24/06/2014
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Livre 1
Ode 10
Strophe 1
Errant par les champs de la Grâce
Qui peint mes vers de ses couleurs,
Sur les bords dircéans* j'amasse
L'élite des plus belles fleurs,
Afin qu'en pillant je façonne
D'une laborieuse main
La rondeur de cette couronne
Trois fois torse d'un pli thébain,
Pour orner le haut de la gloire
Du plus heureux mignon des dieux,
Qui çà-bas ramena des cieux
Les filles qu'enfanta Mémoire.
Antistrophe
Mémoire, reine d'Eleuthère,
Par neuf baisers qu'elle reçut
De Jupiter qui la fit mère,
D'un seul coup neuf filles conçut,
Mais quand la lune vagabonde
Eût courbé douze fois en rond,
Pour r'enflammer l'obscur du monde,
La double voûte de son front,
Mémoire, de douleur outrée,
Dessous Olympe se coucha
Et, criant Lucine, accoucha
De neuf filles d'une ventrée,
Epode
En qui répandit le ciel
Une musique immortelle,
Comblant leur bouche nouvelle
Du jus d'un attique miel
Et à qui vraiment aussi
Les vers furent en souci,
Les vers dont flattés nous sommes,
Afin que leur doux chanter
Pût doucement enchanter
Le soin des dieux et des hommes.
Pierre de Ronsard
* de Dircé, la fontaine de Pindare, près de Thèbes
Ronsard, né au château de la Possonnière en Vendômois, ne put poursuivre, en raison de sa surdité, la carrière qu'il avait commencé comme page en 1536. Il entreprend alors d'être poète et, en même temps que Du Bellay et Baïf, se laisse guider par Dorat dans la découverte des lettres antiques.
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22/06/2014
Poèmes à Gaëlle
I
Sa bouche qui ne souffle mot qui vaille
est une offrande à la beauté pure,
aux chuchots des épicéas près de l'onde où celle
qui lui a donné le jour ce dix juin
ouvre vingt virelais de nacre
la comblant du lait qu’elle pressent
passe-velours auquel rien ne défaut.
Mêlant mes gestes et ma pensée
dans le ciel les lignes de ses doigts
silhouettent les premiers instants du monde
griffés de la sève des lys verts hâlés
jusque sur ma feuille, un sentier là-haut court
on ne sait trop où, et le temps sans mesure s’offre
à elle qui dans mes bras s’endort
comme à plaisir s'enfièvre le couchant
çà et là en ces lieux villageois.
Daniel Martinez (23/6/14)
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21/06/2014
Béatrice Gutierrez, Ana Rive, Louis Calaferte
S'il est un panthéon, le mien se compose de quelques livres choisis parfois au hasard de certaines rencontres, s'ils sont peu connus et dans des éditions parfois confidentielles, peu importe ! La révolte n'est guère à la mode, elle brûle quelquefois les coeurs et se dessine dans d'humbles livres : là, entre mes mains, ce sont trois recueils de poèmes, qui me sont chers et de référence.
A commencer donc par "L'Océane" de Béatrice Gutierrez, paru aux éditions Alexandre : je ne sais ce que j'ai aimé là, peut-être le caractère métaphysique de la chose, le côté pensé de ce beau livre. Une femme dans sa grossesse, ce moment-là avec ses peurs, ses enchantements, ce vers par exemple : "Ainsi cette lumière est la naissance première et l'aube finale", il y a une sorte de tragique et son acceptation, une solennité, quelque chose du lien au cosmos - si la dimension cosmique existe encore -, ce qui se passe là est important et en impose, tellement singulière cette aventure de porter dans son corps un autre corps, deux coeurs qui battent dans la même chair. Dans le corps d'une femme, un être à naître et les questions afférentes : d'où vient-elle au juste cette vie à l'intérieur, et de quel néant, de quel avant-naître, et qui dans son futur retournera là, en ce lieu indéterminé, peut-être. Femme devant le sacré : rêvons avec elle de ces mystères.
Mon second choix va vers "Nuits" de Ana Rive, aux éditions du Contentieux (c/o Robert Roman, 7 rue des gardénias, 31100 Toulouse, cf note du 25/5), belle présentation nocturne avec un cyclope ou nyctalope de Pascal Ulrich en couverture. Bien sûr, une pensée pour Cioran, est-ce le noir ou le blanc de l'insomnie ? C'est simple et clair, et là aussi une ouverture métaphysique, silence et pluie, la religieuse veille. Matin de la nuit blanche et de l'interrogation laissée pour nous tous au final : est-ce que je laisse le sommeil me prendre, ou est-ce que je veille ? Peut-être n'y a-t-il personne d'autre que le narrateur dans ces poèmes et c'est un compliment ; juste un coeur qui bat dans l'oreiller. "Je me prépare un café / Je le déguste fenêtre ouverte / Le vent est léger et danse / Il fait encore nuit."
Je clos ce rapide choix de livres posés là sur ma table avec une perle : "Bazar narcotique", de Louis Calaferte. L'écriture des poèmes est directement soumise à la vision dictée par le verbe et le mystère qui semble tourner autour des narcotiques et les troubles induits. Cela se dit ainsi, saisi au hasard des textes : "Je meurs à l'envers / foulard vert sur les yeux". C'est une étrange méditation sur le mystère de l'esprit et celui de l'esprit sous l'emprise des narcotiques. Bien différent du dramatique Roger Gilbert-Lecomte, car Calaferte semble jouer, il n'est ni sujet ni objet, simplement il regarde ce qui se passe à l'intérieur lorsque tout devient trouble et troublant. Ce n'est pas la recherche quasi scientifique de Michaux, c'est une approche tout en délicatesse, colorée des phénomènes de l'esprit. C'est la vision qui ne nie pas et ne ment pas, "est-ce un vertige qui nous fait frissonner ce soir ?".
Jean-Marc Thévenin (cf note du 19/5)
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