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12/02/2016

Alessandro Ceni

 

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 Le poème ci-dessous est extrait de la seconde partie du recueil Mattoni per l’altare del fuoco (Des briques pour l’autel du feu), qui en compte trois, chacune ayant fait l’objet d’une publication antérieure : Nel regno, 1993 ; La realtà prima, 1995 ; Ossa incise e dipinte, 1999 — rassemblant une oeuvre poétique qui s’étend d’août 1991 à juin 1998.

Alessandro Ceni est né à Florence en 1957. Poète, traducteur, peintre quand il n’écrit pas, il signe une poésie singulière, ardue, aux traits parfois obscurs et déroutants ; elle révèle des vers d’une grande densité, au puissant processus métaphorique, marqués d’un enracinement profond dans la langue toscane ; s’y décline un attachement viscéral au langage de la terre et du monde agraire où la nature prévaut en tous ses éléments, animal, minéral et végétal, doublé d’une dimension sous-jacente et omniprésente du sacré.         
                                
                                                                                  
Valérie Brantôme

* * *

Alessandro Ceni,

poème XXII extrait de La realtà prima (La réalité première), deuxième partie du recueil Mattoni per l’Altare del fuoco (Des briques pour l’autel du feu), paru aux éditions Jaca Book, Milan, 2002. La traduction qui suit est inédite en français.

Traduction de Valérie Brantôme, 2011.

 

XXII

Dove libramente al vento
il seme del cipresso selvatico si sparge e il cielo sbanda
producendo neve
e un angelo si stacca e muore
s’impiglia a una bacca di rovo e
ficca il morto muso già rigido e nero
nel fogliame umido e verde della terra, la mia infanzia,
prima come portata da una barca, dal dorso di un pesce,
che rapido guadagni l’aperto del mare, poi
imitanto il passo del tordo e dell’airone, appare:
ed ecco, sul ramo del melo il vento
pone volti divorati dalle stelle
e nuovamente vi sostano fantasmi di uccelli,
che né cantano né guardano né hanno pietà del moi ricordo:
dalla finestra si scorgeva un siderale ghiacciaio
infisso nel punto in cui si scompariva la luce,
andava coi fratelli, tra gli immortali,
dietro lo spigolo della casa
da dove qualcuno ti chiamava
affacciato sul vuoto
tendendo una lampada spenta.

 

XXII

 
Là où librement au vent
se répand la graine du cyprès sauvage, là où le ciel
se disperse jusqu’à la neige
et où l’ange se détache et meurt,
reste accroché à une baie de roncier et
fourre son museau mort, déjà noir et raide
dans le feuillage humide et vert de la terre,
là apparaît mon enfance,
d’abord comme portée par une barque, par le dos d’un poisson
qui gagnerait très vite la haute mer, puis
imitant le passage de la grive et du héron :
et voici que sur la branche du pommier le vent
dépose des visages dévorés par les étoiles
et que s’y arrêtent, renouvelés, des fantasmes d’oiseaux,
qui ne chantent ni ne mirent, ni pitié n’éprouvent pour mes souvenirs :
depuis la fenêtre, on aperçoit un glacier sidéral
incrusté au point de disparition de la lumière,
il allait aux côtés de ses frères, parmi les immortels,
derrière l’angle de la maison
d’où quelqu’un t’appelait,
penché sur le vide,
brandissant une lampe éteinte.

10/01/2016

Alberto Moravia opus 2

       ... Jean-Noël Schifano : Vous avez dit un jour que le sexe, c'était comme le scarabée d'Edgar Poe : indispensable, mais en même temps insignifiant... mais vous dites aussi que, pour le romancier contemporain, le sexe a valeur de langage et non de recherche du plaisir comme dans le roman du dix-neuvième siècle...

Alberto Moravia : Je dis qu'en littérature le sexe doit être absolument nécessaire, indispensable pour la structure d'un récit, d'un roman, comme le Scarabée de Poe et indispensable : on ne pourrait pas écrire cette nouvelle sans parler du scarabée, ou la Lettre volée sans parler d'une lettre. Si je n'y avais pas parlé de sexe, je n'aurais pas écrit du tout certains de mes livres !... Le sexe est complètement inutile et, à certains moments, complètement nécessaire. Et puis je veux ajouter une chose. On me dit toujours : le sexe, pourquoi vous écrivez toujours sur le sexe...
"Alors, disons ceci : le cinéma a été muet jusqu'en 1930 environ ; après, il a commencé à parler. Et actuellement, verriez-vous volontiers un film moderne muet ? Non ! C'est la même chose avec le livre et le sexe. On sent que quelque chose manque parfois dans certaines situations littéraires, là où le sexe est aboli, comme, par exemple, l'abolissait Flaubert. Flaubert écrit : "Elle s'abandonna", c'est tout. Alors que décrire le sexe dans cette situation-là serait nécessaire, voilà tout : cette situation est incomplète, comme le cinéma est incomplet sans la voix."

J-N. S. : On a dit de Desideria, publié en 1978, que c'était une "Education anti-sentimentale", êtes-vous d'accord ?

