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30/09/2020

Le rapport à l'écriture de Michel Foucault in "Le beau danger", éditions de l'EHESS, nov. 2011

Un recueil sur lequel la critique ne s'est pas attardée, Michel Foucault y est interrogé par Claude Bonnefoy ; pour la seule fois de sa courte vie, Foucault nous donne à lire ce qui l'a amené à écrire, ce qu'il nomme "l'envers de la tapisserie" :


Un de mes plus constants souvenirs - certainement pas le plus ancien, mais le plus obstiné - est celui de mes difficultés que j'ai eues à bien écrire. Bien écrire au sens où on l'entend dans les écoles primaires, c'est-à-dire faire des pages d'écriture bien lisibles. Je crois, je suis même sûr que j'étais dans ma classe et dans mon école celui qui était le plus illisible. Cela dura longtemps, jusque dans les premières années de l'enseignement secondaire. En sixième, on me faisait faire des pages spéciales d'écriture tellement j'avais des difficultés à tenir comme il faut mon porte-plume et à tracer comme il fallait les signes de l'écriture.
Voilà donc un rapport à l'écriture un peu compliqué, un peu surchargé. Mais il y a un autre souvenir, beaucoup plus récent. C'est le fait qu'au fond, je n'ai jamais pris très au sérieux l'écriture, l'acte d'écrire. L'envie d'écrire ne m'a pris que vers ma trentième année. Certes, j'avais fait des études qu'on appelle littéraires. Mais ces études littéraires - l'habitude de faire des explications de texte, de rédiger des dissertations, de passer des examens - vous pensez bien qu'elles ne m'avaient donné en aucune façon le goût d'écrire. Au contraire.
Pour arriver à découvrir le plaisir possible de l'écriture, il a fallu que je sois à l'étranger. J'étais alors en Suède
et dans l'obligation de parler soit le suédois que je connaissais fort mal, soit l'anglais que je pratique avec assez de peine. Ma mauvaise connaissance de ces langues m'a empêché pendant des semaines, des mois et même des années de dire réellement ce que je voulais. Je voyais les paroles que je voulais dire se travestir, se simplifier, devenir comme des petites marionnettes dérisoires devant moi au moment où je les prononçais.
Dans cette impossibilité où je me suis trouvé d'utiliser mon propre langage, je me suis aperçu, d'abord que celui-ci avait une épaisseur, une consistance, qu'il n'était pas simplement comme l'air qu'on respire, une transparence absolument insensible, ensuite qu'il avait ses lois propres, qu'il avait ses corridors, ses chemins de facilité, ses lignes, ses pentes, ses côtes, ses aspérités, bref qu'il avait une physionomie et qu'il formait un paysage où l'on pouvait se promener et découvrir au détour des mots, autour des phrases, brusquement, des points de vue qui n'apparaissaient pas auparavant. Dans cette Suède où je devais parler un langage qui m'était étranger, j'ai compris que mon langage, avec sa physionomie soudain particulière, je pouvais l'habiter comme étant le lieu le plus secret mais le plus sûr de ma résidence dans ce lieu sans lieu que constitue le pays étranger dans lequel on se trouve. Finalement la seule patrie réelle, le seul sol sur lequel on puisse marcher, la seule maison où l'on puisse s'arrêter et s'abriter, c'est bien le langage, celui qu'on a appris depuis l'enfance. Il s'est agi pour moi, alors, de réanimer ce langage, de me bâtir une sorte de petite maison de langage dont je serais le maître et dont je connaîtrais les recoins. Je crois que c'est cela qui m'a donné envie d'écrire. La possibilité de parler m'étant refusée, j'ai découvert le plaisir d'écrire. Entre plaisir d'écrire et possibilité de parler, il existe un certain rapport d'incompatibilité. Là où il n'est plus possible de parler, on découvre le charme secret, difficile, un peu dangereux d'écrire.


