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19/08/2019

"Le Temps des yeux", éd. Le Lavoir Saint-Martin, nov. 2016

En novembre 2016 a paru, de la main de votre serviteur - aux éd. du Lavoir Saint-Martin, Le Temps des yeux (qui obtiendra en janvier 2019 le prix de la Fondation de la Poste). Mais ce qui m'intéresse d'abord ici, plutôt que l'aimable lettre reçue de Christian Bobin à réception de mon livre, ce sont les commentaires du regretté Jeanpyer Poëls, les voici :

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Une lampe* dans les deux premiers exergues, le monde confronté à une réalité doublement émise par son sens et son non-sens, et, la personne de l'aube qui ne veut perdre du spectacle rien (Dans Le Dernier Royaume I, de Pascal Quignard, on lit : "Retrouver l'aube partout, partout, partout, c'est une façon de vivre."
Quant aux yeux dont est avancé le temps, ne pourrait-on pas concevoir, comme le concevait Paul Eluard, leur facilité d'être "fertiles" ?
"Une mise en ligne du bonheur", telle une confidence, et, des coulures de mots, en somme "un voyage calligraphique", rapproche le poète de "l'infini" - et cet infini c'est... Gaëlle et son rêve d'"ondulations marines", elle qui ramène le charmé à juste titre près de son premier jardin.
La luminosité de la vie avec ou en dépit de(s) pensées hors de la pensée..., "certes" s'en va, mais elle, la vie, demeure... et requiert son : "bonheur".
Amitié donnée, cher Daniel, et le cœur "au réel" de Gaëlle que j'embrasse, à celui de Guo, donc au tien, Guo que j'embrasse aussi.



Jeanpyer
20 II 2017

*Elle porte les mains comme une lampe / Des mains prisonnières des miennes / Sa tête est nouée de lumière" (Jean Malrieu)

"C'était avant les choses dites. / Connaissant l'astre et le moment. / La lampe nue dans son royaume." (Roger Giroux)

En pages 9 et 10, en guise de préface - à laquelle se réfère Jeanpyer, ce texte intitulé :

 

Entre les lignes

 

Le fin duvet de lumière qui tapisse la peau intérieure, de la sphère des émotions jusqu’à celle des idées, ne précise l’objet qu’en regard de ce qui le perd : une brassée de cailloux sous les pas, quelques fruitiers derrière la clôture que des touffes d’asters pavoisent de violet, des particules miroitant au fond d’un puits, muées en vaguelettes sur les cloisons de la prochaine nuit.

Ici et là, des grappes noires à l’ombre des feuillages se ramifient derrière de grands rideaux de toile écrue, à délier d’un souffle. C’est bien à cet instant précis, précieux entre tous, que se compose la phrase, celle qui nous porte, happée par le silence régnant, par les pleins et déliés avalisés par la feuille, jamais blanche sous la main.

C’est ainsi, et c’est bien là que se tisse le chemin, changeant d’échelle à mesure. Les paroles se taisent, les mots se donnent puis reprennent leurs droits, sans jamais dévoiler le secret, celui qui nous fait écrire, plus démunis peut-être qu’un enfant ? : ici le sujet principal.

Le Temps des yeux, comme pour tenter de garder en soi et dans l’extension de tout cette sorte de grandeur qui nous établit dans la vie, dans ses menées, ses mille et mille nuances où se concentrent nos tensions et se réconcilient nos turbulents antagonismes. S’il se peut, en réanimant l’image dans sa fuyante matérialité, à l’envers du voir, justement. Toujours, le poème nous est histoire et demeure. Et les espaces qu’il ouvre tout à la fois se mêlent, se recoupent, s’enchaînent et se superposent dans l’étendue du langage, qui tâche à les restituer au mieux.

Le livre que vous tenez entre vos mains a été écrit en vingt-deux mois, jour pour jour. Un Journal poétique ? Plutôt une mise en lignes du bonheur – vitalité du signe –, dans un monde qui ne le ménage pas.

 

Daniel Martinez

11:34 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)

18/08/2019

"Le Pont traversé", de Jean Paulhan, éditions Spectres familiers, 625 ex, mars 1986 (60 f.)

LE PANIER DE SINGES


Ce vieil homme se vit entouré par des femmes et des enfants qui sortaient du cinéma. Mais on ne le bouscula pas, on lui ouvrit même la barrière du passage à niveau, parce qu'il avait l'air gêné avec son panier. C'était près de la nuit, il prit la ruelle qui monte aux faubourgs.
Il s'arrêta deux fois. La seconde fut à côté d'un château ruiné : des figuiers blancs poussent dans ses fossés ; les tours vont s'écrouler, le lierre seul les retient.
Ici le vieux eut du mal : un des singes pas plus gros que des mouches, qui étaient dans le panier, se jeta violemment contre le bord. Cela balança le panier.
Il avait bien d'autres soucis. D'abord les hommes qui le rencontraient négligeaient de le reconnaître. Il arriva que la route résonnât sous ses pieds comme si elle eût caché des cavernes. Il monta sur la borne d'un portail.
Je le prenais souvent pour moi : j'étais sûr que le but de son voyage me tenait de près. Ensuite je me détachais de lui, qui était maladroit et vieux.


*  *  *


Les singes étaient vifs de couleurs. Quand le panier penche, l'on voit tantôt l'un briller à la lune, tantôt l'autre.
L'homme prend maintenant le sentier qui va vers ta maison. Mais ce sentier change, et le conduit droit dans un pré. Il entend la clochette d'une vache, et la suit.
L'incertitude le retarde, et fait qu'il est distrait par les détails du pré : il regarde longtemps une famille de champignons.
Je connais alors ses idées ; je sais à n'en plus douter qu'il n'est pas moi, mais une sorte de messager que je t'envoie ; il a, dans la route, si mal soigné les singes-mouches que trois d'entre eux sont morts.


*  *  *


Ce rêve s'adresse à toi comme une lettre. Les singes ressemblaient aux champignons de la première nuit.
Mais l'espoir de n'être pas celui qui te recherche allait à son tour me manquer.

 

Jean Paulhan

11:23 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

"Material Memoria", de José Ángel Valente (1929-2000), traduit par Jacques Ancet. Editions Unes, février 1986

          Luego del despertar
          y mientras aún estabas
          en las lindes del día
         yo escribía palabras
          sobre todo tu cuerpo.


          Luego vino la noche y las borró.
          Tú me reconociste sin embargo.


          Entonces dije
          con el aliento sólo de mi voz
          idénticas palabras
          sobre tu mismo cuerpo
          y nunca nadie pudo más tocarlas
          sin quemarse en el halo de fuego.

 

*  *  *


          Au réveil, et tandis
          que tu étais encore
          aux lisières du jour
          j'écrivais des mots
          sur tout ton corps.


          Puis vint la nuit et elle les effaça.
          Tu me reconnus cependant.


          Alors je prononçai
          du seul souffle de ma voix
          des mots identiques
          au-dessus de ton corps même
          et nul ne put jamais plus les toucher
          sans se brûler dans le halo de feu.


José Ángel Valente

03:53 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)