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22/05/2019

Jude Stéfan a publié in Diérèse

Poète et nouvelliste, auteur de "Disparates" paru chez Gallimard en novembre 2012, j'ai reçu un beau jour, tapé à la machine à écrire classique (celle que devait supplanter l'ordinateur), un récit de Jude Stéfan qui avait rapport à cet examen de passage au lycée, si pittoresque dans le fond et la forme. Nous n'en sommes pas loin, dans le calendrier scolaire, c'est l'occasion d'en rire un peu... Remarquez en particulier l'emploi subtil de l'imparfait et du passé simple : quand certains voudraient le supprimer, sans autre forme de procès ! [Relisez Proust et vous comprendrez mieux pourquoi se rebeller contre... ce qui tombe sous le sens, malgré ces temps d'inculture dont nous pâtissons.] DM

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Le Brevet des Collèges


J'ai passé le Brevet. C'est là mon premier examen, si l'on excepte communion et confirmation, et destiné à nous préparer au Baccalauréat - lequel est encore plus difficile, car il n'y a que 80 % de reçus, outre le rattrapage (où certains même échouent) -, puis à la nuit de noces. J'avais ma bouteille d'eau et ma barre chocolatée, refait ma natte, et c'est ma grand-mère - ex-Directrice d'école - qui m'avait amenée dans son Audi, car mon père, simple ouvrier, était à son travail. A neuf heures précises furent distribués les sujets, retirés d'une grande enveloppe bistre. Chacun avait sa table, son numéro d'appel, sa carte d'identité. On aurait entendu une aiguille tomber, tant l'instant s'avérait important. C'était le sujet de Rédaction : la tête entre les mains je le découvris sans aussitôt comprendre : "Que feriez-vous si vous n'étiez pas né ? Développez". La question me surprit, ayant plutôt révisé, comme le bruit en courait, le Néandertalien au larynx trop haut placé. Certains se regardèrent, d'autres méditaient déjà sur la question, plusieurs même se mirent à écrire. Je ne découvrais guère la problématique, come (sic) l'avait préconisé l'Institutrice, mademoiselle Beaudrap. On entendait une toux, des raclements de pieds. Au bout de dix minutes un grand Noir se leva et alla réveiller le Surveillant, suggérant qu'il y avait une erreur dans l'énoncé. Ce dernier, qui n'avait sans doute fait que lire distraitement, approuva et s'étant fait remplacer par un suppléant de couloir, alla en référer au Chef d'Examen, qui, après avoir consulté le rectorat - c'est ce qu'il nous annonça, descendu dans la salle, - nous précisa qu'effectivement il n'y avait pas d'erreur, mais que le sujet aurait dû être ré-élaboré, qu'en tout cas il en serait tenu compte dans la correction, et que toute liberté était ainsi laissée aux candidats, qui pourraient même bénéficier de cet avantage. Tout était dans l'ordre. "Gardez votre calme !" 

Je sentais la migraine m’obnubiler le cerveau. Je me mis à essayer de déconstruire l’énoncé, selon les conseils de l’année. La subordonnée conditionnelle d’abord, « si… » : il s’agissait là, grammaticalement, d’un irréel, une supposition contraire à la réalité, comme si j’étais morte, mais avant même d’être née – et qu’aurais-je bien pu faire alors ? Quelque chose m’échappait, sans doute un piège qui pourtant devait être évident, j’eus honte de ne pas le trouver, et même envie de pleurer. J’étais toute seule, sans ma mère, sans aide, à lutter. Je passai à la proposition principale interrogative – bien analyser les termes ! – que feriez-vous ne devait pas s’appliquer à une profession à exercer (moi, je voulais être puéricultrice ou aide-soignante afin d’aider de plus faibles, comme l’abbé Pierre) mais signifier : quelle serait alors votre attitude ? Eh bien, quant à moi, si je n’étais pas née, je me tuerais car comment accepter d’être privée des beautés de la nature, de la connaissance des grands hommes, Napoléon ou Zidane, de la canicule même, qui permet la vente de milliers de ventilateurs ? Voilà donc les idées que je jetai sur le brouillon avant de rédiger une page et demie et bien relire.

