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27/05/2018

"Peintures", Henry Michaux, Paris, G.L.M., 1939

Du temps où il signait encore avec un "y", voici ce qu'écrivait l'auteur de "Plume" et que mon professeur de première (qui aimait comme moi l'emploi du passé simple) m'avait fait découvrir. Notre livre de référence était un classique Hachette intitulé "Thèmes et réalités" codirigé par R. Perru et C. Launay, un format à l'italienne, d'un beau vert jade. J'étais alors lycéen, sur les hauteurs de Tunis (la butte de Mutuelleville), non loin de la faculté... Je devais retrouver ce poète, étudiant "la Nuit remue" à la Sorbonne en l'année 1982/83. Nul n'était sans savoir que "cet explorateur de "l'espace du dedans" ne se considér(ait) pas comme un écrivain et refus(ait) les honneurs qu'on v(oulai)t lui décerner". Il lui restait un peu plus de deux années à vivre, mon professeur de Lettres modernes s'étonnait alors qu'il ait pu confier (en 1982) des poèmes en prose à Pierre Nora, du "Débat", car aucun poète jusqu'alors... ; et les journalistes se bousculaient pour photographier Henri Michaux lors de ses rares sorties publiques, comme au Collège de France (avec des lunettes de soleil sur les yeux). Ce que l'on oublie généralement de signaler : c'est sa peinture qui le faisait vivre. Grâce soit rendue à la galerie Le Point Cardinal, aujourd'hui disparue - certains de ses catalogues furent alors préfacés par Yves Peyré - qui lui permit de vivre un peu mieux que l'honorable moyenne. J'ai eu la chance d'y voir, dans les réserves de ladite galerie, des lavis et aquarelles exécutés - plus de cent à ma souvenance - après la mort de sa femme Marie-Louise Termet, une geste compulsive.
C'est ce poème, "Clown" (le titre aussi d'une peinture de Michaux) qui sera le point de départ de la correspondance que j'entretins avec Pascal Ulrich, mais lisez plutôt :

 

CLOWN


Un jour
Un jour, bientôt peut-être.
Un jour j'arracherai l'ancre qui tient mon navire loin des mers.


Avec la sorte de courage qu'il faut pour être rien et rien que rien,
Je lâcherai ce qui paraissait m'être indissolublement proche,


Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler.
D'un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons et enchaînements "de fil en aiguille".
Vidé de l'abcès d'être quelqu'un, je boirai à nouveau l'espace nourricier.


A coups de ridicules, de déchéances (qu'est-ce que la déchéance ?), par éclatement, par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j'expulserai de moi la forme qu'on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage et à mes semblables, si dignes, si dignes mes semblables.


Réduit à une humilité de catastrophe, à un nivellement parfait comme après une intense trouille.
Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je ne sais quelle idée-ambition m'avait fait déserter.
Anéanti quant à la hauteur, quant à l'estime.
Perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité.


CLOWN, abattant dans la risée, dans l'esclaffement, dans le grotesque, le sens que contre toute lumière je m'étais fait de mon importance,
Je plongerai.
Sans bourse dans l'infini-esprit sous-jacent ouvert à tous, ouvert moi-même à une nouvelle et incroyable rosée

à force d'être nul
et ras...
et risible...


Henry Michaux

 

* Ce poème avait initialement été publié par la revue "Mesures", en janvier 1939.

25/05/2018

"Tout poème est bestiaire ardent" Robert Sabatier (1923-2012)

BESTIAIRE.jpg

PINGOUINS.jpg

Dessins de Pacôme Yerma



Ici ou là, on me demande d'où me vient cet attrait pour le monde animal, celui dont nous sommes la composante j'allais dire majeure, soit : douée d'intelligence (et bien qu'il existe une "intelligence" animale liée plutôt à l'instinct de survie). Cet instinct qui nous habite tout aussi bien, que nous tâchons de sublimer au mieux, dans un monde aujourd'hui condamné...

Oui, continuer malgré tout de célébrer ainsi la création, sous la poussière des vanités. Ce côté sauvage que je ne renie pas, ce côté perdu (égaré même, dans le tourbillon mégalomaniaque d'une époque qui voudrait régenter l'univers quand elle est à peine capable d'assumer ses dissensions aux quatre coins du globe) de l'animal qui toujours subit face à l'homme, ce côté démuni - un peu comme le sont les poètes face au verbe (non pas les faiseurs, les moulins à vent de la chose écrite).

Plus encore, approcher la fracture entre l'espace originel et l'autre espace, où règne en définitive, à l'égard de ce qui vit, l'inimitié. C'est dans cette optique d'une impossible reconstitution que mes pensées vont, non s'y perdre mais agriffées à la chaîne de cols-verts qui traversent le temps, à portée de regard encore ; et, au sein de la nue, renaissent une seconde fois.

Sachant que la Nature nous aide à revivre ce que nous sommes, en notre fond prodigieux car il ouvre sur des sphères encore inconnues de nous-mêmes. Mais aussi, mais surtout, à prendre la mesure de cette double appartenance que le vernis de la culture tente d'occulter. Sans y être jamais parvenu.

Amitiés partagées, DM

09:58 Publié dans Bestiaire | Lien permanent | Commentaires (0)

20/05/2018

Une lettre (inédite) de Pascal Ulrich - 1964-2009

Pascal et moi commencions à correspondre, j'avais évoqué le poème "Clown" de Henri Michaux, où le poète pléiadisé post-mortem (libertaire d'esprit, il s'y était toujours opposé de son vivant) se comparaît à un clown "à force d'être nul / et ras / et risible". Un sentiment d'échec lancinant chez Pascal, qui lui pesait, en fait, comme tout un chacun dans la circonstance. En deux pages, cet été 2000 (les 23 et 24 juillet), il résume ce qui lui fait mal et le taraude, en son for. Lisez plutôt :

ULRICH XI e BLOG.png

ULRICH XII e BLOG.png


     23 juillet 2000

     Salut cher Daniel,

     Comprendre l’autre, ça tient de la tentative. À peine peut-on soulever quelques coins du voile au risque de trouver l’insignifiant (et bien sûr ça vaut pour moi aussi). Mais quand on a décidé de vivre, il faut la tenter la tentative (d’approche, d’accostage…) avec le signifiant qu’on voudra bien y mettre et tant que c’est possible dans les sphères de la sincérité.

* * *

     24 juillet

     On me reproche parfois mon manque d’ambition (ça me fatigue comme énormément de choses par ailleurs) mais si j’en avais je risquerais de réussir (et ça c’est un terme de compétiteur (très fatiguant, ça, la compétition).

* * *

     À part ça je suis dans un point d’interrogation.
     À vif ? En fait je suis toujours à vif et c’est pourquoi c’est si difficile parfois. Mais il ne s’agit pas de se plaindre et d’ailleurs auprès de qui ?
     « Clown » de Michaux c’est tout à fait dans l’esprit de tout ça qui précède l’effondrement qui va avec le rebondissement car que faire d’autre sinon rebondir (même dans le néant plein de la musique de Traffic (Winwood, Wood, Capaldi) à l’instant.
      Je vais sans doute (sic) passer quinze jours chez l’ami Robert Roman. Départ mi-août.

     À bientôt !
     Le meilleur pour toi.
     Pascal.