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24/07/2018

La fiancée du vent

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 Kokoschka, Oskar – Die Windsbraut, 1913
Kunstmuseum Bâle

La fiancée du vent
(légende allemande)

 

Dans un moulin du petit village de Bingen, sur la rive gauche du Rhin, vivaient un meunier veuf et sa très séduisante et coquette fille âgée de vingt ans. La blonde Marguerite, après ses luxueux atours, n’aimait rien tant que ses promenades, particulièrement à l’orée de la forêt où, un jour qu’il chassait, le fils du vieux roi, séduit à sa vue, la demanda très vite en mariage. Le père de la jeune fille, arguant les risques d’un mariage mal assorti, refusa son consentement : il avait choisi pour elle Hans, un jeune marchand de farine de Rotterdam qui d’ailleurs devait très bientôt remonter le Rhin sur son embarcation, “La Belle Hollandaise” : colère, pleurs de Marguerite vite retirée dans sa chambre où, ruminant de mauvaises pensées, « sur le coup de minuit », elle reçut la visite d’un Elfe au service du Vent. "Messire le Vent, lui dit-il, l’avait déjà en grande affection".
Elle fit donc entrer dans sa chambre – par la fenêtre ouverte -, au matin, Monseigneur le Vent qu’elle supplia de faire en sorte que “La Belle Hollandaise” ne parvînt jamais à Bingen, ce que promit le Vent à condition qu’elle lui fût fidèle. Contrat conclu, mais la Belle pensait par devers elle qu’elle dompterait facilement son nouveau prétendant.
Aidé par Bourrasque, Aquilon et Africus, le Maître des vents rejeta la barque en perdition dans l’Océan glacial arctique, rapportant à son retour des brassées de tulipes à Marguerite qu’il enlaça, la couvrant de vigoureux baisers (humides des eaux du Rhin). Et tous les jours désormais, elle trouva sur le rebord de sa fenêtre le bouquet des plus belles fleurs cueillies par le Vent.
Le meunier, de guère lasse, ne voyant pas venir Hans, consentit finalement au mariage princier.
Au moment où, dans la chambre – en haut du moulin -, le fils du roi prenait Marguerite par la taille et s’apprêtait à l’embrasser, une tornade enleva les deux fiancés dont on n’entendit plus jamais parler à Bingen.

Pacôme Yerma

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Correspondance Léon-Paul Fargue (1876-1947) et Marie Monnier (1894-1976) : été 1925

L'auteur du Piéton de Paris ne mérite-t-il pas que l'on s'attarde un tant soit peu sur sa correspondance estivale, j'entends l'inédite bien sûr ? Aujourd'hui, nous nous intéresserons à ce qu'écrivit Léon-Paul Fargue à Marie Monnier, une amie qu'il appelle "Mon bétourdin", tandis que lui signe "Ton Wacherin de Saint-Paul de Léon". Sœur d'Adrienne Monnier, elle illustrera Les Ludions, de Fargue. Poète de "l'atmosphère", ce en quoi Breton le jugeait surréaliste, sa lettre que je vous donne à lire aujourd'hui, je l'ai glanée au petit bonheur des chaudes journées de l'été 1925, voici :

 

Sur l'aquarium exposé aux Arts Décoratifs

"Il n'y a pas beaucoup d'espèces, mais toutes choisies parmi les plus belles et les plus extraordinaires. Silures, poissons-chats au mufle étonnamment large et béat tout hérissé de bibis chatouilleurs, d'autres poissons semblables à de grands couperets oxydés, nageant avec des faux bleues, poissons-hirondelles tout en platine et en argent niellé, et d'autres qui sont exactement des oiseaux-mouches, gouttes de feu des mers de la Chine et de l'Amérique du Sud. Avec ça des buissons entiers du cheval épineux qui monte aux arbres, divaguant dans leur sabbat de cristal. Je me suis bien amusé."

Léon-Paul Fargue  

Dix petits livres

J'entrai du pied droit dans une librairie du boulevard pour y fureter à mon aise lorsque sur la cheminée du coin j'aperçus, encadré par deux réductions d'amphores bavaroises montées sur des socles Empire, un lot de dix petits livres, fraîchement déposé là, dans l'attente d'une prochaine mise en catalogue. Décidé à en faire l'examen un peu plus tard, je m'enhardis sur l'échelle de bambou, à l'assaut de la bibliophilie franco-monégasque et examinai quelques-uns des gros puddings qui se lovaient là. Je ne réussissais pas à trouver un livre à mon goût, partagé que j'étais entre le localisme tendre des textes et le parnasse paysan des illustrations ; arrivé en bas de l'échelle, je constatai qu'un espace s'était créé entre l'une des amphores et le reste des livres.

En effet, ils n'étaient plus que neuf ! Mais cette surprise ne devait pas m'empêcher de poursuivre, comme à mon habitude, l'examen systématique du magasin ; je montais et descendais, dessinais des lignes de démarcation, établissais des recoupements avec les prix d'autres libraires lorsque, à l'occasion d'un coup d’œil rapide vers la cheminée, je constatai que l'espace s'était agrandi : les livres en question n'étaient plus que huit. Il me fallait donc aller plus rondement dans l'examen des trésors du libraire... Je feuilletai rapidement les illustrés sans pour autant découvrir le livre parfait, et laissai aller mes regards sur les étagères les plus élevées, aussi désemparé que Marcel au treizième tome du Temps perdu ou qu'un lecteur de Proust à la fin de la deuxième phrase lue.

Pour calmer mon désarroi, je me rapprochai de la cheminée. Elle était vide ! Le célèbre mécène Marcel Rodopacchi, qui devait sa fortune au succès foudroyant de l'ondulation Marcel ainsi qu'à son monopole sur la gaine compensée à micro-ondes, venait d'enlever d'un seul coup les cinq derniers ouvrages et s'apprêtait à les payer comptant.

Pris de court, je quittai précipitamment la boutique, avec, dans les oreilles, le tintinabulement de la sonnette de la porte et, accroché à mes basques, le regard suspicieux du mercanti. Je marchai à grands pas sur le trottoir d'en face quand je m'aperçus que les lettres de l'enseigne de mon libraire : "AU TEMPS RETROUVE" semblaient briller d'un éclat particulier. Les pensées qui agitaient mon esprit vinrent se fixer sur ces lettres pour ne former qu'une seule image, comme autrefois les clochers d'Illiers et de Combray et je compris, dans cet instant révélateur, que si la lecture d'un livre pouvait être un moyen de passer le temps, sa possession, plus encore que sa lecture, pouvait être un moyen de le RETROUVER. 



Daniel Martinez

14:30 Publié dans Contes | Lien permanent | Commentaires (0)