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05/08/2021

Gu Cheng (1956-1993) : un poème en prose de 1981

J'ignore si ce texte du poète chinois Gu Chen a été repris dans les deux volumes publiés de l'auteur en juin 2021 : Spectre en Ville suivi de Ville et Sur l’île, livres dont les textes ont été choisis et traduits par Yann Varc’h Thorel et Liu Yun, parus aux éditions Les Hauts-Fonds.
Toujours est-il que les réflexions poétiques qui suivent, qu'Annie Curien nous permet de lire en français, me semblent dignes d'intérêt, voici :

Notes sur la poésie

1

Ce qui m'a le plus tôt rendu sensible à la poésie ? Une goutte de pluie.
Sur le chemin que j'empruntais pour aller à l'école se trouvait un pin stupa qui restait de glace chaque fois que je passais devant lui.
Un jour, après la pluie sans doute, le monde était frais et pur. Le pin stupa se mit soudain à étinceler, couvert de gouttes de pluie brillantes accrochées aux branches et aux aiguilles ; je m'oubliais moi-même. Je vis que chaque goutte d'eau renfermait d'innombrables arcs-en-ciel en mouvement, un magnifique ciel bleu ; dans chacune, le monde et moi-même.
J'apprenais qu'une minuscule goutte de pluie peut contenir l'univers, et tout purifier. Ce monde qui brillait dans une goutte de pluie se révélait plus pur, plus beau que celui dont nous dépendons pour vivre.
La poésie, c'est une goutte de pluie scintillante sur l'arbre de l'idéal.

2

Enfant, j'ai grandi sur une grève alcaline.
Le ciel et la terre, là-bas, sont pure beauté, formant un cercle parfait. Il n'y a ni montagne ni arbre, ni même ces corps géométriques fabriqués par l'homme que sont les maisons.
Alors que je suivais la voie de mon imagination, j'étais seul entre le ciel et la terre, seul avec des petites herbes mauves.
Elles avaient poussé sur cette terre ingrate, alcaline, si fines et si denses, dressées sous le ciel, sous les nuages noirs et le soleil brûlant, saluant cet univers inévitable. Tous les ignorent ; pas de papillon coloré, pas d'abeille ; pas de soupir, pas d'hymnes renversants. Elles poussent pourtant, et qui plus est de minuscules fleurs qui lèvent fièrement la tête... 
Peine perdue ? Tragédie ?
Nullement. Elles m'ont averti du printemps, elles m'ont averti de ma responsabilité de poète.

3

Entre les roches se trouve une petite plage.
Et sur la plage de nombreux coquillages, laissés par la marée, qui, après combien d'années, gardent toute leur beauté, toute leur sérénité.
Je me suis arrêté, attiré non par ces coquillages colorés, mais par une petite conque des plus ordinaires. Bien loin de se draper de sa dignité, toute seule elle se déplace dans les zones où l'eau peu profonde dépose les alluvions ; la prenant, j'ai découvert qu'elle abritait un crabe - la vie.
Je remercie ce crabe de m'avoir appris à choisir les mots. Ce langage parlé, plein de vie, au style personnel, qui a vaincu la perfection des mots anciens.

4

Par goût, je vais souvent jusqu'au bord de la société.
Des herbes, des nuages, la mer s'offrent au-devant de moi ; une nature verte, blanche, bleue. Ces pures couleurs, qui ont effacé la poussière flottante des villes agitées, ont permis à mon cœur de retrouver ses sentiments intimes.
Suis-je plongé dans un souvenir ? Oui, sans doute, car avant de devenir un homme, j'étais un élément parmi eux ; j'ai été courbe comme une défense gigantesque de mammouth, simple comme une feuille, semblable à du plancton, insignifiant et heureux, j'ai été libre comme un nuage...
Je remercie la nature qui m'a fait me retrouver, toucher l'histoire de vies et non-vies innombrables ; je la remercie de continuer à tout me donner, poèmes et chansons.
C'est pourquoi, même soumis aux pressions des mots d'ordre, au vacarme de la mécanisation, je continue à dire tout bas, avec les sons les plus beaux :
je suis à toi.

