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01/11/2018

Huitième élégie : En pays muet

Les mots passent aussi
avec ce livre qui s'efface
dans son écriture même
tandis que le vent de mer balaie
des éclats diamantés
avec la riche alliance des roches nues
parmi l'écume parmi tes mains


Elles plongent pour évincer qui
ne saurait voir les images
aller et venir dans le Texte
retrouvé là en pays muet
que je veuille en ôter l'ombre
Il se remet à me parler
en étincelles d'eau


Rien n'arrête vraiment
ce mouvement continu
du dedans au dehors
la présence bleutée l'apesanteur
et les révolutions sans prise
la permanence des Vanités
traversées de sursauts immobiles


Le sable à présent nous piquait la peau
jusqu'au sang c'était au large de l'île
c'était hier comme aujourd'hui

et tout cet infini de blanc
qui se renverse
avec le bruit mat un peu lointain
d'une embarcation coupée au fil
du temps il fut le mien


Il fut le nôtre frotté de doutes
et de vouloir mêlés
resté fidèle au frémissement
qui ce soir pendant que la pluie étire
un essaim d'instants
ruisselle dans l'Ouvert


Daniel Martinez
1er novembre 2018

19:46 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)

Emmanuel Hocquard

Élégie VII, 1

 

13 janvier 1989       rappelle-toi
          la peinture de jardin
          sur les murs des viridaria
& l’intérieur des pièces closes
          l’une entièrement à fond noir
la partie basse découpée en figures géométriques
          en partie haute des colonnettes
          scandaient l’espace d’un verger
deux saules       un grenadier       un bassin vide
          l’autre pièce à fond bleu
montrait des touffes de végétation      autre jardin
          rempli d’arbres mais aussi de statues
                                                  de tableaux
          Ariane endormie à Naxos visitée par Dionysos
et sur l’entablement d’ouvertures fictives
          un ibis       une pie       un rouge-gorge
          alternant avec des urnes
dehors
          rappelle-toi
les ruines       l’herbe sèche       le soleil de trois heures
         la fatigue
         & la maison du poète magique
         cave canem

 

Emmanuel Hocquard

08:41 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)

31/10/2018

Instantanés

I

"Ainsi donc, on vagabonde !", me souffla-t-elle le sourire au coin des lèvres, en m'offrant deux tranches oblongues de pain blanc, plongées tout de go dans un bol de café brûlant. Au marcheur qui survient, libéré de la tension du voyage, tu as su parler le plus doucement qui soit, sans autre souci que de donner écho à sa parole. Les grandes baies vitrées dévoilaient le capharnaüm du printemps. Le fleuve avait changé de sens. "Mais comment vit-on ainsi, à courir le monde au petit bonheur, entre lieu et néant, à ne rendre au soleil que l'éclat diapré des songes ?" Je la regardais tenter de défaire les plis de mon mystère et je voyais dans son ombre scintiller une âme dont j'ai gardé vive l'image. Après un hiver long, en quête d'une voie éblouie et heureuse j'avais trouvé refuge dans ce petit orient de draps multicolores où flottaient des parfums d'ambre et de cerises mûres. Avec le bruissement des feuilles qui respiraient de concert, attentives aux dégradés de l'air, au lent épanchement du temps, jusqu'à ce que me prenne le sommeil en ses métamorphoses.

Dans mon sac se tenait un livre de Sandro Penna où j'ai souligné depuis, d'un trait dans la marge ces deux vers si vrais dans leur fond, du pur Séjour auquel j'aspire : "Il mondo che vi pare di catene / tutto è tessuto d'armonie profonde."* Soit : "Le monde qui vous semble fait de chaînes / est tout entrelacé d'harmonies profondes."

_____

*Tutte le poesie, Garzanti editore, 1984.

31 octobre 2018

* * *

II

Olivier au tronc profondément ouvert, dans le village on le disait plus que centenaire. En son sein, tu aurais voulu redessiner s'il était possible les mille variations de l'eau, les sillons qu'elle trace quand elle respire, qu'elle gémit et soupire de contentement.
Mes mains glissaient sur les premières feuilles, tachées d'ombre à mesure, je me revoyais enfant dans la grande cour près du puits artésien, écoutant le murmure du canal qui s'en échappait mangé par les lichens, rêvant ma vie comme une grande inconnue. La terrasse carrée, peinte de chaux, éblouissante, me tenait lieu de paradis et j'évitais de la fixer trop longtemps.

Les veines du bois retenaient sous mes paupières un voile singulier.


Daniel Martinez
10 janvier 2017