26/07/2021
« Tres utile et compendieulx Traicte de l'art et science d'orthographie gallicane », édité en 1529 à Abbeville
Pascal Pfister s'est mis en quête, pour ces vacances si particulières, de retrouver les premières traces livresques du mot "Diérèse", et je lui en sais gré. Voici un extrait de son courrier :
Pour le centre national de ressources textuelles et lexicales, l’apparition dans la langue française du terme "diérèse" daterait de 1529. On le trouve pour la première fois dans un livre d’un auteur anonyme intitulé : "Tres utile et compendieulx Traicte de l'art et science d'orthographie gallicane" paru à Abbeville.
Ci-joint un extrait de l'ouvrage en question, beauté de l'écriture !, où l'on apprend que " Diaerese est division d’une syllabe en deux"
Par ailleurs, sachez, chers lecteurs, que la diérèse dont s'agit renvoie aussi à l'idée de diviser pour réunir. Se défaire dans un premier temps des a priori qui font florès dans le monde littéraire (par exemple, la scission très scolaire entre la cour des grands et celle des petits, reflet d'autres antagonismes) ; pour ensuite, par la synérèse, réunir, composer, voire superposer, pour le meilleur. Ivresse de construire, plus que tout - de créer, in fine. La poésie est à ce prix. A très bientôt. Amitiés partagées, Daniel Martinez
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"La bête faramineuse", de Pierre Bergounioux, éditions Gallimard, 25 août 1986, 190 pages, 15,15 €
Pierre Bergounioux, qui nous offre pour la prochaine livraison de Diérèse des pages de son Journal (avril-mai 2021) a écrit ce livre vers lequel va ma préférence [avec "La Ligne", par sa symbolique, recueil commenté par mes soins pour la sortie du numéro 3 de la revue, pages 58-60]. Dans "La bête faramineuse", il s'agit pour le narrateur et son cousin de traquer une bête fabuleuse dans le bois qui jouxte la propriété de l'aïeul, en fin de vie. Aux portes de l'adolescence, tous deux vont s'inventer deux rites, qui marquent en fait la frontière du monde réel et de l'imaginaire.
Ici évoqué, le premier de ces rites. La poésie que cet opus laisse filtrer, la manière qu'a l'auteur d'esquisser plutôt que de décrire et le climat généré donnent à ce livre un tour particulier... mais jugez plutôt :
"Il faisait très chaud, mais ce n'était plus la chaleur dure, vulnérante qui me comprimait le crâne, à midi. J'ai dit que j'allais chasser un peu. J'ai pris le filet. Je suis descendu jusqu'au petit portail, sans courir. La pierraille obligeait encore à plisser les paupières. Je me demandais s'il existe un moyen assuré, un sceau caché, un signe qui nous prémunisse contre la confusion. Je m'étais mis à progresser d'un pas circonspect, le filet en avant, comme si j'avais cherché à surprendre une bête incertaine. Je suis arrivé en vue des deux maisons, là même où l'attente et la révélation avaient pris corps, simultanément. J'étais seul, sur le chemin, et l'après-midi culminait. L'ombre dorée qu'il faisait, sous le saule, était vide et je ne trouvais rien qui garantisse la permanence, la consistance plus ferme des images passagères parmi lesquelles on va, les bêtes inhumaines, les visages, la paix profonde devinés. J'ai dit à mi-voix, très sombre : rien. Et puis, en me rapprochant, j'ai vu la piste, la trace presque effacée de son passage, dans l'herbe haute, jusqu'aux framboisiers.
Je me suis assis à côté du creux, comme un nid, qui restait au pied des tiges râpeuses dont elle avait cueilli les fruits. Elle s'était tenue là où je l'avais donc vue après avoir franchi les champs et les rivières. Je n'avais rien à ajouter à ce que j'avais dit avec la voix du dedans. J'ai posé le filet près de moi. J'étais invisible dans l'herbe, sous l'arcature aérienne du saule. Le grand pré, en contrebas du chemin, crissait paisiblement. Ce n'était pas tant l'étendue que la durée qui se dressait contre moi et me privait du repos. J'avais couru sur l'épiderme rugueux de la planète, à la suite de la locomotive. Le fer et le feu m'avaient ouvert le chemin. Mais j'étais sans recours qu'en moi, face à moi-même et au temps, loin de celui qui serait digne de se tenir à la même heure au lieu même qu'elle avait - l'ombre lumineuse, l'image pressentie - élu.
