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15/08/2018

Diérèse 52/53 : repérages 2


Ce samedi, j'écrivais qu'une fois sorti du musée, et après avoir lu l'excellent poète Pascal Pfister, il convenait de me sustenter un tantinet. L'aventure, ça creuse ! Un sandwich garni d'une tranche de roastbeef presque transparente, quelques cornichons maculés de moutarde ont fait mon affaire (si je puis dire), une Desperados pour éviter d'avoir la bouche sèche. Sur le quai, il était près de 21 heures, la nuit a gardé pour moi un goût de journée. On entend la motrice faire des essais, ça tremble un peu, un peu plus, on dirait que ça fume, puis flop, flop ! Tout s'arrête, je sens que l'affaire n'est pas dans le sac. Au bout de 20 minutes de tentatives infructueuses, les gens se regardant l'air de dire : "Mais que se passe-t-il donc ?", un agent nous annonce au micro que la motrice rencontrant d'insurmontables "problèmes techniques", il convenait que les passagers descendent sur le quai et empruntent le prochain train pour Toulouse.

Arrivés à Toulouse, ce serait à minuit passé que s'élancerait le valeureux convoi en direction de la Ville lumière. Du temps à tuer, encore. Les abords de la gare, assez sympathiques, une pression au comptoir et relis Volis agonal, de Marc Guyon :
     "Simple glisse la vie
     aisée, car le difficile
     n'existe que dans la main, le geste."
Les noctambules, un peuple bon enfant, entre ceux qui cherchent et ceux qui ont trouvé, ceux pour qui le sommeil est un détail... Je me love dans la mezzanine, un compartiment des plus étriqués, après quelques banalités échangées avec mes voisins de compartiment. J'ignorais alors qu'on surnommait ce convoi "le train des voleurs", les exactions y étant à l'époque loin d'être exceptionnelles. Bien sûr, ayant trop de respect pour cette noble compagnie, je me garderai de confirmer aujourd'hui la mauvaise réputation de ce train de nuit, aux multiples escales. Je crains de ronfler et garde mon portable à touches près de mon oreille. L'estomac gargouille déjà un peu. La valisette derrière ce qui fait office d'oreiller.

L'arrivée ? : à plus de midi, c'est un vrai tortillard. Je ne pourrai donc reprendre mon travail que l'après-midi (prévenir mon employeur, en invoquant le cas de force majeure, mais pas avant huit heures). Bref. Malgré l'inconfort manifeste, il s'agit de tenter de dormir un peu, au mieux. Jusqu'à 5 heures du matin, c'est allé. Je soulève le rideau du compartiment, jette un œil en extérieur : nous nous sommes arrêtés je ne sais trop où, on palabre sur les quais. J'ai eu tout de même le temps de rêver. En haute montagne, un hélico venu me porter secours, montée avec la petite échelle de corde et descente dans la vallée, où le soleil est au rendez-vous. Les yeux mi-clos, juste le temps de m'aviser que quelqu'un ouvrait la porte à glissière, farfouillait d'une main preste dans les premiers bagages accessibles, pour repartir illico.

A six heures et quelques, une furieuse envie d'uriner me prend. Je descends de la mezzanine, précautionneusement. Prends le couloir ; par chance, pas de file d'attente. Retour au bercail : mon voisin du dessous est en train de fouiller le bagage aux pieds de celui qui dort à poings fermés, au même niveau que moi, mais de l'autre côté. Je le dévisage, il s'arrête donc, et l'air de rien retourne à son lit. Flash : je me dirige illico vers mon semblant d'oreiller (un pull-over roulé sur lui-même) et ouf ! la valisette que dans mon empressement j'avais laissée sans surveillance côté fenêtre n'a pas bougé d'un poil, je l'ouvre pour en vérifier le contenu, tout y est, j'ai eu très chaud. Et ne la quitterai désormais plus des yeux.

Tout aurait donc pu s'arrêter là. Car c'était un manuscrit original que je transportais. Me souvenais alors de ce qui était arrivé à Henri Thomas, qui a perdu un jour un manuscrit dans un taxi ; mais ce n'était que le sien. Rien ne vaut le numérique, drôle de l'entendre sous ma plume, n'est-ce pas ? Inutile d'ajouter que le sommeil m'avait définitivement quitté. Il me tardait d'arriver à Paris pour prendre un café double bien serré. J'ai repris mon Journal en main là où je m'étais arrêté la veille au sortir du musée des Beaux-Arts : calepin sur les genoux, me remettant à écrire lorsque les rideaux du compartiment tirés ont laissé entrer la lumière diurne. Stressé et heureux en même temps : une sorte de contentement intérieur, tout-puissant, la sensation d'être passé à côté du pire et d'avoir été épargné.


