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21/06/2017

Malcolm de Chazal (1902-1981)

L’œuvre singulière de Malcolm de Chazal

Malcolm de Chazal est l'un de ces grand marginaux dont la littérature a besoin, peut-être pour rêver d'elle-même. L'intense et singulière étrangeté des écrits, associée à l'éloignement de l'auteur - l'île Maurice -, a contribué à installer son beau nom dans les marges de l'histoire littéraire, au cours des années qui ont suivi la dernière guerre.

Né en septembre 1902 à Vacoas, dans une famille fixée à Maurice depuis près de deux siècles, sujet britannique, Malcolm de Chazal fut d'abord ingénieur avant de devenir fonctionnaire. Dans les années 1930, il rédige, toujours en français, une foule d'aphorismes qu'il fait imprimer lui-même. En 1947, Jean Paulhan l'accueille avec enthousiasme et publie, chez Gallimard, Sens plastique, puis, deux ans plus tard, La Vie filtrée. André Breton vante le "système génial de perception et d'interprétation" de l'écrivain. Francis Ponge le félicite de "fracturer ainsi les portes du concret". Georges Bataille, Jean Dubuffet s'émerveillent. Mais Malcolm de Chazal fatigue ses interlocuteurs parisiens, lassés par le manque de mesure de son esprit qui veut embrasser tous les domaines du savoir et de l'expérience.

A partir de 1950, il auto-publie, à Maurice ou à Madagascar, une foule de livres et commence une œuvre picturale. Il détruira lui-même une partie de ses ouvrages. En 1968, Jean-Jacques Pauvert publie de brefs poèmes. On s'intéresse à nouveau à lui. Il meurt en octobre 1981. "Dans la mort, l'étonnement est peut-être le sentiment dominant", avait-il prévu.

Quelques rééditions, chez Gallimard ou à L’Éther vague, et aussi chez Exils (Pensées, 1999, qui regroupe l'ensemble de ses livres d'aphorismes) maintiennent un peu la mémoire du nom de Malcolm de Chazal. Jean-Paul Curnier et Eric Meunier ont décidé d'exhumer, aux éditions Léo Scheer, l'essentiel de l'immense production littéraire de l'écrivain qui, selon J.-P. Curnier comporte 57 titres recensés d'ouvrages et d'opuscules dont la plus grande partie n'existe plus qu'à un ou deux exemplaires". Petrusmock, "roman mythique" de 500 pages datant de 1951 a été le premier de la vingtaine de volumes (au total 5 500 pages) qui seront publiés, au fil de l'eau. A redécouvrir toutes affaires cessantes le tome 14 : Sens magique, composé de 755 aphorismes. 

"Je ne crée rien, écrivait Malcolm de Chazal. Simple greffier, je n'interprète pas, je décris. Je ne suis qu'un cinématographe de l'invisible." Cette édition n'est pas critique, elle se contente d'établir et de reprendre chacune des œuvres de l'auteur.

                                                                  Pierre Drachline

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18/06/2017

Gérald Neveu II

Les Derniers Poèmes

Cette nuit...

Cette nuit inventée qui bat solitaire
contre l'aorte, serait-elle
le sujet antérieur de ces longues histoires imbriquées comme nœuds de lombrics ?
vers l'aube
suinte
la gouttière.


Un oiseau balaie l'angle oculaire où fourmillent les gestes.
Dans le cadre d'une fenêtre
le geste des mains tisse
les scintillements essentiels,
maigre enfilade de rires
au verso du souffle.


Mais belle indigente à têtes blanches
c'est la nuit qui prend comme plâtre


J'ai cherché longtemps
et je cherche
la superposition d'une malice simple
à tout élan


Donnez-moi, vous qui vivez l'angoisse de parler, celle de voir


Rien n'éteint le désir


Donnez-moi, vous qui vivez, le sceau brûlé de l'action


Une soif constellée tire vers elle-même
des salves muettes.

                                           janvier 1960

 * *

Midi

Il est tombé - dit-on -
Plume noire et plume blanche
Sa soif traînant
En immense branchage.
Et donnez-moi - dit-on - ce sourire
Et ce géranium !


Les portes battues parlent d'or.
Le vent durcit en coquillage.
Descends - tu le peux -
De ton chariot de victoire
Pour un triomphe plus amer,
Pour une marche plus charnelle.


Lèvre sur cœur comme vipère,
Ma petite tuile d'orgueil...


On écoute tourner le vin,
Noircir le sang,
Changer le sable.
On écoute pourrir
comme une musique de terre
quelqu'un de seul.


Et que s'écrase la pleine candeur
A rendre sourd
A pleines forces contre tout !


Tu tends les mains au plus
lointain du feu.
Ta voix circule dans la pierre.
Quelle boisson désormais pour
Noyer le soleil ?
Non ! Rien !
Tout au plus, au petit jour,
Une hâte lasse, et
- barrant le visage -
L'ancien supplice désamorcé.
Le dessin était pur qui verrouillait
L'espace !
Nids blancs à fond de ciel,
Mains de bois dur sans espérance,
C'est Midi qui se ferme
Comme un objet. 