A la sortie ma grand-mère, ex-Directrice d’école, considéra le sujet pour déclarer qu’il s’agissait plutôt là d’un thème philosophique, qu’il y avait sans doute eu substitution de matière, et comme un attroupement déjà s’était formé à cet égard, qu’on saurait protester – quoique ce fût une profonde question !. A la maison, le soir, on attendit le retour de mon père, qui n’est qu’un simple ouvrier : il chaussa ses lunettes, fronça les sourcils et, bizarrement, demanda à sa belle-mère : « Est-ce qu’il y a du potage ? ».

Jude Stéfan  

08:30 Publié dans Diérèse | Lien permanent | Commentaires (0)

20/05/2019

"Minimes", de Jean Rousselot aux éditions Les Deux-Siciles, octobre 2003

C'est le tout dernier livre publié de son vivant par Jean Rousselot : "Minimes" (sortes de "Maximes" inversées). L'auteur m'a cédé son manuscrit, rédigé au verso d'ordonnances et de factures de droits d'auteur, insignifiantes à dire vrai, Rousselot en avait... plutôt honte. J'en ferai don, de ce manuscrit pas comme les autres, à une bibliothèque de mon choix, le moment venu.
(A propos, ne vous étonnez pas qu'aucune mention ne figure des deux livres dont je viens de vous parler sur Wikipédia, sauf le portrait réalisé par Pacôme Yerma pour "Trajectoire suivi de Strophes", dessin piraté adjoint à des extraits de son livre "Maille à partir" - et sans mention. A me lire vous commencez à mieux entendre certains "mystères" du monde de l'édition)... Voici donc quelques extraits choisis, d'un livre publié par mes soins à Angers, sur Vergé 120 grammes, 7 mois avant son décès :

J'ai commencé par une erreur : naître dans une famille misérable. Comment cela s'est-il changé en orgueil ?

Parce que feu mon père avait construit son véhicule, le boucher ambulant me donnait parfois une tranche de bavette.

Je ne me suis pas fait moi-même. Je me suis inventé.

J'ai travaillé dix heures en moyenne par jour et n'ai toujours pas un maravédis.

Vous n'avez pas à rendre meilleurs vos semblables. Seulement à tenter de vous perfectionner un peu.

Rien n'est futile dans la nature. On ne saurait en dire autant des hommes.

Vue de plus près, l'histoire est un roman stupide.

Je dépense, donc je suis...

Nous avons l'usufruit du monde entier mais nous ne savons qu'en faire, hormis l'abîmer chaque jour un peu plus.

Pour moi, vivre fut une impardonnable imprudence.

Même les saints font des cauchemars.

Je ne sais pas me cacher quand je pleure.

Ah, si l'on pouvait transiger avec le mépris que la nature nous voue !

Dans toute mort volontaire, il y a du théâtre.

Dans l'être, la pensée ne tient au cerveau que par un fil de la vierge.

On peut faire n'importe quoi avec des mots mais on est incapable de fabriquer une rose.

Un peu comme le Roquefort, les bonnes idées ont besoin de pourrir pour devenir excellentes.

Beaucoup de nos prétendus intellectuels sont des imbéciles. Je crains d'être du nombre.

Je ne me suis vraiment jamais aimé.

Jean Rousselot, in Minimes
éditions Les Deux-Siciles

19/05/2019

Un poème de Jean Rousselot, en mémoire

ROUSSELOT 20.jpg

 

 
   A notre actif                                                                          

 

          Quelques bourgeons en guise de préface
          Et l'on mourra tout son soûl
          Tandis que Dieu (sic) bouchera en douce
          Ses trous de mémoire
          Avec des pelletées d'étoiles


          On aura auparavant
          Changé de place le rhododendron
          Qui s'ennuyait au fond du jardin
          Prêté une âme à quelques amouillantes
          En espérant qu'elles sauraient mugir à temps
          Attendu d'improbables trains
          Au bord des rails envahis par la folle avoine
          Mangé faute de mieux la sorbe des oiseaux
          Surveillé le lait sur le gaz
          Appris le jargon des pierres
          Recollé patiemment les éclats de notre être
          Après chaque chute en son gouffre

 

          Bref on n'aura pas rien fait
          Avant d'être défait.


                             Jean Rousselot

                                            à Daniel Martinez