03/08/2017
Pierre Colin (1939-2014)
Les ordonnances du deuil ne certifient rien d’une vie. Pierre Colin n’est plus soumis à notre quotidien depuis le cinq mai 2014. Breton passionné ayant pris forte langue dans les Pyrénées, auteur d’une trentaine de recueils de poésie parus chez divers éditeurs, prix national de poésie jeunesse en 1996, prix Max-Pol Fouchet en 2006, combattant des ateliers d’écriture : faut-il aligner dates et titres pour tenter d’évoquer un homme qui savait le prix minéral de l’amitié et la force vitale de la colère ?
Celui qui disait vouloir pratiquer « une écriture violente, qui parle du réel, du sens et du non-sens, de la beauté et de l’horreur », celui qui connaissait l’abandon des pudeurs dévoyées et l’insuffisance avaricieuse des techniciens de la parole n’aurait pu se contenter chez l’autre d’une quelconque indifférence, même parée de la plus artificielle bienveillance.
« Nous chercherons longtemps cette profération sans origine, d’un désir l’autre, d’un siècle l’autre, dans la géométrie des rêves et de la mort».
Pierre Colin, lutteur inlassable, savait retrouver la vérité des géographies et des siècles cachés dans l’insurrection du présent.
« Dernier soir où j’ai mis ton nom dans ma bouche. Et il avait ce goût de peuple ancien, tout ce qu’un feu de lèvres fait du temps… »
Eric Barbier
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29/07/2017
La vie des dictionnaires
Vous qui comme moi consultez un peu, beaucoup, passionnément... un ou plusieurs dictionnaires pour vous assurer du sens d'un mot, d'une expression, d'un gallicisme, etc - ou le confirmer même quand vous en ressentez le besoin- , voyez ce qu'écrit à ce propos Philippe Delerm :
"Comme écrivain, je ne me sers jamais d'un dictionnaire, à plus forte raison d'un dictionnaire analogique ou de synonymes, si ce n'est pour vérifier l'orthographe d'un mot. Je m'en tiens à ce sujet à la philosophie de Paul Léautaud, qui prétendait qu'un écrivain doit s'en tenir à sa palette, sans chercher artificiellement d'autres couleurs, au risque de perdre le seul bien véritable - la touche personnelle, le trait singulier. Quand Colette parle des fleurs, on sent qu'elle les possède charnellement depuis l'enfance. Quand Balzac énumère platement toute la flore des Alpes, je n'y crois pas, car je sens que sa science a glissé tout droit d'un dictionnaire.
Non, pour moi le dictionnaire garde un parfum délicieusement inutile. Il est lié à mes premières émotions érotiques - ces grandes pages glacées bistre où étaient reproduites en lascives postures orientales les femmes nues de Ingres ou de David. Le contraste entre le sérieux du contenant et la perversité de la quête jouait un grand rôle dans l'intensité de mes émois."
Pour Alain Rey maintenant :
"Dictionnaire : la chose ? De moins en moins aisée à définir ; pas même un "livre", aujourd'hui, puisqu'il en prolifère sur la Toile, en ligne, hors ligne, entre les lignes, en cédés plus ou moins rom... Dans une liste ? un catalogue ? Pas toujours. Alphabétique ? Ho, ho, et les Chinois, et les dicos d'ancien égyptien, par hiéroglyphes ? Et les dictionnaires d'"idées" où les mots sont les cibles ? Que reste-t-il de nos chers dictionnaires ? De collectionner des signes, pas seulement des "mots", et de répertorier des sens. Et l'on en vient à ceci, qui est dans le mot dictionnaire : un répertoire des "manières de dire".
Les Allemands sont simples : Wörterbuch, le livre des mots. Les Grecs anciens, profonds et ambigus : ils parlent du logos, langage, mais aussi raison ; de glossa, la langue, d'où glossaire et glose. Les Latins, malins : qu'y a-t-il derrière le vocabulaire ? Du "dire" (dicere). Dicere, d'où dictio, la façon de dire les choses, et des écrire, sans doute.
Il a fallu attendre le XVIe siècle pour que la langue latine, qui se portait alors fort bien en Europe occidentale, se préoccupât de nommer ce qui était un perfectionnement des glossaires (ici, on est en grec). Et notre grand Robert Estienne concocte son dictionnarium latin-français, qu'il va, génialement, retourner comme un gant : le dictionnaire français, mot et chose embrassés, est né."
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27/07/2017
"Le Cantuaire", d'André Devynck
Pour vous familiariser (un peu) avec l’œuvre plutôt confidentielle d'André Devynck : deux poèmes extraits du Cantuaire (éd. La Corde, 1965) :
Chant du veld flamand
Dans le roux le sauvage l'inarticulé
dans le ventre promis aux dérives du vent
saccagé de socs bleus
lissé d'astres
dans la tour de l'aubier
les soutes de l'automne
dans le roux le sauvage l'inarticulé
montent
les enfants du monde
les sèves les îles blondes
Célèbes de chair
les taupes aux doigts de femme
l'écume des blés en flamme
les chevaux des rues profondes
tatoués de lunes rondes
et d'éclairs...
O fumeuse montée d'ailes et de désirs
vers quoi
vers quoi ?
* *
Sable et sel
Quand serons nus et profonds
têtes folles galets ronds
écueils
à la porte où nos doigts s'usent -
Un signe noir
sur le seuil.
Le temps ruse et nous confond
haute écluse.
Sable et sel
silence
seul.
Quel cri
quelle vague de fond
ô juge
nous rejettera ?
Liberté
le vent
l'écume.
Au ciel, étoiles posthumes.
André Devynck
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