Le merle s'était remis à tracer des boucles dans le ciel. J'essayais d'imaginer des distances - dix ans, vingt -, au bout desquelles elle se tiendrait là, dans le creux d'herbe, sans songer à s'éloigner tandis que je pourrais, moi, celui que je serais devenu par l'entremise des années, me taire sans craindre qu'aussitôt elle s'éloigne et s'efface. Il n'y aura plus à se hâter, à trembler, à chercher des signes, des noms. Je soufflais par le nez lorsque des confins où je m'étais porté, j'ai retrouvé les senteurs du soir naissant, de la sève, de la pierre chaude et le vertige du premier jour. C'est le premier jour."
Pierre Bergounioux
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25/07/2021
Lee Krasner, compagne de Jackson Pollock
On sait tout sur Pollock - qu'il était beau, alcoolique, génial, qu'il nous a laissé une vingtaine au moins de toiles inoubliables, qu'il "drippait", qu'il a rencontré un platane en conduisant trop vite, un certain 11 août 1956. Sur Lee Krasner, on en sait moins : c'était sa compagne, elle avait quatre ans de plus que lui. Elle s'est plutôt (tristement) rendue célèbre en prétendant que "justement", au moment où il est mort, Jackson Pollock allait se remettre à peindre des choses figuratives. Voyez-vous ça : c'est ennuyeux pour l'Expressionnisme abstrait, mais on n'en a rien vu. Autre chose : quand ils se sont rencontrés, à la fin des années 40, elle était peintre et déjà assez célèbre, et lui pas.
Ce qui est sûr, c'est qu'elle a bien été une femme d'artiste, au sens terrifiant que revêt cette expression (elle a assisté, poussé, tiré, promu, mis de l'ordre, tenu à jour le carnet d'adresses), et qu'elle le récupérait régulièrement dans les bars... Et ce qui est sûr aussi, c'est que ce n'est tout de même pas très juste. Ils ont réalisé une œuvre ensemble en 1955 : l'Aigle déplumé, un collage qu'elle mène à bien avec sa propre peinture et les morceaux d'un dessin de Pollock. Il l'avait déchiré et lui en avait libéralement concédé les morceaux : après, elle a attendu sa mort pour se remettre à peindre : et là c'est quelque chose qu'il faut savoir, découvrir et voir, ce qui ne nous est jamais arrivé en Europe.
Lee Krasner est morte en 1984, et n'a été reconnue in extremis qu'en 1983 aux États-Unis... Mais c'est peut-être parce qu'apparemment, elle préférait les taches et les étalements aux jets. Y-a-t-il réellement de quoi se poser des questions ? On ne sait plus où on en est, d'autant que le temps a passé et qu'il faudrait savoir ce qu'il en est des taches dans les années 70-80. Le musée de Berne s'est fait au fil des années (1990 pour le couple dont s'agit) une spécialité des couples d'artistes - spécialité intéressante parce que parfaitement dénuée de complaisance : comme le remarque l'un de ses conservateurs, on peut toujours prétendre que le talent de ces femmes d'hommes célèbres - de Camille Claudel à Lee Krasner et alii - était inférieur à celui de leur mâle. N'empêche, ajoute le même conservateur, que bien des artistes-hommes de la même époque ne se sont pas trouvés éjectés de l'histoire de l'art sous prétexte qu'ils étaient inférieurs aux génies de l'époque.
Bon, ces femmes ont accepté un sort qui pouvait passer pour naturel, à leurs yeux et à ceux de leur compagnon. Ce qui n'est plus le cas pour les plus conscients d'entre nous, tous sexes confondus - c'est plus agréable, et d'ailleurs, en français, le masculin est le genre du général.
Vanina Costa
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