                                                        Gérald  Neveu      
                                                       29 février 1960

Diégèse

Poèmes saisissants que voici, que j'ai tenu à faire découvrir à ceux qui ne les connaissaient pas encore. Pour aller vite, nous sommes ici en présence d'une voix qui égale le meilleur de Jean-Philippe Salabreuil... Qu'est-ce qu'une langue, sinon un corps ? Qu'est-ce qu'écrire, sinon toucher à ce corps, et assumer toutes les conséquences du geste ? Toucher à la langue est consubstantiel, et, comme chaque fois que l'on touche au corps, cela fait jouir ou souffrir selon. Au pire, jusqu'à cette "enclave de nuit noire" dont parle Cédric Demangeot dans son dernier opus "Autrement contredit", éd. Fata Morgana, 17 mars 2014.

J'en terminerai avec cette citation d'Héraclite (550-480 av JC) : "L'homme touche la lumière dans la nuit, quand il est mort pour lui, la vue éteinte ; mais vivant, il touche au mort, quand il dort, la vue éteinte ; il touche au dormeur quand il veille.", traduite par Bollack et Wismann. Manière de dire que, sans aller jusqu'à une martyrologie de principe qui se nourrirait des manquements cristallisés du corps social, il conviendrait aujourd'hui, pour les lecteurs de Gérald Neveu que j'espère nombreux, qu'ils aient à l'esprit que derrière tant de souffrance intériorisée pourrait se cacher un mauvais rêve vigile qui le renverrait donc sans fin, en esprit & selon la formule héraclitéenne, à son propre sommeil. Oui, Gérald n'est pas mort : car un bon poète est immortel, justement. A Alain Brissiaud, DM

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17/06/2017

Gérald Neveu (1921-1960)

 

Les Derniers Poèmes

 

Un manteau de plumes

              à Mitzi.

1

Un petit doigt mince à bout de nez de celle qui déguise l'espace en arlequin sérieux...
Le feuillet qui tombe chaque jour donne, en chiffre vrai, la couleur des lèvres.
Des approches prudentes jamais ne pourront vaincre l'universel gluten mais bien, puisée en chaque douleur, cette démarche puérilement stellaire.
Jusqu'à l'usure le paysage passe, drainé par cette volonté hygiénique qui s'appelle parfois "aimer".
Dans la bouche se brisent les dernières pensées notoires et c'est sur une diagonale de velours chair, l'érection, comme demain équivoque, de la statue.

 

2

Faudrait-il compter avec le totem familier dressé comme un viol dans la niche du coeur ?
Telle existence virtuelle a mis son masque d'évidence.
Dans certaines perspectives on peut voir naître de chaque pas une couronne de fumée...
En réalité, au fond de quelque loge banale où d'onctueux sursauts habitent le creux des paumes, règne, sainte, l'odeur du fer rouge et du lierre.
Le ciel mis à nu tombe en vrille.
Les étonnées sont toutes penchées aux fenêtres car le beau matin ne s'exprime, habituellement, que par les yeux. Mais c'est lui qui répand sans cesse par les rues d'invisibles arborescences.
Et toi, trace, en t'en venant, de ton doigt mauve, la crevasse en zigzag, la lanière à faire danser le feu !...

 

3

 

A déplier, ce papier trop rose pour l'amour ! qu'il laisse échapper comme oubliés par les urgences successives, des cadavres surprenants de papillons éteints avant d'avoir été !
Vas-tu contredire à cela, toi dont le demi-visage entrebâille la mer ?
Vois-tu, ce n'est ni d'un geste ni d'un sourire que l'on peut tuer les enfances résurgentes ?
Aurais-je ici trop parlé d'un effroi ?
Le petit matin en voilette, c'est bien toi qui passes sans remuer ton corps.
A quelques feux cachés sont pris tes doigts sournoisement sous le feuillage.
Parfois, tu viens et bleuis de ta salive quelques minutes volées.
Assez de pierreries !
... ou alors peut-être, par lassitude, en robe capillaire un flou de méduse perdu, involontaire, inexistant...
Peut-être aussi une voix ?


4

 

Tu ne peux retenir ton geste incalculable...
Et tu ris. Une pensée (pourtant si juste) est pendue quelque part, là-bas ; lanterne où mangent tous les vents.
Quel oblique destin surprendra la volée de ta joie ?
Et pourquoi cette plaie, toute honteuse au bout de tes regards ?
Tu n'es rien qu'un fragile battement tandis que tonnent les carrefours.
Mais ton odeur irradie la question immense.
Lancéolée ton ombre envahit les nuages parmi des débris en fuite.
Il reste un éclat sur ton dos déchirant : les plumes et leur morsure !
Et tu ris !
La fraîcheur se lève tôt à coups de hache...

                                                                          Gérald Neveu

                                                                            janvier 1960

Demain, sur le blog vous pourrez lire les poèmes : "Cette nuit..." & "Midi", dernier texte de Gérald, trouvé sur son lit le jour où il a pris congé des vivants, le 29 février  1960.

12:20 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)