela, tu le sais, ce sont des images de marché commun. Et c'est un cadeau que je te donne les petits feux dans les champs pour brûler les chaumes.
Ce ne sont pas des fleurs qu'on doit t'offrir mais les feux qui brûlent fort. S'allument ici, ailleurs. Tu les verras puisque je te les annonce.
Les heures qui courent en moutons dociles et sales n'ont pas la certitude des murs qui les abritent ni l'appui du béton-maire, ni de celles qui se voulaient des anges.
On commence à fermer les portes sur des bois vivants.
Aux objets trouvés, on va chercher les mots des amours perdus.
Et c'est toi qui viendras m'attendre à cette gare où s'arrête et repart le train qui ne revient pas.
Claude de Burine
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05/05/2020
"Thème de l'adieu", Milo de Angelis, éditions Nous, mai 2010, 96 pages, 12 €
On verra dimanche
Compter les secondes, les wagons de l'Eurostar, te voir
descendre du numéro neuf, le chariot, le sourire,
le cœur qui cogne, la nouvelle, la grande nouvelle.
C'est arrivé, en 1990. C'est arrivé, c'est sûr
c'est arrivé. Et encore avant, le plongeon dans le Tessin
pendant que le ballon disparaissait. C'est arrivé.
Nous avons vu l'ouvert et le caché d'un instant.
Les fées rentraient dans leur HLM, l'ouragan
emplissait un ciel halluciné. Chaque chose était là,
déserte et pleine, pour nous qui attendons.
Milan n'était qu'asphalte, asphalte liquéfié. Dans le désert
d'un jardin il y eut la caresse, la pénombre
adoucie envahissant les feuilles, heure sans jugement,
espace absolu d'une larme. Un instant
en équilibre entre deux noms avança vers nous,
se fit lumineux, se posa en respirant sur la poitrine,
sur la grande présence inconnue. Mourir fut
cet émiettement des lignes, nous là et le geste partout,
nous dispersés dans les suprêmes tensions de l'été,
nous entre les os et l'essence de la terre.
Milo de Angelis
traduit par Patrizia Atzei & Benoît Casas
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03/05/2020
"Les marches du vide", de Lokenath Bhattacharya, éd. Fata Morgana, 4 décembre 1987, 72 pages
Le miracle
Une étincelle a surgi dans la chambre. D'où venait-elle ? Quel vent l'avait portée ? L'homme, assis, méditait, dans la posture du lotus. Replié sur lui-même. Protégeant pourtant l'espace autour de lui. Il l'a vue et ne l'a pas vue.
Il a pensé : prise par le froid qui s'est accumulé ici depuis longtemps, couche après couche, elle va s'éteindre d'elle-même dans le pur bloc de silence du vide. Tant de mots se taisent, tant d'éclairs attendent au plus profond des murs, roulés dans des couvertures ! Le four, qui chauffe, semble un volcan : il se cache, lui aussi, sa grille est rabattue : il fait sombre, il fait noir. On se croirait dans la montagne, une montagne envahie par la nuit qui dort. Et l'on ne voit plus jusqu'où va la côte de l'île, où finit la mer, où commence la terre, où sont les pieds des pins et des cèdres qui trouent le ciel.
Horizon après horizon, juste le voile d'un vêtement de femme. Un vêtement noir de poix.
Il fait sombre : l'homme n'a pas pu que remarquer la petite lueur, qui a blessé ses yeux. L'histoire de l'étincelle a débuté ainsi : il a été surpris, et même un peu dérangé.
Elle vient de l'extérieur, elle n'a pas du tout l'air de vouloir s'éteindre. Elle vient de l'extérieur ? Quel extérieur ? Même l'air ne pourrait pénétrer dans cette chambre close. Mystère. Et si elle était née ici ? Si, frottées l'une contre l'autre, les pierres du troglodyte avaient fait jaillir le feu ? Mystère sur mystère.
Chaque grain de poussière le sait : cette piqûre de scorpion a souillé la nuit de sang. A bout, le visage en feu, touchant bientôt les bornes de la nuit, l'aube remonte à la surface du ciel. Le coq éructe son chant coupant.
Et l'étincelle, écureuil fou, bondit du sol sur l'oreiller. Dans une joie frénétique, elle saute de l'oreiller sur l'étagère aux livres, et puis sur le tableau du mur. Dehors, enfin : sur le toit.
Alors il a bien fallu que celui qui méditait se lève, délaissant sa place et son trouble. Sa chambre n'était-elle pas en train de s'écrouler ?
Mais qui fait tout cela ? Pris par quelle colère ? De quel destructeur est-ce donc la furie ?
Aussi vite que possible, l'homme a ouvert sa porte. Il est sorti sur sa terrasse. Stupéfait, il voit maintenant les flammes qui courent à travers les champs, langues sifflantes de cobras. Aussi loin que vont ses yeux, la terre entière est devenue Kâli portant sa guirlande de crânes. Aujourd'hui, la création célèbre la destruction.
Lokenath Bhattacharya
traduction de l'auteur et de Franck André Jamme
Un poète incontournable de la littérature bengali contemporaine, remarqué d'emblée par Michaux. Doublé d'un conteur, qui nous donne à lire ici transposées, et à entendre comme telles les deux faces du mystère, comprises dans la création même : l'étincelle de vie, réduite à merci par des forces de mort, toujours à l’œuvre de par le monde. Apparemment sans cause directe, cette bascule vient à s'accomplir sans que l'homme n'ait alors mot à dire. DM
Mère destructrice et créatrice, les crânes humains du collier
de Kâli représenteraient les 51 lettres du sanscrit.
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