23/07/2017
"Méditerranées", anthologie présentée par Michel Le Bris et Jean-Claude Izzo, éd. Librio
Ce livre, composé de quatorze textes, essais et nouvelles, entend célébrer la Méditerranée, "matrice de notre monde", mosaïque de légendes, mère des cultures. Y a-t-il une identité méditerranéenne, "plus forte que les forces qui tendent à la détruire" ? Des savants, idéologues, politiques ont glosé sur ce thème, mais, dit Michel Le Bris, "ce sont les artistes, les écrivains, les peintres, les musiciens, par-delà les cris de guerre, les anathèmes et les slogans, qui disent le plus fortement cet avenir possible, par l'évidence de leurs œuvres, qu'ensemble ils tissent, sauvent, recréent cet imaginaire méditerranéen qui est comme leur demeure". Des écrivains des deux rives y démontrent comment l'Orient et l'Occident ont su conjuguer leurs talents.
Méditerranée, terres de contrastes ? C'est le fil conducteur de la promenade proposée par Jacques Lacarrière, frappé par l'unité des paysages (vignes, oliviers, cyprès) en même temps que par l'irréductibilité des séismes géographiques, les fractures entre les traditions et les mentalités : la Méditerranée est un vivier de "perpétuels affrontements, rivalités autour du sang". Pour le Turc Orhan Pamuk, "l'identité méditerranéenne est une invention" un mythe forgé par les Européens ; il entend, sarcastique, "différencier la vie et la littérature, le club Méditerranée et la Méditerranée elle-même, l'eau et les mots. (...) Il faut comprendre que la Méditerranée est une mer, rien de plus. La mer et sa capacité d'inspiration infinie, voilà ce qui compte." Mer fêtée par Malika Mokkedem, fille de nomade qui explique que la découverte de cet autre désert qu'est l'horizon du grand large correspond à son évasion hors des claustrations, carcans de la tradition et de l'intolérance, abandon des interdits : traverser la mer, ce fut pour elle apprendre à observer les autres, et comprendre que la Méditerranée est "un immense cœur battant entre les deux rives de nos sensibilités". D'origine libanaise, Amin Maalouf revendique toutes ses appartenances : la libanaise, l'arabe, la française, l'européenne, la méditerranéenne, qui constituent "une identité de rassemblement et de rencontre" entre pays industrialisés et pays du tiers-monde, entre Nord et Sud, entre Occident et Orient, entre traditions chrétiennes, musulmanes et juives. "Optimiste inquiet", il en appelle à l'"opportunité d'une convergence", à la construction d'"une identité globale".
Thierry Fabre, lui, est hanté par l'imminence du tragique qui rôde... qu'il combat en évoquant le Bleu ("couleur de mes rêves", disait Joan Miro), ce coin de ciel qui "offre un passage par l'imaginaire", point de ralliement, "alliage entre le rythme de soi et le rythme de de l'autre, entre le permanent et le mouvant, entre l'attente et le bond". Bleu, écrit-il, qui symbolise la résistance au mondialisme, un style de vie singulier nourri d'une autre hiérarchie de priorités : "la disponibilité et l'attente, l'esthétique du quotidien et l'éthique du visible, inscrites dans la chair du monde et le plaisir des choses".
Jean-Claude Izzo (ode à Marseille), Erri de Luca (ode à l'île), Assia Djebar, Gamal Ghitany, Mahmoud Darwich sont de ceux qui, aussi, se répondent, en échos...
Jean-Luc Douin
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19/07/2017
Jean Tortel (1904-1993)
L’œuvre de Jean Tortel occupe dans le paysage poétique du vingtième siècle une place plus importante qu'il n'y paraît. La notoriété n'a peut-être pas suivi, comme il arrive souvent. Il n'empêche : aux côtés de Guillevic, d'André Frénaud et même de René Char, il a donné, par la poésie, un accès irremplaçable au monde visible et sensible. Moins lapidaire que le premier, moins métaphysicien que le deuxième, il évite, à la différence du poète de Fureur et mystère, certaines tentations sentencieuses. Il faut encore citer, dans la proximité de Tortel, les noms de Jean Follain et surtout de Francis Ponge. Avec ce dernier, il partage le goût et l'intelligence de la langue, de son aptitude à rendre quelque chose de la préférence du réel.
Comme René Char, Jean Tortel est un homme du Sud, enraciné dans sa terre. Il est né dans le Vaucluse, à Saint-Saturnin-lès-Avignon, de parents instituteurs. Receveur de l'enregistrement à Gordes, où il se marie en 1926, il passe sa vie entière sous cette lumière méditerranéenne qui imprègne sa poésie. C'est en 1931 que paraît son premier recueil, Cheveux bleus. A partir de 1938, il participe à l'aventure des Cahiers du Sud, avec Jean Ballard, Léon-Gabriel Gros et Joë Bousquet. Il découvre à cette époque les richesses de la poésie préclassique française, Malherbe, Scève (auquel il consacrera un essai en 1961). Les titres des livres de poèmes de Jean Tortel situent bien la nature de son art poétique : Relations (1968), Limites du regard (1972), Instants qualifiés (1973) chez Gallimard : Des corps attaqués (1979), Arbitraires espaces (1986), Précarités du jour (1990), chez Flammarion, pour ne citer que ses tout derniers.
Jean Tortel, et ce n'est pas son moindre mérite, ne s'est jamais installé dans une forme, ou dans des formes immuables. Sa modernité, il a su l'affirmer en actes, par le mouvement et la métamorphose constante de son écriture. Son influence parmi les poètes plus jeunes témoigne de cette modernité.
La sécheresse n'est, dans la poésie de Tortel, qu'apparente. Elle est le moyen de contourner les tentations d'un lyrisme qui ne parvient pas à se contrôler. La sensualité, l'amoureux regard, l'attention à toutes les vibrations du réel, donnent à la voix du poète une tonalité que le formalisme n'entrave jamais.
"Le dehors est masse taillée
Par l'aveuglante vitre où se cassent
Plusieurs soleils non acceptables
Les yeux saignant
Le regard découpé."
in Les Saisons en cause, éd. Ryoan-ji, 1987)
En 1991, Jean Tortel publiait un journal poétique, Progressions en vue de (Maeght Editeur), dernier signe d'un regard en éveil.
Patrick Kéchichian
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16/07/2017
Patrick Laupin, pour accompagner juillet
En hommage à ce poète et à cet essayiste, né en 1950 à Carcassonne, publié à La Rumeur Libre, une petite acrylique de "derrière les fagots" (dixit mon grand-père paternel, qui fut d'abord chaudronnier et m'enseigna l'art de souder à l'acétylène : cette fameuse petite flamme bleue telle une pluie de lunes sur les charnières remises à neuf du grand portail ; au cœur des solstices, de purs ferments d'éternité). Mais d'abord, page 19 du "Jour l'aurore", paru chez Comp'act, et réédité en janvier 1987 :
le jour l'aurore
les arbres tremblent
comme un délire
le langage le monde
ne nous appartiennent pas
Puis, en page 47 :
elle frôle les marches de grès sous la lumière abrupte de juillet glisse légère à travers les ocres les ombres brûlées les terre de sienne pour descendre encore plus loin laissant derrière elle la grande embrasure blanche la terre verte l'après-midi sans recul sous le poudroiement de l'été
Patrick Laupin
L'éclat des choses, acrylique, Daniel Martinez
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