A. M. : Je ne connaissais pas cette définition-là : elle est très bonne. Je l'approuve complètement. C'est une éducation anti-sentimentale parce que c'est une éducation psychanalytique. Desideria, sans qu'elle s'en aperçoive, est le ça, moi je suis le moi et la voix, c'est le sur-moi.

J-N. S. : Contrairement à certains écrivains, notamment italiens, tels Camon ou Volponi, vous avez toujours refusé l'idée d'une psychanalyse, car, dites-vous, "le niveau culturel des psychanalystes est inférieur au mien, je ne peux donc pas me confier à eux. Il faudrait, au fond, que ce soient des prêtres". En ce cas, l'athée que vous êtes se confierait-il ?

A. M. : En Italie ou ailleurs, c'est vrai, pour la plupart, leur niveau intellectuel est inférieur au mien. Et puis, l'écrivain fait sa psychanalyse avec ses livres, il se psychanalyse lui-même, il n'a donc pas besoin d'une psychanalyse supplémentaire. Quant au prêtre, je l'ai dit pour une raison très simple : il agit, lui, au nom de quelque chose que le psychanalysé reconnaît comme supérieur ; tandis que, dans le cas d'un psychanalyste, il y a une collaboration, ils sont donc sur un pied d'égalité, il n'existe aucune autorité en dehors de la psychanalyse. Le manque d'autorité n'autorise pas le psychanalyste à se placer au-dessus du psychanalysé.

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Alberto Moravia opus 3

                                         Thanatos


Jean-Noël Schifano :
Du sexe à la mort, il n'y a qu'un pas. Il vous arrive de faire un rêve récurrent : vous êtes dans un grand hôtel en Amérique, et vous n'avez plus d'argent, et vous dites que c'est votre rêve de mort...

Alberto Moravia : Parce que je ne peux plus rentrer en Italie. Je ne peux pas payer ma note d'hôtel ni mon billet de retour. Je suis prisonnier, mais pas si triste que ça dans le rêve. Je trouve que c'est absurde, parce que j'aurais dû partir avant : j'ai gâché toutes mes journées à ne rien faire, j'ai gaspillé mon temps... Je pense que ce doit être la mort, parce que c'est un rêve qui revient et, au fond, n'est-ce pas, on ne revient pas de la mort, voilà tout.

J-N. S. : A votre mort, vous y pensez ?

A. M. : Je n'y pense jamais. Voyez-vous, je pense que nous vivons à une époque où il y a cinq milliards de personnes et on meurt à quatre-vingt dix ans. Les rapports entre la mort et la littérature se sont cassés. Ils existaient lorsque le monde avait peut-être cent millions de personnes et qu'on vivait jusqu'à vingt-cinq ans ! (Rires.)
Nous sommes trop nombreux et en même temps nous vivons trop longtemps. Alors la mort n'est plus un thème littéraire. Je ne trouve pas qu'il y ait beaucoup de livres dans la littérature moderne qui s'occupent de la mort ; tandis que tous les livres du Moyen Age donnent une large place à la mort.  

J-N. S. : Au printemps 1968, vous avez écrit : "Je n'ai jamais versé une seule larme devant les crucifix d'Occident. La souffrance, la douleur, la mort, ne m'émeuvent pas. Mais l'intelligence, si. Devant le Bouddha de Gwangju, j'ai eu les larmes aux yeux... devant le sourire désespéré de l'esprit." C'est étonnant de la part d'un Latin ; c'est beau ; est-ce bien vrai ?

A. M. : Oui, c'est vrai. C'est absolument juste, en somme, c'est arrivé. J'étais en Corée et j'ai vu ce Bouddha extrêmement émouvant, justement parce que extrêmement intelligent. La souffrance, vous savez, la souffrance, ça touche aux nerfs : si vous avez un système nerveux comme les poissons, vous ne souffrez pas du tout !

J-N. S. : Vous êtes un Sagittaire, pourtant ! Revenons donc au feu et aux passions de l'Occident ! Y a-t-il, en Italie, un événement politique des années ou des siècles passés que vous aimeriez fêter ? 

A. M. : Moi, j'aimerais toujours fêter la Libération. C'est une chose importante, qui rattache l'Italie à l'Europe, en ce sens que l'Europe a fait un effort épouvantable pour se libérer du nazisme : elle en est encore fatiguée, mais, quand même, elle a réussi à se libérer ; nous aussi, en Italie, nous nous sommes libérés du fascisme.

J-N. S. : En 1933 - vous en souvenez-vous ? - la police fasciste vous interpelle à Rome parce que vous refaites votre noeud de cravate devant une vitrine de la place Venezia !

A. M. : (Rires.) Oui, c'est vrai !...

J-N. S. : C'est depuis cette période que vous donnez tant d'importance au choix de vos cravates !...

A. M. : Non, mais on pouvait être arrêté pour ça ! J'ai, en effet, un grand plaisir à choisir des cravates colorées. Nous nous habillons plutôt à l'anglaise, sans couleurs très décidées : la cravate est le seul de nos vêtements qui lance un message à travers la couleur. La cravate doit avoir des couleurs vives, sinon autant vaut ne pas en porter : si elle est grise, ça veut dire que vous ne voulez pas communiquer avec le reste de l'humanité ! La cravate est un message.

                                                                                            Fin de l'entretien