30/03/2017
Verlaine et le libraire-éditeur Léon Vanier
Vous conseiller sans plus tarder la lecture de O Verlaine !, de Jean Teulé, éd. Julliard, 2004 (22€). En avant-goût :
Syphilis, altération sanguine, diabète, souffle au cœur, cirrhose du foie, érysipèle infectieux, hydarthrose de la jambe gauche, pneumonie. Tel est le catalogue non exhaustif des maladies de Paul Verlaine lors de son hospitalisation, à l'automne 1895, dans une salle pour indigents de l'hôpital Broussais à Paris. A 51 ans, le poète est un vieillard en proie à des hallucinations et des éblouissements. Tutoyer la souffrance, depuis longtemps déjà, n'a en rien altéré sa frénésie de débauche. Bien au contraire ! C'est dans les excès de toutes sortes que Verlaine trouve encore les plus beaux vertiges.
Dans les cabarets où son ombre fait scandale, sa vieille amie la fée verte (l'absinthe) le console du "douloureux spectacle des écrasés de la vie". Le poète brûle ses jours pour ne pas les laisser s'éteindre. Quel que soit le prix à payer, il veut être maître, jusqu'à la dernière escale, de son voyage.
Jean Teulé signe avec O Verlaine ! son plus beau roman d'amour. A coups de scènes rapides, presque des esquisses, le romancier vagabonde dans son récit tel un enfant. Teulé, c'est incontestable, aime Verlaine, mais il est surtout en symbiose avec les jeunes gens, pour la plupart étudiants, qui forment autour du poète une sorte de garde du coeur. En revanche, le sarcasme fuse dès qu'il portraiture une des gloires littéraires de l'époque. Le poète et académicien François Coppée est sa cible de prédilection. La recension de ses travers et ridicules est ici établie avec une férocité jubilatoire. L'anarchiste Laurent Tailhade, alors critique littéraire à L’Écho de Paris, n'est pas épargné. Teulé épingle en particulier ses contradictions et son amitié si changeante envers Verlaine.
Entre deux vagabondages éthyliques, Paul Verlaine cuve sa mélancolie dans un taudis de la rue Descartes avec Eugénie, sa compagne au corps pétri de lassitude, qu'il délaisse souvent pour Esther, une jeune prostituée, dont il apprécie le savoir-faire amoureux dans un hôtel de la même rue. Les deux femmes, aussi pathétiques l'une que l'autre, se disputent sa présence et ses poèmes inédits, qu'elles vendent au libraire-éditeur Léon Vannier. Ce dernier les paie à la ligne avec une parcimonie jamais démentie. Autour du pauvre Lilian, c'est une sorte de danse du scalp pour tirer quelque argent des derniers vers du douloureux poème de son corps et du produit des quêtes qu'organisent pour lui des étudiants du Quartier latin.
Les quartiers populaires de Paris, où la misère et la désespérance tenaient alors le haut du pavé, sont décrits avec un luxe de détails par Jean Teulé. On retrouve intacte la tendresse de cet auteur pour les oubliés de l'Histoire, les vaincus à la naissance. Paul Verlaine, son hygiène douteuse et ses mauvaises manières ne choquaient pas les petites gens, qui, pour la plupart, ne savaient pas qui il était. Mais le poète était des leurs avec ses habits de misère. Ils ne se pinçaient pas le nez en le croisant.
Le 8 janvier 1896, Paul Verlaine s'éteignit plus doucement qu'il n'avait vécu. Des milliers de Parisiens lui rendirent un dernier hommage. Une foule jeune et frémissante où figuraient ceux qui lui avaient procuré ses derniers bonheurs. "Et tout le monde reste en littérature."
Pierre Drachline
14:41 Publié dans Auteurs, Paul Verlaine | Lien permanent | Commentaires (0)
29/03/2017
"Vertiges", d'Alain Fabre-Catalan
Vertiges, d’Alain Fabre-Catalan, Cahier du Loup bleu, coll. Les Lieux-Dits. Dessin de Cyril Barrand
Le monde. Nous y sommes et nous n'y sommes pas. Qu'est-ce que nous percevons de notre vie, de nous-mêmes, de ce qui nous entoure ? Vertiges nous fait suivre un chemin, où nous entendons, où nous voyons, où nous sentons ce qui sans cesse se présente et s'éloigne, ce qui nous manque pour que le monde soit monde, et qui pourtant s'offre à nous comme au promeneur émerveillé. Émerveillé ? On pourrait en douter à suivre les jalons disposés au long du chemin, les titres regroupant deux ou trois textes : Ignorance, Soif, Égarement, Promesse, Traversée, Douleur, Éclaircie, Chimère, Ravin, Arrêts, Verticale. C'est en effet que la lumière ne cesse de paraître et de se dérober, c'est que nous sommes toujours à la lisière, où miroitent abîme et éboulis, jour et nuit, pierre et rivière, parole et silence, vie et mort... Et pourtant, à la lecture de Vertiges, à travers un flot de correspondances cosmiques, oui, nous sommes émerveillés par « ce que voient les oiseaux qui passent et repassent inlassablement, au-dessus du pré carré où se dessine un enchevêtrement de stèles renversées, dans la lumière rase où s'accroche la promesse de la nuit », et, comme le poète, nous sondons « le vide dans un surcroît de paroles ». Car c'est bien la poésie et la superbe écriture d'Alain Fabre-Catalan qui nous donne le vertige, « le vertige de la phrase, l'imperceptible clarté qui ne cesse de vivre comme un présage entre les mots » (Égarement). L'appel vient de l'ombre, affirme le poète (Arrêts), et, avec lui, nous l'entendons, nous le suivons, « avant de trébucher sur la dernière marche » (Arrêts). Oui, sans doute, nous restons en ce monde, « dans l'étendue infranchissable » (Verticale), mais « avec l'éclat de l'enfance qui ne s'éteint pas » (Égarement).
Vertiges peut être lu comme une poésie ésotérique, un récit initiatique, une quête intérieure aux multiples images éblouissantes. Et pourtant, en lisant et relisant ce recueil, c'est la clarté qui domine, une sorte d'intelligence de notre propre condition, où nous sentons, nous aussi, « la brûlure de l'éclair qui n'en finit pas » (Verticale).
Olivier Massé
16:28 Publié dans Critiques | Lien permanent | Commentaires (0)
28/03/2017
Au Printemps
Les bleus de la terre
De toute paille l’épi mutin
Perçoit l’infime battement
Au cœur du temps noué joue
Le premier atome de sang
A l’unisson des ramures
Parmi les signes capiteux
Quel fil au carillon de pierre
Esquisse la raison du poème
Où mue se mire et se moire
La pièce d’eau dormante
Entre l’air et la lumière
Les premiers apprêts du Printemps
La matière et le sujet
Le bleu de safre mis à nu
Pour elle au bord du silence
L’empreinte vive des peupliers
* * *
Les chemins oubliés
La coque de l’amande que forent
Mille têtes d’insectes
Entre l’os et la peau condense
La fuite monotone des jours
Tout commence d’un rien
Fortune de l’ombre
La lézarde plus profonde
Sur la roche qui affleure là
Jamais n’épuise la rumeur
Ni ne ferme les lèvres du chêne
De la solive où s’accroche
La pipistrelle qui me guette
Il n’est qu’un pas pour pénétrer
Dans l'espace de la grange
Pages fumées et flashes blancs
La vie n’est plus ce qu’elle était
Daniel Martinez
16:21 Publié dans Enluminures | Lien permanent | Commentaires (0)