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15/05/2019

Diérèse 58, flash-back : hiver 2012

Bruno Sourdin, qui a publié aux Deux-Siciles "Hazel" parle de la jeunesse de votre serviteur, de l'autre côté de la Méditerranée (on peut aisément l'imaginer, cet éditeur/revuiste, éloigné de tous les populismes, de droite ou de gauche, qui fleurissent ces temps-ci comme chiendent en terrain détritique ; au fait, il n'a publié qu'à compte d'éditeur, qu'on se le dise !, merci). Mais voici, sans plus attendre :

Un moment de jeunesse fleurie

A Daniel Martinez

« Puisque c’est mon moment de jeunesse fleurie,
Je bois, car mon bonheur ainsi se fortifie.
Ne me reprochez pas que mon vin soit amer :
Cette amertume est celle-même de la vie. »

     (Omar Khayam)

 

Dans cette rue de Djerba, tu as longuement marché sans but sous le ciel harassant à la recherche d’un regard fragile. Des éclats de joie montaient de la mer et des barques languissaient. Des crapauds s’enflammaient. La nuit, des fenêtres s’ouvraient et claquaient dans le vent et tu guettais éperdument l’amitié des sirènes.

L’enfance,
les sables,
les citronniers,
le sirocco,
les escaliers,
la mer.
Je te salue vaporeuse nuit d’été, le rideau tombe et le rêve s’est achevé.
L’enfance,
la clarté
et cette amertume qui est celle de la vie.

Dans cette rue de Sousse, tu as longuement glissé et tu t’es englouti à la recherche d’un frisson exquis. Des rumeurs lancinantes montaient de la mer et des palmiers s’allumaient. Des débris de jarres dansaient. La nuit, tu tournais la clé des catacombes et tu guettais ardemment la grâce espiègle de ton fantôme familier.

L’enfance,
le grenier,
les amandiers,
la mer.
Je te salue foisonnante nuit d’été. Le rideau tombe et le songe s’est achevé.
L’enfance
la transparence
et cette amertume qui est celle de la vie.

Dans cette rue de Tunis, tu as longuement paressé et tu t’es engouffré à la recherche d’un visage perdu. Des souffles délicieux montaient de la mer et les nuages s’effilochaient. Des grives chantaient jusqu’au crépuscule. La nuit, la maison vide frémissait et tu guettais follement la présence de tes ombres silencieuses.

L’enfance,
les couloirs,
les oliviers,
la mer.
Je te salue douce nuit d’été, le rideau tombe et la vision s’est achevée.
L’enfance,
le refuge
et cette amertume qui est celle de la vie.


Bruno Sourdin

11:28 Publié dans Diérèse | Lien permanent | Commentaires (0)

13/05/2019

"Plusieurs vols d'étourneaux", de Bertrand Degott aux éd. Les Deux-Siciles, juin 2003

A l'enseigne des Deux-Siciles, a paru il y a près de seize ans Plusieurs vols d'étourneaux, de Bertrand Degott (7 €). Dix-septième livre de la collection Poésie, imprimé par mes soins à Fontainebleau, dont voici deux pages entre toutes.
Cet opus, après la publication par Bertrand Degott chez Gallimard de Éboulements et taillis (1996) et Le Vent dans la brèche (1998) ; avant Battant (La Table ronde, 2006), À chaque pas (L’Arrière-Pays, 2008) — et une « mise en vers français » des Sonnets de Shakespeare (La Table ronde, 2007). E la nave va... comme l'écrivait Guiseppe Ungaretti.

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Bertrand Degott

11/05/2019

Pour Diérèse 52/53 et 56 : Didier Periz, dernier éditeur du vivant de Thierry Metz, témoigne

Je me souviens de Thierry Metz

 

Je me souviens d’avoir lu ses mots la première fois dans une revue :
« Voici le plan : le Ciel
le Chantier
la Terre »

Je me souviens de m’être précipité chez le libraire pour y acheter Le Journal d’un manœuvre.

Je me souviens d’avoir acheté Le Journal d’un manœuvre par dizaines pour l’offrir, et tous les gens en restaient cois.

Je me souviens qu’avec Didier Schillinger nous lui avons écrit pour publier un livre de lui aux éditions Opales et qu’il nous a envoyé Dans les branches.

Je me souviens du salon du livre de Bordeaux en octobre 1995. Nous avons dîné ensemble dans un restaurant portugais et Jean-Luc Aribaud était avec nous.

Je me souviens d’une lecture dans un restaurant du quartier Saint-Pierre avec une dizaine d’auditeurs parmi lesquels Alain Juppé, alors premier ministre, et son épouse. Surréaliste.

Je me souviens qu’il a disparu.

Je me souviens qu’on l’a retrouvé à Orthez où il suivait une cure de désintoxication alcoolique.

Je me souviens qu’il n’avait plus rien, pas même un pantalon. Je me souviens qu’il fut très difficile de lui trouver des pantalons à sa taille.

Je me souviens qu’on allait le voir dans un établissement de post-cure du côté d’Arcachon.

Je me souviens qu’il occupait une chambre d’étudiant à Bordeaux et qu’il travaillait à la bibliothèque municipale.

Je me souviens que mon fils l’admirait parce qu’il cassait les noix entre ses doigts.

Je me souviens de ses Chroniques bordelaises qu’il écrivait pour Jour de lettres.