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Daniel Martinez

18:04 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)

Epilogue : Repérages Diérèse 52/53

Naturellement, l'aventure ne faisait que commencer, j'entends celle qui devait présider à la naissance de ce numéro qui reçut un franc succès auprès du lectorat. Des demandes continuent à me parvenir, dernièrement celle d'un analyste ; le travail qui a été effectué ensuite, par Isabelle Lévesque et moi-même, a été rondement mené. Jacques Ancet fut le premier à répondre favorablement à notre demande de participation...
Ceci étant, pourquoi ne pas ajouter dans la foulée que le milieu revuistique est souvent mais pas toujours un milieu plutôt cadenassé, où prédominent les relations directes entre tel et tel, suggérées par tel ou tel, on n'en sort pas ou difficilement. Je ne parle même pas des présupposés idéologiques, qui font florès. Personnellement, je me moque comme d'une guigne de ce qui fait passer la littérature au second plan, avec les "meilleures" intentions du monde. Bien entendu, il s'agit de respecter le cadre légal, qui prohibe à juste titre les propos racistes ou antisémites. Ceci étant, la personne qui m'écrit en demandant : "Si je suis publié dans Diérèse, aux côtés de qui figurerai-je ? ; ou : aurai-je mon nom en couverture" se survalorise et se dévalorise dans le même temps à mes yeux. Ce ne sont pas des exemples que j'invente, ce sont des questions qui m'ont été posées.

Je n'entends pas changer complètement les règles du "jeu", mais réduire autant que faire se peut ces travers à leur portion congrue. Ce fut le cas avec la redécouverte de ce poète d'importance que fut Thierry Metz, comme avec bien d'autres. Et terminerai par un extrait, signé Raymond Bordes (un pseudo et qui n'est pas à proprement parler celui d'un auteur), publié in Diérèse 52/53 : "Il se taisait, et moi je souriais. Peut-être j'avais trouvé un plus tragique, un plus décalé, plus dérisoire, plus étranger que moi.
Un qui ne riait pas.
Au bout d'un long moment, j'ai dit : "Alors tu fais le manut', puisque tu ne fais plus de sport*, et le soir, chez toi, tu bûches la mythologie grecque ?..." "Et j'écris" a-t-il ajouté." Première publication par la librairie Quesseveur à Agen, octobre 1998.
Belle journée à tous. Amitiés partagées, Daniel Martinez

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Thierry Metz fut (aussi) haltérophile.

16:56 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)

09/08/2018

"Galanteries", Alain Bosquet opus 2

Vous avez un joli passé de femme fatale... Admettons que j'ai trente ans de moins qu'aujourd'hui. Je vends des arcs-en-ciel, dans les pays où il ne pleut jamais. Je traverse le désert en calèche. Vous vous trouvez dans les parages. Nous partageons le contenu de deux ou trois gourdes. La soif commune est un pacte solide. Les nuits sont impardonnables : tous ces clous brillants, dans le ciel, qui nous rappellent nos péchés...

Il nous faut regagner la civilisation. Soudain, nous voici à Milan. Vous m'intriguez, je vous intrigue. Un inconnu nous a donné rendez-vous à Stockholm : peut-être vous proposera-t-il le mariage ? Vous êtes aussi une femme de tête, avec le droit de la perdre. Moi, je m'y connais en prestidigitation : de mon chapeau je tire des perdrix, des kangourous et des bouledogues qui bavent. Ce que vous dites est raisonnable et ardent. Ce que je dis, vise à vous désarçonner. Nous prenons un taxi, qui nous dépose au seuil d'un hôtel très 1900, à Stresa. Les Iles Borromées émergent de la brume : elles planent par-dessus le lac. Les hibiscus règnent par milliers : rouges au point d'en paraître obscènes. Le gérant m'autorise à les couper tous, moyennant finances. Nous occupons deux chambres ; les hibiscus envahissent la vôtre.

Nous n'avons pas encore échangé une seule étreinte. Vous me parlez d'une petite fille, dans une cité de province : rien que des gros murs contre lesquels l'océan vient se briser. Je vous raconte que mon grand-père maternel portait d'épaisses moustaches : très important, les moustaches en ce début de siècle vingtième. Je compare celles d'Aristide Briand, de Georges Clemenceau, de Lloyd George. S'y ajoutent celles de Rudyard Kipling et, pour la bonne mesure, la barbe redoutable de Lev Tolstoï. Je garde sur moi un monocle, qu'un roi de Norvège a offert à mon aïeul, avec qui il jouait au badminton, dans un collège anglais, du temps de George III ou de George IV. Ah ! Je m'embrouille dans mes monarques. L'amour, le sublime amour...

Alain Bosquet