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21/05/2017

"Confidence Man and his Mascarades", de Herman Melville (opus 2)

... Le Grand Imposteur, maître des travestissements et des duperies, s'évanouit et au chapitre XXIV, entre en scène un pitre qui n'a plus besoin de déguisement, son manteau de fou réunissant tous les habits du monde en une bigarrure universelle : le Cosmopolite. Le ton change, le ballet se calme, Melville précise sa pensée.

Vouloir confondre l'imposture et dénoncer les illusions, c'est s'engager sur la voie du jugement et de la mort. Trouver la vérité une fois pour toutes au lieu de la chercher, de la créer, c'est s'en servir comme d'une valeur qui excède la vie. Qui l'épuise au nom d'un bien, vide et faux. Pour préserver sa puissance dans notre désespoir, il faut, comme le clown, sauter d'un habit à l'autre, bondir d'une ligne à l'autre. Être un "misanthrope jovial" qui traque les représentants de la loi, les déçus du monde, les "philanthropes aigris".

Melville croit en un homme futur, qui, comme Le Grand Escroc, sera un "véritable original". Sans modèle mais conforme aux origines et à leur mystère lumineux de vie.

Quand, en 1857, paraît ce livre immense, Melville a trente-huit ans et pense avoir terminé son œuvre : il se retranche dans un silence de trente ans, traversé parfois de quelques poèmes. Les critiques parlent d'amertume et réduisent sa souffrance à une réaction. Dans cette lutte qui l'oppose à l'écriture depuis dix ans, il en est arrivé au point le plus difficile : empêcher que le mince filet ne tarisse. Il lui faut mille prudences, mille lenteurs pour préserver le lien. S'il a cessé d'être un auteur, il n'en aura jamais fini d'être écrivain. Trois ans avant de mourir, c'est avec le pur Billy Budd qu'il achève avec lui sa vie."

 

                                                                          Claire Parnet

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20/05/2017

Anthony Powell (1906-2000)

On a évoqué invariablement Marcel Proust à propos du romancier Anthony Powell, mort le 28 mars 2000 à 94 ans, parce que son œuvre maîtresse compte douze volumes et traite du temps qui passe, mais il était avant tout un écrivain dans la grande tradition anglaise, a rappelé le Guardian dans sa "nécro" : "comique sans le moindre éclat de rire, réfléchi et souvent mélancolique."

C'est entre 1951 et 1975 qu'Anthony Powell rédige A dance to the Music of Time, s'inspirant d'un tableau de Poussin, la Danse de la vie humaine, où s'incarne la ronde des saisons. Répartis en quatre trilogies, les 12 tomes couvrent soixante ans, de 1914 aux années 70. "En un certain sens, rien n'est prévu dans la vie - ou plutôt tout l'est, car dans la danse chaque pas est en définitive le corollaire du pas précédent et découle nécessairement de la personnalité de chacun." Toute la chorégraphie romanesque de Powell est ainsi résumée au début de l'entreprise.
Comédie sociale, comédie humaine, la fresque est cantonnée cependant aux milieux que l'auteur connaît parce qu'il y évolue : la haute bourgeoisie, les sphères influentes de la société, les milieux artistiques.

Deux genres de personnages s'opposent : les gens sensibles et les arrivistes. Le narrateur, donné comme porte-parole de l'auteur, appartient à la première catégorie, figure centrale mais résolument discrète, dont le mauvais esprit trouve à s'exercer. Sous son regard caustique évoluent les excentriques, mais le principal objet de ses réflexions est l'ineffable Widmerpool, qui termine lord après avoir eu une conduite douteuse pendant la guerre. Le narrateur l'a rencontré à Oxford, par où est passé Powell lui-même.

Ami et contemporain d'Evelyn Waugh et George Orwell, de Cyril Connelly et Graham Greene, Anthony Powell est le fils unique d'un lieutenant-colonel. De 1926 à 1935, il travaille dans l'édition, chez Duckworth, la maison dirigée par le demi-frère de Virginia Woolf. On ne peut pas dire que cela lui ait rendu la soeur sympathique. Powell, devenu un influent critique littéraire après la guerre, dans le TLS, et The Daily Telegraph, n'est pas tendre envers tout ce qui concerne le cercle de Blooms-bury (lire ses Écrits sur les écrivains, traduit chez Corti en 1994).

