20/07/2018
Paysage de montagne
A l'horizon tout proche, la beauté fraîche d'un vol hésitant - celui d'un papillon que je ne saurais nommer - aura valeur de prédiction. Offert au regard, propre à diffracter les harmonies, sinuant entre les plis de la main. Et, sous le courroux léger du vent, l'unité profonde du paysage s'impose alors. Le silence des laines ébouriffées près de l'étang.
*
A peine aura-t-elle, quelques instants, caressé la braise d'un âge d'or disparu, perles de fièvre devenues de glace, dentelures de neige, moirures pérégrines. Au fil de la pente, suivant le mouvement de la vallée, cela qui survient, en de fines et blondes floraisons s'ajuste aux imperfections du relief, perçant le gouffre bleu.
*
Des aconits violet pourpre, en nombre. Il n'est que de regretter d'avoir un corps, face à ces fleurs dont on sait le noble port.. Ce sont milliers d'yeux battant des cils, traces hiéroglyphiques déchiffrées à mesure, que la mathématique des sensations ordonne à la périphérie du Hasard. Du frémis de deux ailes embrassé, n'en retiens que l'invisible empreinte.
*
L'ouvrage de la vie, sans cesse recommencé. Du mélèze ont chu de minuscules insectes rouges, en apprentissage de salut : par lequel la Nature trouve à établir ce qu'elle ignore avoir à exprimer, le grain ou le pigment d'une délicatesse fondue à la sensibilité de l'air.
L'espace est ce brouillard levé soudainement, entre les taches profondes des conifères.
*
Sous la voussure d'un rocher haut, le dessin de quelques fraises sauvages, dont les touches vermillon annoncent la pleine maturité. Puis d'autres encore : et qui voudraient durer plus que les fruits sauvages d'une seule saison, plus qu'ils ne pourront jamais.
*
Près du village de la Chapelle-d'Abondance, des cloches de bronze ou de fer tintent, absolues. A l'égal de l'air qui compose l'atmosphère, d'un quelque part au monde où le regard de l'autre laisserait poindre le sien propre, derrière la banalité des jours se dessine la furtive intuition d'un bonheur autour de quoi tournerait la Terre. D'un bonheur qui ne garderait de l'Histoire que son aptitude à nous fasciner, de loin en loin et par chacun de nos pas esquissé. Ici retrouvées son origine et sa force.
*
Tout est là, amuï, réanimé par les canaux immobiles d'une vie minérale échappée d'interstices de la terre. Avalisant le transfert des âmes au repos.
Daniel Martinez
11:16 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)
14/07/2018
Marché de la Poésie 11 au 15 juin 2014/ Marché de la Poésie du 6 au 10 juin 2018
Ce que j'écrivais en juin 2014, je ne retouche rien bien sûr, mais, plus bas, après le dessin que j'avais dédié à Vincent Gimeno-Pons, j'ajoute un commentaire à propos de la périphérie de ce 36 e Marché de la Poésie, qui s'est tenu place Saint-Sulpice, à Paris :
Tandis que l'on continue de s'interroger sur la poétique d'un Michel Deguy, qui sans cesse nous incite à ne plus concevoir ou rêver (!) une poésie séparée de la pensée, écoutons-le, au passage : "Le "médium langagier" (comme ils disent) n'est pas "un médium". Si nous abandonnons le milieu de la pensée, nous sommes perdus. Or la pensivité poétique tient à la beauté de la langue ; à l'indivision du sens et de la beauté en langage de langues." – et que je continue de me demander ce qu'il peut bien apporter à ma culture poétique (...), j'ai choisi ce soir de vous donner à lire le poète Bernard Ruhaud, né à Nanterre en 1948 (illustration de Gérard Monnier)
et de compléter ce libre propos par l'un de mes dessins, réalisé en juin 2013, à l'issue d'une soirée du Marché de la Poésie,
dessin dédié à Vincent Gimeno-Pons, précieux soutien.
Daniel Martinez
Yves Boudier et Vincent me signalent aujourd'hui qu'un site, affublé du nominatif "vice" (j'ai renoncé à le consulter d'ailleurs, laissant cela à ceux qui voudraient d'aventure y croiser le fer) les traite de "vieux ringards" et invitent les jeunes "branchés" à se connecter à des sites dits "poétiques" plus ouverts à la ferveur vénérienne.
Par parenthèse, je n'ai rien contre la poésie érotique, ayant moi-même donné dans le genre - bien que m'y ennuyant parfois. La bonne littérature érotique est rare. De là à rejeter en bloc, sans autre forme de procès, les organisateurs de ce qui demeure un lieu privilégié de rencontre des poètes et de leurs éditeurs, des lecteurs de poésie, au cœur de la capitale... qu'est-ce à dire ? Qu'il conviendrait que nous, poètes, échangions plus par ordinateurs interposés, en "soulageant" à bon compte l'intellect ? Ridicule, n'est-ce pas.
Voilà où nous en sommes et où nous porte l'ère macronienne, experte en fractures sociales, sous couvert de panser d'anciennes blessures, d'anciennes injustices (pour en générer de nouvelles, bien plus pernicieuses). Vous avez dit "vice" : mais c'en est la parfaite illustration ! Casser les liens humains, poétiques dans ce qui nous regarde, briser ce dernier bastion, ce dernier rempart qu'est la poésie face à la lente désagrégation culturelle à laquelle nous assistons : mais qui n'a rien d'inexorable, répétons-le.
Je relisais ce matin-même le poète turc Ilhan Berk (traduit par Ahmet Sel & Christian Estèbe), poète authentique je précise et lui laisse le mot de la fin :
"Les poètes sont des hommes des îles. Ils bâtissent des îles où ils pourront vivre seuls depuis le commencement. Dans certaines d'entre elles, les bateaux font escale plusieurs fois par jour, dans d'autres rarement. Mais le regard des poètes est la plupart du temps pour les îles de demain, où les escales sont rares.
Non qu'ils ne donnent pas d'importance au jour présent, mais parce qu'ils ne font pas de différence entre aujourd'hui et demain."
Ilhan Berk
PS : il y a quelques années de cela, ce poète a confié des inédits à Diérèse.
21:16 Publié dans Marché de la Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)
08/07/2018
Passcal Ulrich : lettre du 17/21 juin 2005
Pascal venait de faire l'acquisition du livre de Jacques Coly paru aux Deux-Siciles : "Quand les mots ne sont que du sable". A son habitude, il me parle de sa vie et me confie des impressions, voici :
Epitaphe
Seul
en
silence
je
suis
le
reste
loin
tombe
s'éteint
17 juin 2005
Salut cher Daniel,
Vrai de vrai comme tout est faux, les mots ne sont que du sable comme certains savent ne pas savoir. C'est aussi simple que compliqué. Pas de doute je suis sûr que je doute sans rien savoir de rien.
* Le bouquin de Jacques Coly je l'emmène avec moi dans le Haut-Rhin.
21 juin
Aux pieds des Vosges et les mots ne sont que du sable. Coly dans l'éclatement décrypte. Il y a donc là de la poésie.
*
Direction la vallée de Munster.
*
Visites de cimetières. Colmar, Tunckheim...
*
Ci-joint de quoi. De quoi ? Tu verras.
*
A la prochaine...
*
Encore tenter. Je vole.
Amitiés d'ici.
Pascal
21:12 Publié dans Pascal Ulrich | Lien permanent | Commentaires (0)