11/07/2020
"Journal espace", Isabelle Couraudon, éditions Ressacs, avril 1983, 104 pages, 30 F
11 mars
J'ai bu du vin chaud qui met feu à mes joues.
Le bois craque dans la cheminée aux faïences turquoise où je me coule.
Nous sommes arrivés sous la neige, lourdement chargés de bois, de pierres et d'une poignée d'herbes parfumées. Le vent du Nord soufflait, nous avions traversé un ruisseau gelé, marché sur la terre dure, les cailloux. Tu avais coupé du bois et nous allions nous réchauffer et nous reposer dans le mas en ruine avec sa plate-forme pour danser dans les herbes pointues...
alors j'ai vu la neige s'approcher fleur après fleur, douce, puis chassée durement par le vent.
Dans le mas, un voile de tiédeur s'étirait ; il s'était mis à neiger plus fort, tout droit en direction des montagnes. J'ai entendu la flûte au loin, le chien qui aboyait ; les flocons passaient devant l'entrée sans porte de la maison et j'étais assise sur l'herbe.
Là-bas, tes doigts glacés jouaient avec la neige sur un pipeau. Le chien m'a léché les mains et il neigeait, il faisait chaud, je ne dormais pas. La neige tourbillonnait peut-être - je ne sais pas bien - tout a dansé devant mes yeux, tu avais des gouttes chatoyantes accrochées à ta barbe, des fleurs de cristal, de velours, tout a dansé - mes mains engourdies - je n'ai pas eu la force de ne plus voir les flocons, ou de les voir sans frissons...
Isabelle Couraudon
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10/07/2020
"Cortège pour le corbeau", de Robert Marteau, éd. Calligrammes, 4 dessins de François-Marie Griot, 11/10/1991
9
La peinture bleue
dont le soleil se teint,
la braise d'érable
dont il fait son feu,
le diadème
que deux serpents composent,
l'ove, la corne, la crête,
l'extase,
nul ne les a vus
qui ne les voit en soi-même.
10
Il n'y eut pas d'abord
un souffle, un signal,
un commencement. La mue
et la mutation, du centre
vers les rives, et la chute
et le retour, à l'infini
constituent le présent,
sur le fuseau le fil
qui d'un même mouvement
s'enroule et se dévide.
Robert Marteau
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09/07/2020
"Des nuages et des brouillards", Emmanuel Hocquard, éd. Spectres Familiers, été 1985, 40 pages, 60 F
Lucrèce écrit que les maladies se propagent "comme les nuages et les brouillards (nubes nebulaeque)"
La rumeur des livres est dans ce remous. Circulation des traces, d'un lecteur à l'autre. Une morsure réitérée. Un remords.
Pour celui qui est dans la rumeur des fables, la rumeur du monde est un fablier. Un recueil de légendes. Pour celui qui est dans la rumeur du monde, la rumeur des livres est du vent.
Celui qui écrit a une oreille dans la rumeur du monde et une oreille dans la rumeur des livres. Sa tête est pleine d'échos et de songes creux. En écrivant, il cherche le silence. Il porte seulement sa part de vent au moulin des rumeurs.
Celui qui lit est dans le brouillard. Il se guide sur des échos. Il prend des vessies pour des lanternes.
Celui qui lit a un œil sur le monde et un œil sur la fable. Il n'y voit que du bleu. Son œil est une oreille qui recueille le bruit de l'océan dans un coquillage vide.
Emmanuel Hocquard
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