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11/05/2019

Diérèse 52/53 et 56 : Sophie Avon présente Thierry Metz

Thierry Metz, enfant radieux et homme des gouffres

 

Il avait les yeux clairs et des mains noueuses, larges, sculptées dans la caillasse qu'il semblait vouloir creuser pour l'éternité.

Les mots étaient sa pierre et sa terre, ce sur quoi il ne cessait de planter. A commencer par lui même qu'il lui fallait planter et planter encore pour tenir bon. Mais l'homme qui penche ne tient pas droit et le premier vent le ploie. Thierry Metz ployait, s'agrippant aux mots qui dormaient en lui et qu'il réveillait doucement, tirant d'eux une musique à fendre l'âme. C'était des mots en forme de pétales et de galets, des mots simples et courts, des mots nets et précis qui racontaient le fil du temps, détaillaient les jours de labeur ou de solitude. Avec ces mots-là, il traçait le jardin où chaque homme voudrait naître et mourir. 

Ses mots ne pesaient guère ni ne peinaient. Ils ne consolaient sans doute pas non plus, pas assez - à commencer par celui qui les écrivait -, mais ils apaisaient l'esprit et remuaient étrangement. Ils ne pèsent pas davantage aujourd'hui où reprenant les livres de Thierry Metz, je tourne ces pages larmes aux yeux - et derechef, ils me remuent.

A la vérité, ses mots ne sont ni douloureux ni funèbres mais d'une lumière si éclatante au contraire, qu'ils empêchent de voir ce qu'ils dérobent. Ils sont si lumineux qu'ils éblouissent avant d'éclairer, et qu'éclairant ensuite, ils exposent un sens déjà enfui. C'est qu'ils se donnent la peine de tourner autour de ce trou noir dont le poète, infatigablement, reprend le cercle pour que la vérité du monde, éventuellement, consente à apparaître. Thierry Metz n'a fait que cela avec une patience de sage et une fragilité d'écorché : il a approché au plus près du réel sachant qu'il ne l'atteindrait jamais - ou si fugacement que le temps de l'effleurer, il serait déjà évanoui -, mais retournant les pierres, il a exhumé le ciel.

Poète qui bâtit et manœuvre qui creuse, déblaie, casse, refait, empile, cimente. On croit que c'est un travail physique, simple, or les mains n'y suffisent pas, ni la solidité du corps. Ce qu'il faut, c'est y plonger et accepter de n'en rien saisir.  

Thierry Metz voulait-il "être graine pour revenir feuillage le soir", comme il l'écrit dans "Le Journal d'un manœuvre" ? Ou cherchait-il à jamais ce qui "s'est retiré, qu'on ne trouvera qu'après s'être soi-même retiré", comme il l'écrit dans "L'Homme qui penche" ?

"Ce que je vois n'est jamais complet, écrivait-il encore, silence et mots sont nos bûchers". Comment vivre quand on brûle d'écrire et de se taire, que les mots sont vains et que pourtant, ils sont là, au plus profond de soi, faits pour être cueillis, inaccomplis sans doute, incomplets et orphelins - mais néanmoins vibrants d'amour, d'humanité et de force ?

Comment fait-on quand on est un poète à la fois ailé et entravé ? Un esprit libellule dans un chagrin de plomb ? Une âme céleste enfermée sous la terre ? Un enfant radieux et un homme des gouffres ?

 

Sophie Avon

Sophie Avon, née en 1959 à Oran en Algérie, est une écrivain et critique de cinéma. Elle a fait ses études à Bordeaux et à Paris (au cours Florent), vit une année à Amsterdam, puis entreprend la traversée de l'Atlantique à la voile qui la mène jusqu'au Brésil. Son premier roman, Le Silence de Gabrielle, paraît en 1988. Onze ouvrages suivent, publiés chez Arléa, Gallimard, Denoël et au Mercure de France (en 2018, La petite famille).

07:18 Publié dans Diérèse | Lien permanent | Commentaires (0)

08/05/2019

"Hazel", de Bruno Sourdin, éd. Les Deux-Siciles

SCANN SOURDIN.jpgBruno Sourdin, Hazel, avec 4 collages de l’auteur, juillet 2005, éditions Les Deux-Siciles, c/o Daniel Martinez, 8 avenue Hoche, 77330 Ozoir-la-Ferrière, prix : 10 €, hors frais de port.

 

Si l’Inde demeure une énigme pour nous, Occidentaux, alors on peut dire du recueil de poèmes de notre confrère Bruno Sourdin, intitulé Hazel, qu’il nous en donne parfaitement la mesure. Avec l’auteur, on s’aventure dans le labyrinthe de Madras, Pondichéry ou Bombay en compagnie de personnages mystérieux ou à la rencontre de silhouettes entrevues à contre-jour au bord d’un fleuve, ou, plus souvent, dans l’épaisseur de la nuit.

Mais Bruno Sourdin n’a pas écrit un road-movie, même s’il nous rappelle, au passage, tout ce qui le rattache à la Beat generation, à ses auteurs et à ses artistes (n’a-t-il pas consacré un livre à Claude Pélieu, créateur de collages ?)."Pèlerins errants et compagnons de route, et tous mes frères de la tribu des soleils". C’est ainsi qu’il nous les désigne au cœur de son recueil.

Si le livre de Bruno Sourdin nous interpelle, c’est qu’il invite à sonder le mystère du monde sensible. Que l’on soit à Madras, à Brocéliande ou dans la gare de Rennes. C’est, aussi, parce qu’il prend ses distances, à la manière des poètes de la Beat, avec toutes les turpitudes de notre époque. "Aujourd’hui, tout le monde se tait / Les jours radotent / La télé beugle".

Ainsi peut-on s’approcher de l’Inde avec lui, comme le fit en d’autres temps Herman Hesse, cité en exergue du recueil. Dans son livre Siddharta (1992), inspiré par l’Inde, le célèbre écrivain germano-suisse jetait un pont entre les cultures et cherchait un point de convergence pour les hommes. Bruno Sourdin révèle qu’il est aussi, dans la soumission au temps qui passe, à la recherche d’un ailleurs possible."Garde ta mélancolie à jamais / Laisse le bon temps rouler". Il termine même son recueil par une forme de haïku, au ton réjouissant. "Ah, la nuit sans sommeil / avec mon sac à dos, quel bonheur / Sur la route de Pondichéry".

Pierre Tanguy

La préparation du numéro de Diérèse consacré à Nicolas Dieterlé

JCP 15.jpg

Cette lettre inédite de Jean-Claude Pirotte, qui m'apprend la gravité du mal qui l'assaille. Il n'empêche, il écrira des poèmes en hommage à Nicolas Dieterlé, et peindra des encres à sa mémoire, pour Diérèse...

                                                    Le 18 novembre 2011

           Cher Daniel,

          tu n'as pas pris l'exacte mesure de mon état de santé (plutôt de maladie).
Je suis harcelé de toutes parts, et je souffre même d'une tumeur rarissime dans l'oreille interne, presque inconnue de la médecine tellement elle est rare. Les douleurs engendrées par la présence de ce "glomus jugulaire" sont intenables. Pas de guérison connue, sinon la chirurgie à haut risque pratiquée par un seul chirurgien en France, à la dernière extrémité. Je suis à l'hôpital lundi prochain (le 26) pour tenter d'y voir clair.
          J'ai écrit une demi-douzaine de poèmes en hommage à N. Dieterlé. Je recopierai et t'enverrai dans la semaine. J'essaierai un ou deux dessins mais je ne promets rien - ce sera selon mon état.
          A toi, en toute amitié,

Jean.