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07/10/2019

"Aurélia" de Gérard de Nerval (première partie, chap. VI)

"Chacun sait que dans les rêves on ne voit jamais le soleil, bien qu'on ait souvent la perception d'une clarté plus vive. Les objets et les corps sont lumineux par eux-mêmes. Je me vis dans un petit parc où se prolongeaient des treilles en berceaux chargées de lourdes grappes de raisins blancs et noirs ; à mesure que la dame qui me guidait s'avançait sous ses berceaux, l'ombre des treillis croisés variait encore pour mes yeux ses formes et ses vêtements. Elle en sortit enfin, et nous nous trouvâmes dans un espace découvert. On y apercevait à peine la trace d'anciennes allées qui l'avaient jadis coupé en croix. La culture était négligée depuis de longues années, et des plans épars de clématites, de houblon, de chèvrefeuille, de jasmin, de lierre, d'aristoloche, étendaient entre des arbres d'une croissance vigoureuse leurs longues traînées de lianes. Des branches pliaient jusqu'à terre chargées de fruits, et parmi des touffes d'herbes parasites s'épanouissaient quelques fleurs de jardin revenues à l'état sauvage.
De loin en loin s'élevaient des massifs de peupliers, d'acacias et de pins, au sein desquels on entrevoyait des statues noircies par le temps. J'aperçus devant moi un entassement de rochers couverts de lierre d'où jaillissait une source d'eau vive, dont le clapotement harmonieux résonnait sur un bassin d'eau dormante à demi voilée de larges feuilles de nénuphar.
La dame que je suivais, développant sa taille élancée dans un mouvement qui faisait miroiter les plis de sa robe en taffetas changeant, entoura gracieusement de son bras une longue tige de rose trémière, puis elle se mit à grandir sous un clair rayon de lumière, de telle sorte que peu à peu le jardin prenait sa forme, et les parterres et les arbres devenaient les rosaces et les festons de ses vêtements ; tandis que sa figure et ses bras imprimaient leurs contours aux nuages pourprés du ciel. Je la perdais de vue à mesure qu'elle se transfigurait, car elle semblait s'évanouir dans sa propre grandeur. "Oh ! ne fuis pas, m'écriai-je... car la nature meurt avec toi !"


Gérard de Nerval


Ici même reproduit, l'un des plus beaux rêves de Nerval, extrait de son roman Aurélia, publié initialement et en deux fois dans la Revue de Paris. Le 1er janvier 1855, pour ce texte-ci (chapitre VI de la première partie), dont Nerval a pu relire les épreuves ; le 15 février suivant, pour la seconde partie, parue post mortem puisque le romancier et poète a été retrouvé pendu, rue de la Vieille Lanterne, le 26 janvier 1855.

Ainsi que le souligne Pierre-Georges Castex (in Aurélia, éd. SEDES, 1971) : "Nerval était affligé d'une timidité maladive ; il fuyait devant l'idée d'une conquête à entreprendre et se donnait volontiers des prétextes pour s'y dérober : selon une de ses formules, il lâchait la proie pour l'ombre. Certains textes d'Aurélia peuvent apparaître, selon le schéma classique des psychanalystes, comme une sublimation de désirs insatisfaits ou refoulés."
Mais la Beauté de ces transcriptions, la puissance d'évocation qui en émane, échappe au simple compte-rendu analytique. Dans le présent recueil, l’Écrit prend toute sa majesté, irréductible aux canons de la littérature classique. Et le cœur de la quête de cet homme confronté aux troubles qui le minent propage une suprême résistance - plus seulement la sienne - à la lumière de laquelle l’œuvre, elle, ne s'éteint pas, ou plutôt ne saurait s'éteindre... Daniel Martinez

07:17 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

06/10/2019

"La Rage de l'expression" de Francis Ponge (1899-1988) : dans le sillage d'Albert Camus.