5

Tout sur terre, la vie, l'homme : chacun nourrit son rêve.
Chaque rêve est un monde.
Le désert rêve qu'il est entouré de nuages, les fleurs songent au baiser léger du papillon, les pensées des perles de rosée vont vers l'Océan...
J'ai moi aussi mon rêve, lointain et clair ; plus qu'un monde, c'est un paradis situé plus haut que lui.
Il est fait de beauté, de la beauté la plus pure. Quand j'ouvre un conte d'Andersen, mon esprit superficiel s'illumine.
Je me dirige vers lui, je deviens peu à peu transparent, j'ai abandonné les ombres derrière moi. Devant moi rien qu'une route, la route de la liberté.
Ma vie ne vaut que par cette avancée.
Avec les yeux purs de mon cœur je veux fondre une clef, pour aller ouvrir la porte de ce paradis, tourné vers les hommes.
Alors si je le peux, je serai heureux de m'effacer, dans l'obscurité.

1981


Gu Cheng

traduit par Annie Curien

04/08/2021

Un mécoptère : La Mouche-scorpion

Comme j'aime, chez Max Ernst, son Jardin Gobe-Avions (1935), exposé au Musée National d'Art Moderne, ses chimères et fleurs carnivores, parce qu'il me rappelle mes frayeurs enfantines lorsque d'aventure je montais sur la terrasse carrée, la toiture du pavillon que ma famille et moi louions, sur l'île de Djerba ! Le soir venu, l'été de préférence, des scorpions en nombre venaient retrouver la fraîcheur au pied d'un canal (frontière de la demeure) qui menait à un puits artésien. Il ne valait mieux pas les contrarier, ces arachnides, dans leur avancée, car leur piqûre était réputée mortelle. 
Refuge superbe pour parer l'Enfer que du haut de ma solitude foncière je m'imaginais ainsi représenté. Pourtant les couleurs venaient à glisser dans le couchant. Pourtant le baluchon de lin qui enveloppait mes derniers trésors continuaient d'emmagasiner la chaleur ambiante de la journée écoulée. Pourtant l'écho feutré de quelques personnes bavardant dans la rue, sous leurs sombres vêtements violets et bleus, ne laissait pas de me parvenir, délicieusement.
Car le monde demeurait pour moi, passé le crépi rose de la façade, une gigantesque mise en scène, où l'impression d'exil était forte, si forte que je finissais par en perdre mes marques et devais descendre sans plus tarder jusqu'au sol pour retrouver le lourd cerne noir qui s'y dessinait et progressait à mesure, inexorablement. La nuit était là, sombre et majestueuse, étagée, tendue vers le vide, vers l'espace d'un autre silence.

... Il n'y avait pas, dans ces contrées, de mouches-scorpions (en France et en Europe représentantes de Panorpa germanica). Mais aujourd'hui ces créatures hybrides, carnivores ou nécrophages - inoffensives pour l'homme - alimentent l'irrépressible envie de tenir à distance la simple raison raisonnante et de laisser travailler la nature, dans ses excès, dans ses facultés d'invention que nous observons de plus en plus loin et souvent sans les respecter assez, avec l'immersion lente dans l'âge adulte, en cryptant comme il se peut nos émotions d'antan. Sans vouloir ni pouvoir en effacer la trace. Daniel Martinez

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10:25 Publié dans Bestiaire | Lien permanent | Commentaires (0)

03/08/2021

"Hors de volière", de Daniel Abel, éditions Lettera Amorosa, 24 mars 1973, 40 pages, 73 exemplaires

Beau travail de cette petite maison d'édition belge sise à Sint-Pieters-Kapelle, section de la commune belge de Hérinnes-lez-Enghien, dans le Brabant flamand. Les écritures des pages intérieures sont toutes imprimées en bleu de Prusse, dans des caractères composés à la main par deux artisans, en Caslon italique de corps 16. Une tradition qui s'est perdue, à de rares exceptions près, sauf pour des éditions de luxe, inabordables pour le commun ; et j'en suis à le regretter - pour la forme, car on ne refait pas l'histoire.
Daniel Abel est l'un des tout derniers représentants (si ce n'est le dernier ?) de la période historique du surréalisme, il participera à la prochaine livraison de Diérèse avec "Le monde vert", un poème enté d'une illustration de son cru.

* * *

L'intelligence est le plus rapide des oiseaux.
Rig-Véda
(Livre des hymnes)


* De quelques ors *

 

        Coq :

        Courtisan de l'aurore
        Il jette à pleine gorge
        Les fleurs de son cœur.


        Paon :

        Aurore en marche

        J'éparpille
        Et
        Je rassemble.


        Cygne :

        Gouvernail
        De l'onde domestique
        Il blesse
        Le silence.


        Rossignol :

        D'un sablier de plumes
        S'évade l'or du temps.


        Rouge-gorge :

        Rubis
        Sur l'ongle.


        Mouette

        Vague
        Qui a réussi
        A devenir
        Aile.


Daniel Abel

19:54 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)