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08/08/2016

Deux poèmes inédits de Pier Paolo Pasolini, in Diérèse n°48/49, été 2000

Ce numéro de Diérèse, encore disponible, avait été concocté en grande partie par le traducteur Laurent Chevalier qui depuis s'en est allé. On peut y lire des pages inédites de son Journal (1948-1949), en voici les pages 80, 81. Ils aident à mieux comprendre la démarche intérieure de l'auteur, ce passage à la vie adulte, terra incognita :

Interrotto nel momento più limpido
nel momento in cui il cuore se prepara
a darsi al mondo che gli è stato dato
- le passioni ossessioni, le fedi incubi,
i doveri dogmi, - vidi che il mondo
per me era irreale. Restai per qualche anno
dentro una sua ombra. Ma mi era dato,
e in me nacque il caos : sulla purezza
passava il peccato senza scalfirla,
sull'ignito il noto come un elemento
estraneo, sulla carne il pentimento

come parte di essa : tutto finiva
in me, deposito di un mare
anche a sé assente, in una notte estiva.

 

* *

 

La diversità che mi fece stupendo
e colorò di tinte disperate
una vita non mia, mi fa ancora
sordo ai comuni istinti, fuori dalla
funzione che rende gli uomini servi
e liberi. Morta anche la povera
speranza di rientrarvi, sono solo,
per essa, coscienza.
E poiché il mondo non è più necessario
a me, io non sono più necesario.

                   Pier Paolo Pasolini

Confondu au moment le mieux venu,
au moment où le coeur se prépare
à se consacrer au monde qui lui a été donné
- les passions jusqu'à l'obsession, la foi qui couve,
les devoirs et dogmes - je vis que le monde
était pour moi irréel. Je demeurai quelque temps
plongé dans son ombre. Mais il m'était donné
et en moi naquit le chaos : sur la pureté
le péché passait sans la blesser,
sur l'inconnu le connu comme un élément
étranger, sur la chair le repentir
comme partie d'elle : tout finissait
en moi, dépôt d'une mer
absente à elle-même, par une nuit d'été.

* *

La diversité qui me fit splendide et peignit
de couleurs désespérées
une vie qui n'est pas mienne, me rend encore
sourd aux instincts communs, hors la fonction
qui rend les hommes esclaves
ou libres. Est mort aussi le pauvre
espoir d'y entrer, je suis seul,
pour elle, en conscience.
Et puisque le monde ne m'est plus nécessaire,
je ne suis plus nécessaire.

                         Trad. Laurent Chevalier

06/04/2016

Hommage à Mario Luzi (1914-2005)

Rencontrer le poète et prosateur florentin Mario Luzi, à l'Institut culturel italien, fut pour moi un grand moment, de ceux qui vous marquent, et restent en mémoire. Frêle, fragile presque, mais l'oeil vif et perçant et ce timbre inimitable, cette manière d'emporter dans ses vers plus que les "simples" mots qui donnent vie au poème, la part d'invisible et d'indéfini qui s'y loge pour les sublimer. A l'occasion de la sortie de son livre Pour le baptême de nos fragments, publié à Milan en 1985, traduit de l'italien par Bernard Simeone et Philippe Renard (éditions Flammarion, 1987), le poète s'exprimait ainsi, s'adressant à ses traducteurs :

"Quelle idée de moi désirerais-je susciter chez mes éventuels lecteurs de demain que ceux d'aujourd'hui n'auraient pas perçue ? Il faudrait d'abord que j'en possède une, alors que j'en détiens à la fois plusieurs et aucune ; je veux dire : aucune qui soit fixe et cristallise mon aspect intérieur. Comme pour confirmer la multiplicité et l'instabilité que je perçois en chaque aspect du vivant, mon image aussi se transforme et me semble davantage réfléchie par une eau courante que par un miroir fixe. Le changement, la métamorphose : cela demeure le thème des thèmes de ma poésie, et il est juste que mon autoportrait intime aussi en soit investi, voire rendu impossible. 

Pourtant, je n'ai jamais conçu ce thème comme la simple commémoration élégiaque de ce qui fut perdu : le sentiment de la perte ne me fait pas défaut, il est même en moi dramatique ; toutefois il me semble qu'a prévalu sur lui la fascination d'un douloureux mystère. Plus tard, le sens prophétique de la transformation, avec sa promesse d'une maturation progressive des temps jusqu'au point oméga éblouissant de la totale révélation, a ajouté, plus qu'une certitude, une hypothèse - mais quelle ! - à l'interrogation sur notre destin. Entre ces deux façons de percevoir le thème du changement se situe plus ou moins tout le cours de mon travail. (...)