Anthony Powell a quatre romans derrière lui, il a été un temps scénariste, quand il rejoint en 1940 le régiment de son père, et il prépare une biographie de John Aubrey, l'auteur de Vies brèves. L'accueil reçu par la première partie de sa carrière de romancier est sans commune mesure avec la réputation que lui vaut, à partir des années 50, A Dance to the Music of Time. Les douze titres ont paru en France chez Christian Bourgois entre 1990 et 1995, puis en 10/18.

                                                                Claire Devarieux

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19/05/2017

"Le haut mal des créateurs", Claude Aveline première partie

Le 24 septembre 1973, à Bruxelles, au 53-57 rue des Éperonniers, vit le jour un livre dont ne s'empara pas la critique, certes. L'éditeur ? Jacques Antoine. L'auteur : Claude Aveline. Claude avait 72 ans, et il dit d'emblée à Jacques : "Polémique ou méditation, ce livre est mon testament." Le sous-titre du livre en question : "le complexe d'un siècle inexistant". "ma seule façon de prendre au piège, déclare-t-il en commençant, c'est de prendre au mot." Et ce qu'il va prendre au mot, en deçà des œuvres (qui peuvent être des chefs-d’œuvre), ce sont "les théories, thèses, manifestes, programmes, anathèmes" par lesquels, depuis vingt ans [soit en 1953], dans tous les genres, s'est non seulement justifiée mais glorifiée l'obsession de la nouveauté à tout prix, haut mal de tant de créateurs. Le but affiché de Claude Aveline est de les contraindre, dans cet opus, à un dialogue avec eux-mêmes. Il ajoute, pour solde de tout compte : "Je n'ai jamais cherché à donner bonne ou mauvaise conscience. Je cherche à donner conscience." Bien que de l'eau ait coulé sous les ponts depuis, ces réflexions sont-elles absolument inactuelles ?, à vous de voir. DM

Quant à la poésie ?

Musique et poésie... Entre 1922 et 1928, quand je travaillais dans la carrière du livre en en publiant quelques-uns qui ne pouvaient être de moi puisque je n'en avais encore écrit aucun, je me rappelle avec complaisance les six titres dont s'est formée ma collection de "La Musique moderne" : le premier ouvrage sur Honegger, le premier sur le Jazz, le premier sur Pelléas, le premier sur Stravinski, les premiers écrits de Darius Milhaud. Je voulais aussi un lien avec la littérature : André Suarès me donna Musique et poésie.

Son titre m'est toujours resté si proche qu'ayant à nommer le présent chapitre, je n'ai pu d'abord écrire : De la musique sans ajouter : et de la poésie. J'ai biffé, non sans humeur. Je rétablis, grâce à une parenthèse. Elle me permet de dire au moins pourquoi je ne dirai rien.

Ce n'est pas que la poésie des vingt dernières années, dans ses œuvres les plus applaudies, jouerait une partie trop modeste au concert de la Novation. Elle la jouerait d'autant mieux qu'à l'instar de la musique elle estimerait grotesque une étude quelconque du goût d'André Suarès. Je m'interrogeais tout à l'heure sur la musique des mots devant la musique tout court. Préoccupation d'ancêtre ! Pour leur cure périodique de rajeunissement, les deux chères Immortelles qui n'avaient connu de meilleure médecine, durant des siècles, que de se faire violer, et très souvent ensemble, doivent se soumettre à des examens de laboratoire intimes et dégoûtants, d'où elles ressortent dos à dos, toujours plus intolérables l'une à l'autre. 

Le poète d'aujourd'hui caresse l'ambition et nourrit la certitude qu'il est le philosophe plus l'inspiré. On se moque bien de nous à se moquer de l'inspiration. Nous entendons sans cesse évoquer la Métaphysique, l'Absolu, L’Être, avec des majuscules, et les privilégiés qui se chargent de les exprimer en poésie ne se croiraient pourvus d'aucun don singulier ? Mais nous sommes tous doués, tous tant que nous écrivons, prosateurs, poètes, - philosophes ! L'inspiration devrait continuer à courir les rues, et nous derrière, quitte, les plus chanceux, à découvrir la Mort quand elle se retourne pour nous regarder en pleine figure : car elle seule peut nous apprendre à parler de L’Être, de l'Absolu, du Ciel vide ou plein, comme du printemps, de l'automne et des petits oiseaux, sujets flétris par les systèmes.

                                                                                       Claude Aveline

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