Michel Foucault

10:26 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

"Voix d'ensemble" de Pierre Dhainaut, éditions Les Deux-Siciles, 9/4/2002

Le 9 avril 2002 a paru, à l'enseigne des Deux-Siciles un recueil intitulé "Voix d'ensemble" signé par Pierre Dhainaut, c'était le dixième titre de la collection, un auteur de qualité que j'ai en grande estime et dont l'un des derniers livres paru aux éditions de L'Herbe qui tremble, "Après", continue à sa manière, et ce malgré les atteintes de l'âge, de tracer le sillon d'une vie tout entière dévouée à la poésie. Difficile de trouver poète plus authentique, quand le moindre de ses vers touche au plus sensible, au plus vrai des émotions qui nous animent en continu. Être, jusqu'au souffle dernier, porteur de lumière.
Voici la première page des épreuves corrigées de "Voix d'ensemble", le poète y choisit la couleur de la couverture (vert amande) et le dessin à reporter au recto de la première (celui d'un diamant) entre le titre et la mention des éditions, sises au 8 de l'avenue Lazare Hoche ("Lazare" est un ajout personnel) à Ozoir-la-Ferrière (ville ainsi appelée car on y voyait autrefois un oratoire, en lisière de la forêt avoisinante). Par parenthèse, il y fait encore bon vivre, la campagne briarde est à deux pas, ses champs de blé brûlés par le soleil, ses betteraves sucrières amoncelées en bordure des routes vicinales. En dépit de...

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La page 21 :


                               Oui en commençant,
                               on lance un caillou,
                               on délivre les ondes.


                               Clairière ou plage,
                               N'attends pas de les voir
                               pour accueillir.


                               Écouter mieux : sous la glace
                               encore
                               la source fidèle.

 

Pierre Dhainaut

29/09/2020

"La poésie est toujours en un sens un contraire de la poésie", par Georges Bataille, in "La littérature et le mal", éditions Gallimard, 1957

Je crois que la misère de la poésie est représentée fidèlement dans l'image de Baudelaire que Sartre donne. Inhérente à la poésie, il existe une obligation de faire une chose figée d'une insatisfaction. La poésie, en un premier mouvement, détruit les objets qu'elle appréhende, elle les rend, par une destruction, à l'insaisissable fluidité de l'existence du poète, et c'est à ce prix qu'elle espère retrouver l'identité du monde et de l'homme. Mais en même temps qu'elle opère un dessaisissement, elle tente de saisir ce dessaisissement. Tout ce qu'elle put fut de substituer le dessaisissement aux choses saisies de la vie réduite : elle ne put faire que le dessaisissement ne prît la place des choses.
Nous éprouvons sur ce plan une difficulté semblable à celle de l'enfant, libre à la condition de nier l'adulte, ne pouvant le faire sans devenir adulte à son tour et sans perdre par là sa liberté. Mais Baudelaire, qui jamais n'assuma les prérogatives des maîtres, et dont la liberté garantit l'inassouvissement jusqu'à la fin, n'en dut pas moins rivaliser avec ces êtres qu'il avait refusé de remplacer. Il est vrai qu'il se chercha, qu'il ne se perdit, qu'il ne s'oublia jamais, et qu'il se regarda regarder ; la récupération de l'être fut bien, comme Sartre l'indique, l'objet de son génie, de sa tension et de son impuissance poétique. Il y a sans nul doute à l'origine de la destinée du poète une certitude d'unicité, d'élection, sans laquelle l'entreprise de réduire le monde à soi-même, ou de se perdre dans le monde, n'aurait pas le sens qu'elle a. Sartre en fait la tare de Baudelaire, résultat de l'isolement où le laissa le second mariage de sa mère. C'est en effet le "sentiment de solitude, dès mon enfance", "de destinée éternellement solitaire", dont le poète lui-même a parlé. Mais Baudelaire a sans doute donné la même révélation de soi dans l'opposition aux autres, disant : "Tout enfant, j'ai senti dans mon cœur deux sentiments contradictoires, l'horreur de la vie et l'extase de la vie."


Georges Bataille

10:50 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)