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24/08/2019

Su Shi (1037-1101), poète, peintre et calligraphe chinois, dynastie Song du Nord

Le Poète vagabond a creusé les nuages
et chassé les Dieux en un cri de tonnerre.
Les gibbons ont enjambé les terrasses du ciel.

La pluie lave le Lou Chan*
et le corps de la nuit.

Les eaux du torrent ont élaboré une cosmogonie
où tourbillonnent les statuettes de pierre.
S'y consument les âmes.

Immortel dans l'ivresse, il calligraphie les cieux,
Su Shi,
et la lune et les vents.


Paul Lemuel Cabanel
in De la nue, apparus
chez l'auteur, 2017

_____

* un des lieux célèbres depuis l'Antiquité, visité des lettrés.

 

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23/08/2019

Li Qingzhao (1084-1151)

LA FLEUR DE PRUNIER


Tous les ans, venu le temps de neige
Je me laissais enivrer par la fleur de prunier
posée sur mes cheveux
Aux quatre vents je lançais ses pétales
Mes larmes mouillaient ma robe
Cette année, au bout du monde
J’ai les cheveux grisonnants
Le vent souffle fort ce soir
Je ne sais si la fleur de prunier tiendra bon

Li Qingzhao

 

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21/08/2019

Mario Vargas Llosa, pourriez-vous me dire : "A quoi sert la littérature ?"

C'est une question formulée non seulement par les ennemis de la littérature et les lecteurs, mais aussi par les écrivains. Lorsqu'en mon jeune temps j'ai découvert ma vocation, c'était l'époque de l'existentialisme et de la littérature engagée. Nous étions tous d'accord pour dire que la littérature servait à quelque chose. D'aucuns y voyaient une manifestation de militantisme politique ; ainsi, les communistes croyaient au réalisme socialiste comme arme de combat de la révolution mondiale et pensaient que la littérature pouvait expliquer la lutte des classes.

Mais la littérature engagée présentait une autre option plus subtile, plus riche et convaincante, ébauchée par Jean-Paul Sartre dans son essai Qu'est-ce que la littérature ? (Gallimard, 1948) qui a profondément marqué beaucoup d'écrivains de ma génération. M'inculquant, pour ma part, une vision de la littérature qui, malgré les distances que j'ai prises avec les idées sartriennes, reste encore présente à mes yeux. Sartre pense que la littérature ne peut d'aucune manière échapper à son temps et qu'elle n'est ni ne peut être un pur divertissement. La littérature est une forme d'action, "les mots sont des actes" - célèbre phrase de Sartre - et à travers la littérature influe sur la vie des autres et sur l'histoire. Pas d'une façon déterminante et préméditée, avec des effets politiques plus ou moins immédiats, comme le croyaient les partisans du réalisme socialiste ; mais indirectement, en formant les consciences qui sont derrière les conduites. Par ce biais, la littérature a bien une utilité, elle contribue à l'action au sein de la société.

Ces idées prirent racine en Amérique, en Europe et dans le monde entier dans les années 1960. A partir des années 1970, on commença à les réviser et je crois que bien peu de personnes au monde les partagent aujourd'hui. Beaucoup d'idées ont été exprimées sur ce qu'est la littérature, mais ce qu'il en reste, c'est que la littérature sert à quelque chose ou, dans le cas contraire, on ne s'explique pas que l'on continue à lire des histoires. Je ne crois pas que ce soit une activité sans conséquence, dont la seule raison d'être serait de faire passer aux gens un bon moment.

Le divertissement est une très bonne chose, certes, et l'on ne doit pas se sentir démoralisé si la littérature ne sert qu'à divertir. Cependant, je reste convaincu que la littérature a des effets sur la vie. Mais ces effets ne peuvent être prémédités. Pas moyen pour l'auteur de planifier ce qu'il écrit pour que son livre ait des conséquences déterminées sur la réalité.

Un peuple contaminé par des fictions est plus difficile à asservir qu'un peuple a-littéraire ou inculte. La littérature est immensément utile parce que c'est une source d'insatisfaction permanente : elle fait de nous des citoyens frustrés et récalcitrants. Elle nous rend parfois plus malheureux, mais aussi infiniment plus libres.

Le produit audiovisuel ne peut remplacer cette fonction de la littérature. J'aime beaucoup le cinéma, je vois deux ou trois films par semaine, mais les fictions cinématographiques, j'en suis convaincu, n'ont absolument pas pour corollaire cet effet retard que possède la littérature en nous sensibilisant aux déficiences de la réalité, en nous faisant sentir l'importance de la liberté.

Voilà comment nous pouvons par là répondre à la question de l'utilité de la littérature. Elle sert à nous divertir, bien sûr, et il n'y a rien de plus divertissant qu'un poème ou un grand roman, mais ce divertissement n'est pas éphémère. Il laisse secrètement une marque profonde sur la sensibilité et l'imagination.

 

Mario Vargas Llosa

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