Vous parler aujourd'hui des fameuses "Notes pour la guêpe", écrites par Francis Ponge que l'on connaît mieux sans doute pour Le Parti pris des choses (1942). Pour La Guêpe, il est à savoir que le manuscrit du poète, écrit entre août 1939 et août 1943 - le contexte historique n'y étant pour pas grand chose - comporte 14 pages. Le tout corrigé parut dans la revue de Jean Lescure, Domaine français, sous le titre "Notes pour la guêpe", puis en édition originale à 145 exemplaires chez Seghers en 1945, sous le titre La Guêpe. Irruption et divagations. Le texte figure ensuite dans le volume publié par Henri-Louis Mermod à Lausanne en 1946, L’œillet. La Guêpe. Le Mimosa, avant d'être définitivement intégré dans le recueil La Rage de l'expression, paru chez le même Mermod en 1952.

Fruit d'un travail quotidien, les pièces formant La Rage de l'expression offrent un véritable "journal poétique" des années 1938 à 1944. Francis Ponge écrivait à Gabriel Audisio : "Je travaille encore jusqu'à 2 ou 3 heures du matin chaque jour [...]. C'est l'expression à tâtons. Je me fais l'effet d'être un apprenti alchimiste (ou chimiste) qui continuerait fiévreusement ses expériences de précision dans un laboratoire où l'électricité vient de s'éteindre". Alors proche de Camus, Francis Ponge souhaitait "ramener les yeux des hommes, sans espoir d'un au-delà métaphysique, à la hauteur des choses et de leur "absurdité" acceptée" (Bernard Beugnot), leur faire accepter leurs pouvoirs limités mais réels dans les domaines esthétiques, politiques et sociaux, et travailler sans illusion à "exprimer" la nature pour se l'"accorder". Relisons-le donc :

 

La Guêpe

Hyménoptère au vol félin, souple - d'ailleurs d'apparence tigrée -, avec un corps beaucoup plus lourd que celui du moustique et des ailes pourtant relativement plus petites mais vibrantes et sans doute très démultipliées, la guêpe fait à chaque instant les vibrations nécessaires à la mouche dans une position ultracritique (pour se défaire du miel ou du papier tue-mouches par exemple).

Elle semble vivre dans un état de crise continue qui la rend dangereuse. Une sorte de frénésie ou de forcènerie - qui la rend aussi brillante, bourdonnante, musicale comme une corde fort tendue, fort vibrante et dès lors brûlante ou piquante, ce qui rend son contact dangereux...

Qu'est-ce qu'on me dit ? Qu'elle laisse son dard dans la victime et qu'elle en meurt ?... Je me connais, se dit-elle : si je me laisse aller, la moindre dispute tournera au tragique : je ne me connaîtrai plus. J'entrerai en frénésie : vous me dégoûtez trop, m'êtes trop étrangers. Je ne connais que les arguments extrêmes, les injures, les coups - le coup d'épée fatal. J'aime mieux ne pas discuter. Nous sommes trop loin du compte. Si jamais j'acceptais le moindre contact avec le monde, si j'étais un jour astreinte à la sincérité, s'il me fallait dire ce que je pense... ! J'y laisserai ma vie en même temps que ma réponse, - mon dard...


*

BLOG PONGE.jpg

La guêpe et le fruit. 

          Transport de pulpe baisée, meurtrie, endommagée,
          contaminée, mortifiée par la trop brillante
          dorée-noire, gipsy, don-juane.
          Intégrité perdue par le contact d'un visiteur
          trop brillant. Et non seulement l'intégrité, -
          mais la qualité même de ce qui demeure...

Francis Ponge

05/10/2019

Lionel Sabatté expose dans la Grotte de Bédeilhac, jusqu'au 20 octobre

SABATTE BLOG.jpg
Lionel Sabatté
Les larmes de l'éléphant

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Grotte de Bédeilhac, France,
jusqu'au 20 octobre 2019

08:51 Publié dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0)