Drame et énigme, alternés ou mêlés (eux qui sont aussi deux mesures de l'esprit), ils n'ont pas cessé de gouverner ma perception de l'époque : le fascisme, la guerre, l'instabilité remplie de cauchemars de l'après-guerre et d'aujourd'hui.

Drame et énigme, j'essaie d'isoler ces deux mots et d'en faire un couple. J'ignore si je peux vraiment me résumer en lui, mais j'y reconnais certainement beaucoup de moi-même. Le sentiment de la créature, avec sa sensibilité propre, face aux peines et aux offenses, n'est pas moins fort que le jugement éthique et le sens historique de l'injustice. Ceci, je crois, explique pourquoi mon dialogue avec le monde prend des accents tantôt intimement, tantôt ouvertement dramatiques. (...)

J'ai opposé - et peut-être est-ce là une nécessité arbitraire de mon évolution intérieure - à un christianisme pascalien un autre plus apostolique et prophétique. J'ai aussi opposé, au sein de la tradition poétique italienne, à l'esprit issu de Pétrarque, univoque et spéculaire, qui a prédominé à travers les siècles, une invention de type dantesque, plus multiforme et magmatique, qui fait naître de l'intérieur des circonstances, de leur contraste et de leur évolution, la possibilité de la contemplation.

Peut-être cette antinomie aussi est-elle arbitraire et correspond-elle plus à l'apparence qu'à la vérité. Tout se recompose peut-être dans le grand fleuve de notre langue italienne et notre idéation particulière : ce fleuve nomme les choses portées par les époques, cherche et rompt continuellement (mais avec de grandes stagnations) la splendeur de la cristallisation. D'une certaine façon, je suis inclus moi aussi dans ce courant."

                                                                              Mario Luzi

Extrait de le Silence, la Voix, dans un entretien qui eut lieu en 1984, traduit par Philippe Renard et Bernard Simeone.

01/03/2016

Diérèse n°48/49, été 2000, spécial Pasolini, 15 €

Ce numéro de Diérèse, encore disponible, avait été concocté en grande partie par le traducteur Laurent Chevalier qui depuis s'en est allé. On peut y lire des pages inédites de son Journal (1948-1949), voici l'un de ses poèmes, pages 30, 31 :

Nella stanza gela l'improvvisa
prezensa della mia salma. Torno
ai primi sogni dell'esistenza ;
sogni partoriti da una luce scabra
di deserti infantili, nel cui vuoto
allucinate vaneggiano campane
sfibrate, infrante, balbettanti.

Io mi distraggo nella gioia d'ingenui
e indegni desideri : ma Lui vuole
morire, ha già deciso.

                           Non ho forse
bevuta tutta la mia vita ? C'è un odore
d'incenso nei calzoni che la brama
accarezzava... un odore di pioggia...
di polvere... une tenerezza intensa
e acida...
                       Ecco la visione, immensa,
l'intero panorama di una pianura
illuminata da un sole serale,
dove le campane d'una mia infanzia
di delirio, d'acido assopimento
balbettano note e frasi mortali.

                Pier Paolo Pasasolini

* *

Dans la pièce le froid gagne la présence
inattendue de ma dépouille. Je reviens
aux premiers rêves de l'existence,
rêves accouchés par la lumière âpre
de déserts enfantins, et dans ce vide
halluciné délirent des cloches
épuisées, brisées, balbutiantes.

Je me distrais avec joie des désirs
candides et indignes : mais Lui veut
mourir, il a déjà décidé.

                             N'ai-je peut-être pas bu
ma vie jusqu'à la lie ? Il y a une odeur d'encens
dans les pantalons que l'appétit
caressait... une odeur de pluie...
de poussière... une tendresse intense
et piquante...
                       Voilà la vision, immense,
le panorama entier d'une plaine
illuminée par le soleil du soir,
où les cloches de mon enfance
- de délire, de piquant assoupissement,
bégaient des notes et des phrases mortelles.

                   traduction de Laurent Chevalier

Notons qu'il n'existe pas à ce jour une édition intégrale des poèmes de Pasolini, qui fut étonnamment prolixe. Sa production quasi quotidienne, il la donnait à des revues (en 1942, il crée avec des amis les revues littéraires Eredi et Il Setaccio), des journaux, des magazines, des brochures, etc. Aucune recension complète n'a été faite à ce jour...