Je me souviens qu’il est allé parler de la poésie de Jacques Ellul dans une émission de radio animée par Guy Perraudeau.

Je me souviens de sa mobylette, une Moto-bécane bleue, sur laquelle il circulait à Bordeaux.

Je me souviens de l’anniversaire de ses 40 ans en juin 1996 fêté chez Alricq, une guinguette en bord de Garonne, avec D., S. et moi.

Je me souviens d’une crise d’éthylisme, un soir, entre le cours Victor Hugo et la rue Sauvageau. Je me souviens qu’il nous a raconté la scène de l’accident de son fils sur la nationale 113 et qu’on a pleuré.

Je me souviens qu’il a rencontré Paul Leuquet, bébé d’acier, artiste, avec qui il entreprit un dialogue interrompu.

Je me souviens qu’il voulait travailler au service des Jardins et qu’il ne voulait plus travailler à la bibliothèque.

Je me souviens qu’il buvait du pastis sans eau.

Je me souviens de son écriture avec ses drôles de jambages.

Je me souviens de sa grande gentillesse et de son innocence.

Je me souviens de sa soif de lectures et de son ambition d’écrire un roman sur Orphée.

Je me souviens de sa révolte et de son désespoir.

Je me souviens que sa conscience le portait aux franges de la conscience.

Je me souviens de sa joie d’enfant lorsqu’il a découvert la poésie verticale de Roberto Juarroz.

Je me souviens qu’il a rendu visite à Michel Ohl.

Je me souviens qu’il s’est rendu à l’hôpital Charles-Perreins en mobylette pour ne pas en finir avec lui-même.

Je me souviens de son premier séjour à l’hôpital psychiatrique de Cadillac.

Je me souviens du jour où il m’a apporté le manuscrit de L’Homme qui penche I.

Je me souviens de ma lecture de L’Homme qui penche I. Je ne me souviens pas d’avoir été plus bouleversé par un texte.

Je me souviens du bel et grand article de Sophie Avon dans Sud-Ouest pour annoncer sa présence à la librairie La Machine à lire.

Je me souviens qu’il n’y avait guère plus d’une quinzaine de personnes le soir venu à la Machine à lire.

Je me souviens d’avoir, ce soir-là, remis un exemplaire de L’Homme qui penche I à chacune des personnes présentes.

Je me souviens que c’était l’hiver et que Thierry Metz n’était pas en grande forme.

Je me souviens de son second séjour à Cadillac.

Je me souviens du jour où il m’a apporté L’Homme qui penche II à sa sortie de Cadillac II. Je crois me souvenir qu’on en a plaisanté, qu’on a plaisanté de ce drôle de séjour d’inspiration.

Je me souviens d’enthousiasme et d’apathie. Je me souviens peut-être d’une sorte de résignation.

Je me souviens qu’il a rendu visite à ses parents, là-bas à Soustons. Je me souviens qu’il m’a dit s’être promené sur la plage.

Je me souviens que lorsque son père a reçu sa lettre, Thierry était mort.

Je me souviens de lui avoir téléphoné et qu’il était mort.

Je me souviens de son enterrement à Soustons. Je me souviens d’y être allé avec Daniel de Marco. Je me souviens que là non plus il n’y avait pas grand monde. Je me souviens d’y avoir rencontré sa femme Françoise et ses deux fils. Je me souviens qu’on est allé boire un verre dans un bar du centre ville. Je me souviens que c’était triste et insignifiant. Je me souviens que mourir est insignifiant.

Je me souviens qu’après, des tas de gens se sont intéressés à Thierry Metz. Je me souviens qu’il y a eu au moins deux adaptations théâtrales de L’Homme qui penche dont une fut produite à Cadillac. Je me souviens que L’Homme qui penche a été traduit et publié en italien. Je me souviens qu’en italien, ça s’écrit « L’Uomo che pende ».

Je me souviens que Jean-Albert Bourgade a réalisé de magnifiques illustrations de L’Homme qui penche et que nous n’avons pas pu mener à bien son édition.

Je me souviens d’une soirée d’hommage et de lecture au bar Le Castan où des textes de Thierry et ceux des poètes qu’il aimait, Rilke, Apollinaire, Celan, Juarroz, Juliet… ont été lus par Martine Amanieu, Laure Duthilleul, Marc Feld et Paul Leuquet.

Je me souviens d’avoir édité Terre qui est sûrement l’un des plus beaux livres de poésie que je connaisse.

Je me souviens d’avoir édité Tout ce pourquoi est de sel, quintessence de la poésie de Thierry Metz.
Je me souviens de la dernière lettre que Thierry Metz m’a écrite :

« Bonjour Didier,
C’est le retour à la case départ – la case vide, celle qui me manque.
Ne m’en veux pas d’être aussi contrariant. Ça casse toujours au même endroit. Mais on m’a dit que c’était réparable.
Je pense à toi.
Je t’embrasse.
Thierry (lui et l’autre) »


Didier Periz, le 24 janvier 2011
Éditeur, Opales, Pleine Page, Bordeaux

 

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Hans Hartung (1904-1989)   Huile et pastel sur papier goudronné
monté sur panneau 
(95 x 85 cm).  1945, Collection privée

07:27 Publié dans Diérèse | Lien permanent | Commentaires (0)